À l'aune du rapport Mo Ibrahim 2025, le Maroc incarne les promesses et contradictions de l'émergence africaine : hub financier de premier plan mais retardataire dans les engagements continentaux. Détails. Le Royaume peut mieux faire en terme d'implémentation de l'Agenda 2063 de l'Union africaine. C'est l'une des leçons de l'analyse des données du rapport 2025 de la Fondation Mo Ibrahim, présenté lors de l'Ibrahim Governance Weekend 2025, sommet organisé par la Fondation Mo Ibrahimn du 1er au 3 juin 2025 à Marrakech. Ce rapport, intitulé «2025 Faits et chiffres», révèle des forces et des vulnérabilités qui dessinent une réalité complexe. Malgré ce qui précède, le discours du Roi Mohammed VI, lu par André Azoulay, souligne le rôle du Maroc comme «catalyseur stratégique des partenariats Sud-Sud» et «pont naturel entre les régions africaines». Un positionnement matérialisé par des initiatives comme le Gazoduc Africain Atlantique et l'Initiative Atlantique, et qui illustre une ambition continentale. Excellence financière et fiscale Le Maroc se distingue par une architecture financière robuste, articulée autour de trois piliers stratégiques. Premièrement, Casablanca Finance City (CFC) consolide son statut de «hub financier régional majeur», canalisant des flux capitaux substantiels vers l'Afrique et servant de plateforme incontournable pour les investissements transcontinentaux. En complément, le Fonds Mohammed VI pour l'Investissement, doté de 2,6 milliards de dollars d'actifs, agit comme un catalyseur clé pour les PME et la transition énergétique, positionnant le Maroc au 4e rang africain des fonds souverains. Deuxièmement, le pays affiche une innovation fiscale remarquable avec un ratio taxes foncières/PIB de 1,5% – le plus élevé du continent – dépassant largement l'Afrique du Sud (1,2%) et Maurice (1,1%), et contrastant avec la moyenne africaine stagnante à 0,3%. Une performance qui découle de réformes structurelles incluant la digitalisation avancée (IA, interconnexion des agences gouvernementales) et une transparence accrue. Troisièmement, les transferts de fonds constituent un pilier économique vital : avec 11,8 milliards de dollars reçus en 2023, le Maroc se classe 3e bénéficiaire africain, derrière le Nigeria et l'Egypte. Ces flux, représentant près de 9% du PIB, soutiennent la stabilité macroéconomique et illustrent la confiance de la diaspora dans l'écosystème financier national. Paradoxes et défis Malgré ses atouts, le Maroc fait face à des vulnérabilités structurelles qui soulignent des paradoxes saisissants. D'une part, l'aide internationale subit une rupture brutale en 2025 : les coupes de l'USAID suppriment 100% des programmes d'aide au Maroc (32 millions de dollars), équivalant à 0,02% du Revenu national brut (RNB). Une décision qui s'inscrit dans un contexte mondial de réduction drastique de l'Aide publique au développement (APD), avec des baisses de 38% pour les Etats-Unis et 10,5% pour l'Allemagne, fragilisant notamment les secteurs santé et résilience climatique. D'autre part, le Royaume accuse un retard préoccupant dans la mise en œuvre de l'Agenda 2063 de l'Union Africaine. Classé parmi les quatre derniers pays du continent (taux de réalisation de 20% à 29%), le Maroc contraste fortement avec des leaders comme le Sénégal ou le Rwanda (50%). Ce paradoxe est d'autant plus frappant que le Royaume se présente comme un champion de l'intégration régionale, porteur de projets structurants comme le Gazoduc Africain Atlantique. Un décalage qui révèle des lacunes dans la gouvernance opérationnelle des engagements continentaux, malgré un leadership diplomatique affirmé. Initiatives royales pour une souveraineté financière Le discours royal lu lors de l'évènement trace une voie claire vers l'autonomie africaine, affirmant que «l'Afrique ne peut compter uniquement sur l'Aide publique au développement […] Elle doit valoriser ses atouts et prendre le contrôle de sa destinée». Cette vision se concrétise au Maroc à travers trois leviers stratégiques. L'Initiative Atlantique incarne une géopolitique proactive en facilitant l'accès des Etats du Sahel à l'océan, posant les bases d'un nouveau modèle de coopération régionale. Dans le domaine énergétique, le pays capitalise sur son potentiel renouvelable sous-exploité, notamment éolien (seulement 0,01% du potentiel continental utilisé), pour réduire la dépendance aux importations fossiles. Enfin, face à l'hémorragie des flux financiers illicites (90 milliards $/an en Afrique), le Maroc priorise la lutte contre la corruption et l'optimisation fiscale, reconnaissant que la rétention des richesses locales est un prérequis à l'émergence. Des initiatives qui s'appuient sur des outils comme le Fonds Mohammed VI pour l'Investissement, catalyseur d'une croissance endogène. Leçons continentales et ambivalences marocaines Mo Ibrahim souligne un paradoxe fondamental : «L'Afrique est riche, mais ses peuples sont pauvres. […] Nous devons gérer nos ressources et stopper la corruption». Le cas marocain offre ici des enseignements contrastés. D'un côté, il émerge comme un modèle potentiel en finance verte, avec la capacité de tirer parti des marchés de crédits carbone (un potentiel continental de 100 milliards $/an d'ici 2050) grâce à ses actifs naturels (forêts absorbant 600 millions de tonnes de CO2/an) et sa position en énergies renouvelables. De l'autre, son retard dans l'Agenda 2063 (classé parmi les quatre derniers pays africains avec 20% à 29% de réalisation) sert d'avertissement : les projets structurants (Gazoduc Atlantique, hubs financiers…) restent insuffisants sans gouvernance renforcée. Cette dualité rappelle que l'intégration régionale et la moralisation des institutions sont aussi cruciales que les infrastructures physiques pour transformer la richesse en développement inclusif. Entre leadership et défis structurels Si le Maroc brille par ses innovations financières et sa diplomatie économique, son modèle révèle des fragilités : dépendance aux transferts de fonds, retard dans les agendas continentaux et exposition aux coupes de l'aide au développement. Comme le résume le message royal : «Le développement se construit par des politiques ambitieuses, l'investissement dans le capital humain et une gouvernance rigoureuse». L'avenir dépendra de la capacité à transformer les paroles en actes. Un impératif pour mériter son statut de «locomotive africaine». Bilal Cherraji / Les Inspirations ECO