L'arrivée des fonds indiciels cotés marque un tournant structurel pour le marché local. Sur les places financières matures, ces instruments représentent souvent le quart, voire la moitié, des encours globaux. Leur absence au Maroc constituait un décalage que la réforme 03-25 vient combler. Le financement de la croissance future ne se fera plus tout à fait comme avant. Alors que les économies avancées reposent largement sur leurs marchés de capitaux, le financement de la croissance au Maroc, à l'instar de nombreux pays émergents, a longtemps été tributaire du crédit bancaire. Mais un tournant semble être à l'oeuvre. Pouvoirs publics et acteurs financiers partagent désormais l'idée que l'épargne nationale peut devenir ce «levier de souveraineté» capable de financer, entre autres, les perspectives 2030, à condition qu'elle soit correctement mobilisée et orientée. C'est tout l'enjeu autour duquel s'est réuni l'écosystème financier à l'occasion d'une conférence qui s'est tenue à Rabat le 13 novembre et organisée par l'Association des sociétés de gestion et fonds d'investissement marocains (ASFIM). D'emblée, Mostafa Hassani, président de l'ASFIM, place la barre haut en évoquant «un signal fort de confiance adressé aux marchés internationaux». Pour lui, la nouvelle loi 03-25 n'est pas une simple évolution réglementaire mais bien «un tournant historique pour la gestion d'actifs au Maroc», préparant «l'ouverture du marché interne». Cette réforme, a-t-il insisté, doit permettre de «mobiliser les parlementaires nationaux pour concilier notre souveraineté financière». L'enjeu est de taille puisqu'il s'agit de faire de la gestion collective un pilier stratégique du financement de demain. Quête de souveraineté Cette vision est partagée au plus haut niveau des institutions. Tarik Senhaji, président de l'Autorité marocaine du marché des capitaux (AMMC), est ensuite revenu sur le rôle trop souvent méconnu de l'industrie. «Derrière cet acronyme technique, OPCVM, se cache en effet l'un des grands piliers de la stabilité macro-économique de notre pays», a-t-il affirmé, rappelant le poids des OPCVM qui détiennent près de 40% de la dette de l'Etat. Avec la nouvelle loi, l'objectif est clair : «démocratiser le marché des capitaux» auprès des particuliers, un segment où le potentiel de croissance reste considérable. La question du levier se pose tout aussi naturellement. Comment transformer cette épargne dormante en investissements productifs ? Pour Khalid Safir, directeur général de la Caisse de dépôt et de gestion (CDG), la réponse passe d'abord par un changement de regard : «L'épargne est avant tout une ressource de souveraineté», a-t-il déclaré, rappelant qu'elle «garantit la continuité de l'investissement et réduit notre dépendance aux capitaux extérieurs». Dans la même lignée, la CDG entend confier une part croissante de la gestion de ses encours à des acteurs privés avec un objectif de 15 milliards de dirhams supplémentaires à court terme. «Il est temps que la CDG se remobilise sur d'autres chantiers plus stratégiques», a-t-il expliqué, marquant un tournant dans la manière dont la Caisse conçoit son rôle d'investisseur institutionnel. Epargne dormante Cette ambition affichée de faire de l'épargne le carburant de la croissance future ne saurait cependant se concrétiser sans une réforme en profondeur des canaux de financement. D'ailleurs, la conférence a justement été consacrée à la loi 03-25, présentée comme l'architecture de ce nouvel élan. «Au-delà d'une simple modernisation, cette réforme marque le point de départ d'un nouveau cycle de croissance pour cette industrie», souligne un représentant de l'AMMC. Parmi les innovations majeures figure l'introduction des OPCVM indiciels cotés, plus connus sous le nom d'ETF. Ces fonds, qui répliquent un indice boursier, représentent un marché de plus de 10.000 milliards de dollars dans le monde. Leur force, selon un intervenant, est triple. Ils améliorent la liquidité du marché, démocratisent l'accès à la bourse pour les petits porteurs et offrent un véhicule simple pour attirer les investisseurs internationaux souhaitant parier sur la croissance du pays sans avoir à sélectionner des titres un par un. L'ouverture à l'international est d'ailleurs un autre volet crucial de cette réforme. L'Office des changes a passé en revue les mesures d'accompagnement, permettant notamment aux investisseurs institutionnels de placer jusqu'à 100% de leurs actifs à l'étranger dans certains cas. Cette flexibilité est essentielle pour offrir un «confort juridique» et attirer une épargne diversifiée. Ces réformes engagées sont saluées par des gestionnaires de portefeuilles étrangers, venus d'Asie, y voyant des similitudes avec le parcours de la Chine il y a deux décennies. «Le moment est parfait pour une réforme financière, surtout à l'approche de la Coupe du monde 2030», lance Carter Shi, directeur du développement et du marketing d'un fond d'asset management basé à Hong-Kong. La conférence, organisée par l'ASFIM, aura circonscrit les contours d'un écosystème financier en pleine métamorphose. Entre l'impulsion donnée par les régulateurs et l'élan introduit par la loi 03-25, le Maroc se dote progressivement des instruments qui lui permettront de faire de son épargne le carburant de sa propre transformation. Mostafa Hassani Président de l'ASFIM «La loi 03-25 marque un tournant historique pour la gestion d'actifs au Maroc. Elle introduit une nouvelle génération d'OPCVM plus flexible, plus innovante, mieux alignée sur les besoins des investisseurs et sur les priorités de l'économie nationale. Elle prépare également l'ouverture du marché interne, qui offrira au gestionnaire d'actifs des instruments modernes de couverture et d'allocation des risques.» Tarik Senhaji Président de l'AMMC «Le financement de cette ambition nationale repose sur une mobilisation accrue de l'épargne nationale, car l'épargne est avant tout une ressource de souveraineté. Elle garantit la continuité de l'investissement, réduit notre dépendance aux capitaux extérieurs et offre au Maroc la capacité de financer son propre développement. L'épargne d'aujourd'hui, ce sont les investissements de demain et les emplois d'après-demain.» Les ETF, le coup d'accélérateur qu'attendait la bourse L'arrivée des fonds indiciels cotés marque un tournant structurel pour le marché local. Sur les places financières matures, ces instruments représentent souvent le quart, voire la moitié, des encours globaux. Leur absence au Maroc constituerait un décalage que la réforme 03-25 vient combler. À en croire les acteurs de la Finance, l'impact de ces instruments dépasse la simple diversification de l'offre. Les études comparatives montrent que l'introduction d'ETF stimule mécaniquement la liquidité du marché sous-jacent. En témoigne l'expérience sud-africaine où près d'un cinquième des transactions y sont liées à ces produits. Pour les investisseurs institutionnels, ces outils permettent une exposition fine à des segments ciblés, des PME aux infrastructures. Leur format standardisé répond aux contraintes des allocateurs internationaux, souvent freinés par la complexité d'accès aux marchés frontières. La Bourse de Casablanca y trouve son compte. Une liquidité accrue sur les valeurs composant les indices améliore l'efficience des prix et réduit les coûts de transaction pour l'ensemble des participants. Ce développement s'inscrit dans une transformation plus large de l'écosystème financier local. Les spécialistes s'accordent pour dire que les ETF ne sont pas un produit miracle, mais le parfait indicateur d'un stade de maturation avancé du marché. Ceci dit, leur succès dépendra de la capacité des gestionnaires à en faire des instruments au service du financement de l'économie réelle, et non de simples objets spéculatifs. Ayoub Ibnoulfassih / Les Inspirations ECO