Dans un contexte mondial où l'or et l'argent atteignent des sommets historiques, le Maroc cherche à mieux exploiter son potentiel en métaux précieux et stratégiques. Longtemps centré sur les phosphates, le Royaume s'emploie désormais à diversifier sa base minière et à bâtir une véritable souveraineté minérale. Alors que les cours de l'or et de l'argent s'envolent à des niveaux record, le Maroc tente de tirer parti d'un potentiel minier qui, malgré sa richesse géologique, reste encore peu valorisé. Le Royaume, mieux connu pour ses phosphates, s'affirme progressivement sur la carte mondiale des métaux précieux et stratégiques, entre exploration accrue, montée des cours internationaux et volonté de souveraineté industrielle. Un marché mondial sous tension Depuis 2024, la flambée des métaux précieux s'inscrit dans une dynamique géoéconomique inédite. L'or a dépassé la barre symbolique des 4.000 dollars l'once, porté par la baisse des taux directeurs, la dépréciation du dollar et la frénésie d'achat des banques centrales, en quête de diversification de leurs réserves. L'argent, longtemps en retrait, bénéficie à son tour de la demande industrielle, notamment pour les technologies vertes, panneaux solaires, batteries ou véhicules électriques. Cette tension mondiale met en lumière la question primordiale de la sécurité d'approvisionnement, au moment où la transition énergétique multiplie les besoins en métaux rares. Un potentiel national encore largement inexploité Le Maroc dispose d'un sous-sol riche et varié, mais encore inégalement exploité. Bien que le secteur des phosphates domine largement l'exportation minière marocaine, le pays recèle également des gisements de métaux précieux et base-métaux (argent, plomb, zinc, cuivre), notamment le projet polymétallique Boumadine (argent-or-plomb-zinc-cuivre) qui affiche des teneurs élevées. Le développement du secteur des métaux précieux reste encore limité au regard du potentiel du pays. L'or reste une filière émergente au Maroc : après la fermeture d'Akka, les activités se concentrent sur des sites historiques (Tiouit) et des projets en cours de développement (Boumadine, Amizmiz), tandis que l'argent est produit à Zgounder. Le rapport le plus édifiant sur le sujet est celui du CESE sur les minerais stratégiques, qui explique cette situation par des «gisements de taille limitée» et un modèle économique encore trop axé sur l'exportation de concentrés et de produits bruts, sans réelle montée en gamme dans la transformation locale. Des réformes nécessaires pour une filière à haute valeur ajoutée Face à cette dépendance, le Maroc amorce un tournant stratégique. Le rapport du CESE souligne la nécessité d'une feuille de route dédiée aux minerais stratégiques et critiques, incluant les métaux précieux. Parmi les leviers proposés, l'institution d'une commission nationale des minerais stratégiques, la mise en place d'incitations fiscales ciblées pour les sociétés minières, et la création de réserves stratégiques pour les minerais jugés essentiels. Le Conseil appelle aussi à mieux intégrer le secteur minier à l'industrie nationale, en soutenant la transformation locale des métaux, la recherche et le recyclage. Aujourd'hui, seuls les phosphates et le cobalt disposent de véritables chaînes de valorisation intégrées. Une plus grande synergie entre les mines et les industries aval, batteries, électronique, bijouterie ou technologies vertes, permettrait de capter davantage de valeur ajoutée sur le territoire. Le défi de la compétitivité et du financement L'attractivité du Maroc demeure un atout. Selon le Fraser Institute, le pays figure parmi les juridictions minières les plus performantes d'Afrique, grâce à un cadre réglementaire relativement stable et à des infrastructures solides. Mais la filière reste freinée par la complexité administrative et un accès limité au financement, en particulier pour les entreprises juniors. Les acteurs du secteur plaident pour des dispositifs spécifiques, comme des exonérations temporaires d'impôt sur les sociétés ou des fonds d'investissement dédiés à l'exploration. Vers une souveraineté minérale à l'ère de la transition verte La montée des cours des métaux précieux intervient dans un contexte mondial de redéfinition des priorités énergétiques. Les minerais stratégiques, à savoir l'or, l'argent, le cuivre, le lithium, le cobalt ou les terres rares, deviennent le socle des nouvelles chaînes industrielles. Dans cette perspective, le Maroc ambitionne de renforcer sa souveraineté minérale, en s'appuyant sur son expertise, son cadre institutionnel réformé et ses partenariats africains. Le CESE recommande d'ailleurs de diversifier les sources d'approvisionnement en Afrique et de soutenir la constitution de réserves minières nationales, afin de sécuriser la transition énergétique et numérique du pays. L'objectif est de faire du Maroc non plus un simple exportateur de ressources, mais un acteur intégré des chaînes de valeur mondiales. Entre ruée vers l'or et exigence de durabilité Le regain d'intérêt pour les métaux précieux pourrait s'accompagner d'une nouvelle vague d'exploration. Mais cette ruée ne pourra être durable qu'à condition de concilier rentabilité économique et exigences environnementales. Le CESE insiste sur la généralisation des principes ESG dans l'ensemble de la filière : gestion responsable de l'eau, réhabilitation des sites, consultation des populations locales, recyclage des déchets miniers. Cette approche, qui combine performance et responsabilité, s'inscrit dans la vision plus large de la souveraineté industrielle et énergétique du Maroc. L'or, l'argent et les autres métaux critiques ne sont plus seulement des matières premières ; ils deviennent les piliers d'un nouvel écosystème minier marocain, à la croisée des transitions verte, technologique et industrielle. Sami Nemli / Les Inspirations ECO