Le projet de loi réformant la profession d'adoul a déclenché une levée de boucliers. Accusé de fragiliser un métier séculaire et de consacrer une rupture d'équilibre entre les acteurs de l'authentification, le texte cristallise les tensions entre volonté de modernisation et crainte d'une marginalisation programmée. Au cœur du débat, deux visions s'affrontent : celle d'une réforme jugée indispensable par les autorités judiciaires, et celle, farouchement opposée, des adouls qui y voient la négation même de leur rôle historique. À peine adopté en Conseil de gouvernement, le 19 novembre dernier, le projet de loi réformant la profession d'adoul a déclenché une tempête dans le paysage judiciaire marocain. Les adouls, chargés historiquement de l'authentification des actes selon les règles du droit islamique et de la législation nationale, ont exprimé un rejet massif du texte. Pour eux, cette réforme marque moins une évolution qu'une rupture brutale, vécue comme l'annonce d'une mise à mort programmée de la profession. L'Association marocaine des jeunes adouls (AMJA) parle sans détour de «loi d'expropriation d'acquis», transformant une réglementation professionnelle en un dispositif de contrôle, de sanctions et de restriction d'activité. Les points de discorde Le grief le plus fréquemment évoqué concerne le caractère discriminatoire – jugé «anticonstitutionnel» – de certaines dispositions. Pour les adouls, ces dernières privent la profession des outils nécessaires pour répondre aux exigences croissantes en matière d'authentification et de sécurité juridique. La suppression du droit au dépôt, pourtant inscrite dans les premières versions du texte, selon l'AMJA, est perçue comme un recul. Pour les représentants de la profession, ce retrait constitue une fracture majeure avec le principe d'égalité entre les différents acteurs de l'authentification et un cadeau législatif à une profession concurrente, ouvertement opposée à l'octroi de ce mécanisme aux adouls. La critique se fait d'autant plus amère que les discussions menées depuis plusieurs années avec le ministère de la Justice semblaient converger vers une modernisation consensuelle. L'AMJA s'interroge désormais sur les motivations profondes de ce revirement. Elle redoute une démarche visant, à terme, l'effacement progressif de ce métier séculaire, pourtant présenté comme l'un des piliers de l'identité juridique et sociale marocaine. D'après elle, «toucher à la profession revient à toucher à une composante de la mémoire historique du Royaume». De plus, le silence observé par la présidence de l'Instance nationale et la Commission de dialogue au moment de l'adoption du projet n'a fait qu'amplifier le malaise. Certains y ont ainsi vu une forme de renoncement, voire de «trahison». Dans ce climat de défiance, les appels à la mobilisation se multiplient. Des voix réclament l'intervention directe des plus hautes autorités pour rétablir un équilibre jugé rompu. Les principales dispositions Au-delà de la controverse, le projet de loi introduit une refonte profonde d'un cadre juridique resté presque inchangé depuis près de vingt ans. La profession d'adoul, pilier de la sécurité juridique et auxiliaire de justice reconnu, fonctionne encore sur les bases de la loi 16.03, devenue, selon le ministère de la Justice, inadaptée à l'évolution sociale, technologique et judiciaire du pays. La réforme envisagée s'inscrit dans le sillage des grandes orientations fixées par la Constitution de 2011 et par la Charte nationale de réforme du système judiciaire, adoptée en 2012. Elle ambitionne de moderniser les métiers juridiques, de renforcer la transparence et d'améliorer l'efficacité des services rendus aux citoyens. Parmi les mesures phares figure le changement symbolique d'appellation. La «خطة العدالة» laisse place à la «profession des adouls», afin d'ancrer cette activité dans une logique pleinement professionnelle et alignée sur les autres métiers du droit. Le projet développe également un ensemble complet de droits et d'obligations, parmi lesquels la clarification des responsabilités, la protection légale dans l'exercice des missions, l'obligation d'assurance pour couvrir les erreurs professionnelles, ou encore la création de mécanismes disciplinaires gradués et strictement encadrés. Le texte entend aussi répondre à plusieurs difficultés pratiques, notamment en définissant un délai maximal de six mois pour commencer l'exercice après la nomination, sous peine de radiation. Il impose par ailleurs aux adouls, à partir de 70 ans, la présentation annuelle d'un certificat médical attestant leur aptitude à continuer d'exercer. La réforme touche également à l'organisation matérielle du métier. Elle encadre la réception des certificats, interdit certaines pratiques jugées source de désordre, et prévoit la modernisation complète des registres, de l'archivage et de la gestion des actes. L'une des évolutions les plus significatives concerne la numérisation. Chaque acte authentique recevra un numéro unique, garantissant la traçabilité, l'uniformité des procédures et la lutte contre la falsification. Les obligations de conservation, de délivrance de copies et de sécurité documentaire sont également renforcées. Parallèlement, le projet instaure une Instance nationale des adouls dotée de prérogatives importantes en matière de formation, de régulation et d'avis consultatif sur les textes législatifs. Le texte abroge la loi 49.00, réorganise l'ensemble du cadre juridique existant et affirme sa volonté de consolider la sécurité juridique tout en améliorant la qualité des services offerts au public. Ses défenseurs y voient une réforme nécessaire pour moderniser un métier en mutation. Ses détracteurs, au contraire, y lisent la menace d'un déséquilibre profond entre professions d'authentification, au détriment de l'une des plus anciennes d'entre elles. Alors que le débat s'intensifie, l'avenir du projet dépend désormais du dialogue entre les institutions et les représentants de la profession. Entre ambition de modernisation et crainte d'effacement, le métier d'adoul se retrouve désormais au centre d'une bataille décisive pour sa redéfinition. Maryem Ouazzani / Les Inspirations ECO