Entre infrastructures à moderniser, régulation à adapter et écosystème industriel à structurer, le pays doit relever un défi majeur pour tirer pleinement parti de cette révolution numérique. Au cœur de ce défi: la formation, pilier indispensable pour préparer les générations futures à maîtriser et exploiter ces nouvelles technologies. L'entrée du Maroc dans l'ère de la 5G ne marque pas seulement l'arrivée d'une nouvelle génération de débit mobile. Elle ouvre une transformation beaucoup plus profonde, qui engage à la fois l'industrie, l'éducation, l'innovation, la souveraineté numérique et le modèle de développement national. Mais si la 5G est désormais une réalité technique, le chemin vers une adoption pleine, maîtrisée et capable de générer un impact économique massif reste long, exigeant et semé de défis structurels. Dans le débat, Abdelkarim Mazouzi commence par rappeler que le Maroc n'en est pas à son premier virage technologique. Il insiste : «Ça fait pratiquement 20 ans que le Maroc a été pionnier lorsqu'il a lancé la 3G». À cette époque, l'ambition était déjà de démocratiser la connectivité et de l'intégrer au quotidien. Le programme Nafida 1 a permis d'équiper 250.000 enseignants en ordinateurs et en connexion 3G, créant une dynamique inédite dans les établissements scolaires, tandis que le programme Injaz a équipé 200.000 étudiants deux ans plus tard. Ces initiatives ont façonné un premier écosystème numérique national, mais la 5G, selon Mazouzi, marque une rupture d'une tout autre ampleur. «Le passage de la 3G à la 4G avait entraîné un essor massif de la vidéo, du streaming et de l'usage quotidien du mobile. Le passage à la 5G, lui, va toucher la manière d'apprendre, de produire, de transporter, de gérer les villes, d'assurer les soins médicaux à distance et de structurer l'industrie», explique-t-il. Mazouzi insiste sur un point qui peut paraître simple, mais qui est central pour le pays : la qualité de connexion. Dans une société où les cours hybrides, les certifications en ligne, la recherche, la formation professionnelle et les MOOC deviennent indispensables, la qualité de la connexion n'est plus un luxe, mais une composante du droit fondamental à l'éducation. La pandémie a montré les limites de la 4G dans certains quartiers et villes. La 5G pourrait effacer ces disparités, à condition d'être déployée intelligemment, en tenant compte des lieux où les usages sont les plus critiques : universités, grandes écoles, centres de formation, cités universitaires, zones d'habitations denses, quartiers périphériques et zones rurales proches des centres d'étude. Pour Mazouzi, la 5G ne doit pas seulement être une démonstration technologique dans les centres urbains, mais devenir une infrastructure citoyenne. Une infrastructure encore incomplète Le réseau doit cependant être profondément modernisé. Mazouzi est clair. «Les opérateurs doivent investir dans de nouveaux récepteurs pour que la 5G soit meilleure comme ce qui se fait en Europe», dit-il. Il rappelle que la 5G n'est pas qu'une mise à jour logicielle : elle repose sur une transformation matérielle et industrielle. Antennes adaptées, backbone renforcé, densification de la fibre, modernisation des récepteurs... l'ensemble de l'infrastructure évolue pour offrir une 5G performante et capable de soutenir les usages avancés, y compris industriels. Ahmed Khaouja, de son côté, rappelle la réalité économique du secteur. Il souligne que «les opérateurs ont déjà payé beaucoup d'argent pour avoir les licences : 2,1 milliards de dirhams». Cet investissement colossal exige un amortissement, mais celui-ci ne pourra être assuré par les seuls abonnements individuels. La clé, selon lui, réside dans l'industrie et dans les objets connectés. «Il faut préparer l'écosystème de l'internet des objets. Il faut que l'écosystème industriel soit intégré pour permettre justement de garantir la rentabilité», insiste-t-il. Khaouja décrit un Maroc où la demande existe déjà. «Les parkings veulent se connecter, les camions de distribution, les fermes, les serres, tout le monde a besoin de capteurs». Mais il déplore que cet écosystème ne soit pas encore structuré. Il rappelle que la crise covid-19 a mis à l'arrêt plusieurs projets et freiné les partenariats. Mais la 5G arrive au moment où les entreprises cherchent justement à automatiser, surveiller en temps réel, optimiser la maintenance et réduire les coûts énergétiques. Khaouja alerte sur la différence fondamentale entre le monde du grand public et le monde industriel. «Pour réussir le BtoB, il faut que les opérateurs apprennent le langage des industriels», déclare-t-il. Une simple coupure peut coûter des millions. Dans l'automobile, une interruption de flux peut bloquer une chaîne d'assemblage. Dans l'agriculture, un capteur défaillant peut mettre en péril une récolte. Dans la santé, une latence trop élevée peut rendre impossible une opération assistée à distance. Cette exigence explique pourquoi certains constructeurs européens réfléchissent à des réseaux privés. Khaouja rapporte que Mercedes ou Audi veulent développer leur propre 5G, ce qu'on appelle la 5G privée. Dans certains pays du Golfe, comme aux Emirats, les régulateurs ont déjà autorisé «un petit morceau de 5G» pour des usages industriels spécifiques. L'enjeu de la data Khaouja élargit le débat. Pour lui, la 5G n'est qu'une pièce du puzzle. «La transformation numérique se base sur certains piliers, le cloud, la connexion, l'open data», déclare-t-il. La maîtrise de la donnée est cruciale pour les entreprises comme pour les villes. La data est désormais l'oxygène de l'économie. Sans cloud souverain, sans data locale, sans infrastructures nationales, la 5G ne serait qu'un réseau vide, incapable de générer de la valeur. On l'aura compris, la 5G n'est pas un miracle technologique instantané. C'est un chantier national qui exige des investissements, du courage politique, une réforme administrative, une montée en compétence massive, la création d'un écosystème industriel, une refonte de la relation entre opérateurs et industriels, et une vision stratégique claire sur la donnée et le cloud. L'optimisme du moment doit se traduire en action. Le Maroc a l'ambition, les talents, les infrastructures de base et l'élan politique nécessaires. Ce qui manque encore, c'est le rythme, la cohérence et la capacité à réunir tous les acteurs autour d'un même objectif : faire de la 5G un moteur réel de développement économique, social et technologique. La formation, un chantier stratégique Si le déploiement de la 5G promet des usages industriels, urbains et pédagogiques inédits, il se heurte à une contrainte majeure: le manque de profils qualifiés. Selon Abdelkarim Mazouzi, le Maroc ne dispose pas encore de filières adaptées, et la création d'un cursus universitaire peut prendre jusqu'à un an, alors que les besoins sont immédiats. Pour répondre à cette urgence, il est essentiel de repenser l'apprentissage dès le plus jeune âge. L'introduction de l'intelligence artificielle, de la programmation, des objets connectés et des systèmes embarqués devrait commencer dès l'école primaire, afin de préparer une génération capable d'innover et de créer des solutions adaptées aux besoins du pays. La formation ne doit pas se limiter aux étudiants. Les professionnels, enseignants et opérateurs doivent également monter en compétences pour exploiter les infrastructures 5G et dialoguer efficacement avec l'industrie. La réussite de la 5G dépendra ainsi de la capacité du Maroc à transformer ses talents en acteurs opérationnels de cette révolution, en s'appuyant sur une pédagogie proactive, des filières spécialisées et des programmes d'apprentissage continu. Ilyas Bellarbi / Les Inspirations ECO