Compte tenu de pressions inflationnistes, Bank Al-Maghrib a maintenu mardi son taux directeur inchangé à 2,25 %. Au-delà du statu quo monétaire, plusieurs lignes de tension pèsent sur la trajectoire budgétaire, entre l'essor des financements dits innovants, la récurrence des chocs climatiques au lendemain des intempéries de Safi, et les interrogations ouvertes par le rapprochement en discussion autour de la BMCI et de Holmarcom. À l'issue de chaque réunion trimestrielle de Bank Al-Maghrib, Abdellatif Jouahri est sommé de s'expliquer sur la politique monétaire, dont il est tenu pour l'unique garant. Le gouverneur de Bank Al-Maghrib insiste, quitte à convoquer son homologue américain Jerome Powell à l'appui, la décision du Conseil n'a rien d'un exercice «conservateur». «Nous nous positionnons de facto sur le moyen terme, avec un horizon d'analyse qui s'étire sur douze trimestres pour ce qui est du ciblage de l'inflation, sans tenir compte des facteurs exogènes (guerre tarifaire, répercussions de la guerre en Ukraine, tensions au Moyen-Orient, notamment à Gaza). Auxquels s'ajoutent aujourd'hui les aléas climatiques», a-t-il ajouté, au lendemain des intempéries de Safi, déjà appelées à se répercuter dans les arbitrages budgétaires. Le collège, constitué pour rappel de 4 membres à parité parfaite, revendique une prudence assumée. «Nous agissons sur deux leviers, le taux directeur et la réserve, rappelle Jouahri. Nous sommes prudents, parce que les décisions de la banque centrale sont lourdes de conséquences», a glissé Jouahri, plaidant qu'il y va de la confiance du public. Cette prudence s'est traduite, mardi, par le maintien du statu quo. Compte tenu des pressions inflationnistes potentielles, la banque centrale a décidé mardi de maintenir son taux d'intérêt directeur inchangé, à 2,25%. Le conseil trimestriel estime que le maintien du statu quo est en mesure de préserver l'objectif de stabilité des prix, à l'heure où l'inflation reste basse, 0,8% en moyenne sur les dix premiers mois de 2025, avant une remontée graduelle projetée à 1,3% en 2026 puis 1,9% en 2027, avec des anticipations jugées «bien ancrées». Le Conseil motive aussi sa prudence par une transmission encore incomplète, la baisse des taux débiteurs n'ayant reculé que de 58 pb depuis juin 2024, contre 75 pb pour le taux directeur. Le décor macroéconomique, lui, demeure ambivalent. Bank Al-Maghrib voit une économie nationale portée par des activités non agricoles «remarquables» et un marché du travail qui donne des signes de reprise, avec une croissance projetée à 5% en 2025, puis 4,5% en moyenne en 2026-2027, pendant que le Trésor poursuivrait sa consolidation et allégerait progressivement son endettement. Lors de la dernière rencontre avec la presse, plusieurs points se sont imposés au fil des échanges, dont le montage réglementaire au tour du deal potentiel entre la BMCI et le groupe Holmarcom, la montée des financements innovants dans les arbitrages des investisseurs, sur fond de l'essor des financements liés aux risques naturels, appelés à peser davantage sur les équilibres budgétaires. BMCI–Holmarcom, les préalables du deal Le 12 décembre 2025, BNP Paribas a confirmé être entré en discussions exclusives avec le groupe Holmarcom en vue d'une cession éventuelle de sa participation majoritaire de 67% dans la BMCI, tout en soulignant le caractère préliminaire des échanges. Il ne s'agit pas d'une fusion "technique" à ce stade, mais d'un changement de contrôle potentiellement structurant, avec ce que cela implique sur la recomposition actionnariale du paysage bancaire. En réponse à la question d'un confrère au sujet du deal, le wali de Bank Al-Maghrib a d'abord tenu à circonscrire le périmètre de l'autorité monétaire. «Effectivement, il y a un début de discussion entre les deux parties. Nous n'intervenons pas dans l'orientation de l'acheteur et du vendeur», a-t-il dit, en rappelant qu'il s'agissait de «discussions préliminaires» susceptibles d'aboutir ou non à un deal. Pour le superviseur, le point de bascule intervient lorsque l'opération sort du "registre des intentions" pour entrer dans celui du changement de contrôle. À ce stade, la loi bancaire impose une procédure d'agrément spécifique, instruite selon des règles précises. Dans cette logique, Bank Al-Maghrib attend un dossier d'agrément qui renseignerait davantage sur le projet industriel du groupe Holmarcom, destiné à apprécier la cohérence d'ensemble de l'opération, la trajectoire visée et la manière dont l'acquéreur entend piloter l'actif. Le gouverneur a d'ailleurs relevé que l'acheteur potentiel «a déjà reçu un agrément il y a peu de temps», signe que le superviseur cherchera surtout à s'imprégner du projet industriel que cette nouvelle étape viendrait servir. L'autre paramètre déterminant relève du contrôle prudentiel, qui tient de la capacité de l'actionnaire de référence à respecter durablement les règles prudentielles et à assumer ses responsabilités, y compris en situation de stress. Une fois l'instruction achevée, le dossier sera soumis au Comité des établissements de crédit, où siègent des représentants de Bank Al-Maghrib et du ministère de l'Economie et des Finances, et c'est dans ce cadre que se prend la décision d'accorder ou non l'agrément. OPCI : «Risque maitrisé» Sur le dernier trimestre, les financements, dits innovants, ont cessé d'être des montages de niche pour s'installer dans le débat budgétaire. Le budget 2025 entérine ce glissement, avec 35 milliards de dirhams inscrits au titre de ces instruments, comptabilisés en recettes et présentés comme un financement «hors bilan», de nature à desserrer, provisoirement, la contrainte de trésorerie, à l'approche des perspectives 2030. Jusqu'à fin T3, les montants mobilisés via ces schémas restaient contenus, avant une rupture en octobre, l'Etat ayant placé près de 25 milliards de dirhams via des OPCI sur des rendements de 6% à 7%, supérieurs à ceux des adjudications du Trésor. Cette prime, adossée à une signature publique, a accéléré l'arbitrage des institutionnels, assureurs, caisses et fonds, au détriment du marché actions. La banque centrale, sur ce dossier, explique le recours massif à ces instruments par des niveaux de rendement élevés, et estime que son rôle se cantonne au prudentiel, en acceptant une pondération à 0% dès lors que «le risque est assimilé à un risque étatique». L'Etat cède des actifs et, ce faisant, se porte garant de la chaîne de loyers qui en découle. Autre élément jugé rassurant par le superviseur, ces charges sont retracées dans la Loi de finances au titre de l'exercice, ce qui ancre l'engagement dans le périmètre budgétaire du Trésor. Les OPCI, lancés en 2019, totalisent à fin 2024 un actif net d'environ 109,3 milliards de dirhams, près de 1.809 actifs immobiliers pour quelque 132,7 milliards de valorisation, avec des taux d'occupation autour de 95% et une gestion concentrée sur un nombre réduit de sociétés. La finance verte, à l'épreuve du réel La dernière réunion du Conseil de Bank Al-Maghrib s'est tenue, mardi, dans le sillage des crues qui ont ravagé la ville de Safi dans la nuit du dimanche 14 au lundi 15 décembre. Le dernier bilan communiqué par les autorités fait état d'au moins 37 morts et de 14 personnes hospitalisées, tandis que des dégâts lourds ont touché le centre-ville, avec des habitations et commerces inondés, sans oublier les dégâts matériels et l'impact sur les infrastructures. Interrogé sur cette séquence, Abdellatif Jouahri a d'abord rappelé le cadre institutionnel. Les arbitrages budgétaires relèvent du gouvernement, a-t-il rappelé, avant que l'autorité monétaire n'en mesure les effets de second tour sur l'endettement et sur les équilibres financiers de l'Etat, d'autant qu'une partie de l'effort se répercutera mécaniquement sur les budgets des collectivités locales. Dans le même mouvement, le gouverneur a renvoyé à l'exercice mené après le séisme d'Al Haouz, pour souligner qu'un choc, au-delà de l'émotion, finit toujours par se traduire, à terme, en trajectoire de dépenses et en besoins de financement. La caractère récurrent de ces épisodes climatiques – sécheresses, inondations – déplace le sujet du registre de l'exception vers celui du risque récurrent. C'est là que la finance verte devient, dans le discours de la Banque centrale, moins un label qu'un instrument de pilotage. Jouahri a insisté sur le travail engagé pour «préparer le terrain» afin que les banques intègrent davantage le financement vert dans leur offre, comme une réponse structurée. Dans ce contexte, Bank Al-Maghrib s'appuie sur un rapport publié avec la Banque mondiale, qui quantifie l'exposition du système bancaire aux chocs climatiques et en dégage les implications pour le secteur bancaire. Le rapport conjoint Bank Al-Maghrib – Banque mondiale, «Double Trouble ? Assessing Climate Physical and Transition Risks for the Moroccan Banking Sector» (avril 2024), met des ordres de grandeur sur cette vulnérabilité et en tire des priorités opérationnelles. Il montre notamment que, dans des scénarios défavorables, les pertes de PIB liées à la sécheresse peuvent atteindre 3,5 points, et que des scénarios d'inondations pluviales extrêmes peuvent générer des pertes annuelles de PIB jusqu'à 1,6%, avec des effets mesurables sur les indicateurs bancaires. Le rapport conclut à la nécessité de renforcer l'arsenal de superviseur bancaire— données, stress tests, intégration dans le suivi micro et macroprudentiel — afin que le risque climatique soit appréhendé à la hauteur de son impact, désormais tangible dans les bilans. En maintenant le taux directeur inchangé à 2,25%, le Conseil juge le niveau actuel approprié et dit vouloir fonder ses arbitrages, à chaque échéance, sur les données les plus récentes, dans un environnement particulièrement volatil. Dépassements de lignes de crédit : Jouahri annonce une réunion avec le GPBM le 8 janvier prochain Le wali de Bank Al-Maghrib (BAM), Abdellatif Jouahri, a annoncé, mardi à Rabat, la tenue d'une réunion avec le Groupement professionnel des banques du Maroc (GPBM) le 8 janvier prochain, consacrée notamment à l'examen de la question des dépassements de lignes de crédit et des taux qui leur sont appliqués par le système bancaire. À cette occasion, il a rappelé que la transmission de la politique monétaire n'est pas toujours intégrale, aussi bien en période de relèvement que de baisse des taux d'intérêt. Jouahri a ainsi souligné que, lors des phases de hausse des taux, la Banque centrale avait appelé les banques à adopter une approche fondée sur l'évaluation du risque et à examiner les dossiers au cas par cas. Concernant la baisse des taux débiteurs consécutive à celle du taux directeur, le wali de BAM a relevé l'existence d'un certain décalage, observé également dans d'autres pays, qu'il a attribué notamment à la forte proportion des contrats à taux fixe au Maroc, lesquels représentent environ 85% des encours. Ayoub Ibnoulfassih / Les Inspirations ECO