Huit ans après la première ouverture contrôlée du régime de change, Bank Al-Maghrib continue de plaider pour une trajectoire par paliers, conditionnée à des prérequis clairement identifiés. L'enjeu est de déplacer progressivement le risque, du régulateur vers les agents économiques. La libéralisation du dirham n'a jamais été formulée par les autorités monétaires comme une rupture. Huit ans après la première ouverture contrôlée du régime de change, l'enjeu relève d'une doctrine graduelle, qui entend passer, in fine, le relais à la main invisible du marché, mais sans pour autant renoncer au cadre de change et à ses garde-fous. Depuis la première étape engagée en 2018, puis l'élargissement opéré en 2020, le Royaume s'est installé dans un régime où le dirham fluctue dans une bande encadrée autour d'un cours central déterminé à partir d'un panier de devises, euro et dollar en tête. Abdellatif Jouahri, wali de Bank Al-Maghrib, a insisté lors du dernier Conseil sur ce point, le feu vert ne sera donné qu'une fois les conditions jugées suffisamment réunies pour préparer un passage, par paliers, vers davantage de flexibilité. Dans les échanges avec les investisseurs comme dans les prises de parole officielles, Bank Al-Maghrib rappelle que la flexibilité du dirham ne se décrète pas à l'aune d'un calendrier politique. Car, au-delà de la discipline macroéconomique, l'enjeu est de s'assurer que l'architecture tient, y compris en situation de stress. Cela suppose un marché interbancaire des changes suffisamment liquide, des instruments de couverture utilisés plus largement, et une capacité des entreprises à absorber des variations plus fréquentes sans transformer une fluctuation de change en choc de trésorerie. Transfert de risque Mais élargir la bande de fluctuation revient, mécaniquement, à déplacer une part du risque de change. Tant que le cadre est étroit, une portion de ce risque reste implicitement amortie par l'architecture du régime. En revanche, à mesure que la flexibilité s'accroît, l'exposition se déplace vers les agents économiques, en particulier un tissu productif tributaire d'intrants importés, dans une économie où l'énergie, les matières premières et une partie des équipements productifs sont, pour l'essentiel, importés. D'autant plus qu'une variation du change se répercute aussi sur les marges des entreprises, sur les besoins de financement, et, à terme, sur les arbitrages de prix. D'où la prudence affichée par Bank Al-Maghrib, qui entend éviter que l'ajustement du régime de change ne se traduise, par ricochet, en tensions inflationnistes. Couverture de change L'autre enjeu, plus opérationnel, touche à la capacité des entreprises à se doter d'une couverture face aux fluctuations du marché. Si les PME exportatrices, ou celles déjà structurées autour de trésoreries sophistiquées, disposent généralement des bons réflexes, la difficulté se concentre sur les TPE dont le pilotage financier se fait souvent à vue, avec des trésoreries plus tendues. Or, c'est précisément ce segment qui domine le tissu productif national, comme Bank Al-Maghrib l'a rappelé à propos du financement, de l'accompagnement et de la bancabilité des dossiers. Une flexibilité accrue du change, sans diffusion réelle des pratiques de couverture, reviendrait à ajouter une couche de volatilité sur des structures déjà contraintes, et donc à élargir l'écart entre les entreprises à même d'absorber le risque et celles qui le subissent. Là encore, la logique du régulateur consiste à sécuriser les préalables. 2026, année-test Huit ans après la première ouverture contrôlée du régime de change, Bank Al-Maghrib continue de plaider pour une trajectoire par paliers, conditionnée à des préalables très concrets. L'enjeu est de déplacer progressivement le risque, du régulateur vers les agents économiques. Jouahri indique que l'année prochaine doit servir de phase pilote du ciblage de l'inflation, présentée comme une étape d'une transition prudente vers un régime de change plus flexible, adossée à des appuis techniques. La banque centrale scrute de près un ensemble d'indicateurs (niveau des réserves, comportement du compte courant, conditions de financement externe, trajectoire d'inflation et anticipations, état de la liquidité, et capacité des banques à accompagner le marché en produits et en tenue de marché). Sans envisager, à ce stade, un flottement immédiat, les autorités monétaires visent une mise en place du ciblage de l'inflation à l'horizon fin 2026 ou début 2027, en soulignant que le tissu des petites entreprises n'est pas encore suffisamment armé pour absorber une flexibilité accrue du change. Ayoub Ibnoulfassih / Les Inspirations ECO