La CAN s'est ouverte à Rabat dans une ferveur populaire rarement vue. Plus de 60.000 supporters, un stade incandescent et une victoire nette du Maroc face aux Comores. Mais derrière l'euphorie collective, une autre réalité s'est imposée aux abords du stade Moulay Abdellah. Celle d'un marché noir structuré, visible et assumé, où des billets vendus à 150 dirhams ont changé de mains à plus de 1.000, parfois 3.000 dirhams, laissant au passage des sièges vides et un goût amer chez de nombreux supporters. À Rabat, en ce soir d'ouverture de la Coupe d'Afrique des Nations, tout semblait réuni pour une soirée parfaite. Les drapeaux rouges à l'étoile verte envahissaient les avenues, les familles se pressaient vers le stade Moulay Abdellah, les vendeurs ambulants faisaient tourner leurs commerces, et l'attente du premier match des Lions de l'Atlas électrisait la capitale. À l'intérieur, l'ambiance était à la hauteur de l'événement continental. À l'extérieur, pourtant, un autre spectacle prenait forme. Celui d'une billetterie parallèle, alimentée par la pénurie, l'urgence et la passion, et qui a profondément marqué cette soirée inaugurale. Des tribunes pas entièrement occupées À première vue, le stade semblait plein. Les tribunes vibraient, les chants descendaient en cascade, et les images d'une affluence record circulaient déjà. En y regardant de plus près, certains espaces restaient pourtant clairsemés. Des rangées entières, parfois en hauteur, parfois bien visibles, n'étaient pas occupées. Cette contradiction n'a échappé ni aux supporters ni aux observateurs. Comment expliquer des places vides dans un stade officiellement complet, alors que des centaines de personnes tentaient encore d'entrer quelques minutes avant le coup d'envoi. La réponse se trouvait hors du stade, dans cette zone grise où le billet devient marchandise spéculative. De nombreux billets avaient été achetés en amont dans une logique de revente. Tous n'ont pas trouvé preneur à temps, laissant des sièges inoccupés alors même que la demande restait forte. Une image saisissante, presque paradoxale, pour une ouverture de CAN présentée comme historique. Sur le papier, la grille tarifaire était pourtant accessible. Le match d'ouverture était proposé à 150 dirhams pour la catégorie la plus populaire, 300 dirhams pour la catégorie intermédiaire et 500 dirhams pour les meilleures places. Dans les faits, ces montants ont rapidement perdu toute signification. Aux abords du stade Moulay Abdellah, les discussions allaient bon train. Les prix se négociaient à la volée, au gré de l'heure, de la pression et de la rareté. Un billet acheté 150 dirhams pouvait être revendu à 1.000 dirhams sans difficulté. Certains supporters racontent même des propositions à 2.000 ou 3.000 dirhams, notamment pour des billets côte à côte. Othmane, jeune Marocain installé au Canada, était venu spécialement pour vivre cette CAN au pays. Il a fini par entrer, mais non sans difficulté. «J'ai réussi à l'avoir grâce à un ami de la famille, mais j'allais certainement payer plus», confie-t-il. Autour de lui, d'autres n'ont pas eu cette chance et ont dû choisir entre payer très cher ou renoncer. La double peine pour les couples et les familles La situation était encore plus complexe pour ceux qui cherchaient deux places ou plus. Un jeune couple rencontré à l'extérieur du stade raconte avoir payé 3.000 dirhams pour deux billets. «C'est malheureux, on voulait tellement venir mais on n'a pas réussi à avoir de billets sur la plateforme. Certains en ont profité pour réaliser des profits», témoignent ils, encore sous le choc. Pour beaucoup, l'achat n'était pas un choix mais une résignation. Après des tentatives infructueuses sur les canaux officiels, et des heures passées à rafraîchir des pages ou à attendre une notification, la revente apparaissait comme la seule option. Une option coûteuse, frustrante, mais souvent acceptée au vu de l'importance de l'événement. À mesure que l'heure avançait, la scène se répétait. Des groupes de revendeurs identifiables, des supporters qui approchent, des échanges rapides, parfois à l'écart des regards. Certains affichent clairement leur offre, d'autres opèrent dans la discrétion. Les montants varient, les promesses aussi. L'atmosphère est tendue. La peur de l'arnaque se mêle à l'urgence d'entrer. Certains repartent bredouilles, d'autres acceptent le risque. Cette économie informelle s'est imposée comme une extension non officielle de l'événement, tolérée de fait, mais jamais assumée. Facebook, cœur battant de la revente Bien avant le jour du match, le marché noir s'était organisé en ligne. Sur Facebook, des dizaines de groupes se sont créés en peu de temps. Les annonces y étaient publiées par centaines. Des billets pour presque tous les matchs de la CAN circulaient, toutes catégories confondues. Chaque publication attirait des dizaines de commentaires, preuve d'une demande massive et constante. Mais cette effervescence numérique avait aussi son revers. Les témoignages d'arnaques se sont multipliés. Des supporters racontaient avoir payé sans jamais recevoir de billet. D'autres expliquaient s'être fait bloquer après un virement. Les captures d'écran circulaient, les avertissements aussi, sans pour autant freiner le phénomène. La passion du football, couplée à l'urgence de l'événement, a créé un terrain idéal pour les abus. Dans ce chaos numérique, il devenait de plus en plus difficile de distinguer une vraie offre d'une escroquerie. Une fête populaire sous tension À l'intérieur du stade, la magie opérait. Les chants et la communion autour de l'équipe nationale ont rappelé pourquoi la CAN est un événement à part. Mais à l'extérieur, la frustration était palpable. Des supporters restaient bloqués aux portes, d'autres pestaient contre les prix, d'autres encore racontaient leur mésaventure sur les réseaux sociaux. Cette soirée inaugurale a mis en lumière une fracture entre l'ambition affichée d'une CAN exemplaire et la réalité du terrain. Tant que la demande restera supérieure à l'offre perçue, tant que les outils numériques resteront mal expliqués, le marché noir continuera d'exister, voire de prospérer. La CAN 2025 a commencé dans la ferveur et la victoire. Elle a aussi révélé, dès sa première soirée, les failles d'un système où la passion du football devient parfois un terrain de spéculation. Une face sombre qui contraste avec la fête, mais qui fait désormais partie intégrante du récit de cette Coupe d'Afrique au Maroc. Billets et accès au stade, comment ça marche L'accès aux matchs de la CAN repose sur un dispositif entièrement numérique, encore mal assimilé par une partie du public. Avant même d'acheter un billet, chaque supporter doit créer un FAN ID via l'application Yalla. Ce sésame est indispensable, car il conditionne l'activation et la validité du billet le jour du match. Une fois l'achat effectué sur la plateforme officielle de la Confédération africaine de football, les billets ne sont pas utilisables directement. Ils doivent être consultés et activés sur l'application AFcon tickets, seule interface reconnue pour l'entrée au stade. C'est également par cette application que s'effectue tout transfert de billet entre deux personnes. En pratique, un billet transmis par capture d'écran, message privé ou courriel n'a aucune valeur. Sans transfert officiel via l'application, l'accès au stade est refusé. Cette subtilité, souvent ignorée, a piégé de nombreux supporters, parfois après avoir payé des sommes importantes sur le marché parallèle. Cette chaîne numérique, pensée pour sécuriser l'accès, s'est ainsi transformée en terrain propice aux incompréhensions et aux fraudes. Beaucoup ne découvrent ces règles qu'aux portiques du stade, lorsque toute marche arrière devient impossible. Faiza Rhoul / Les Inspirations ECO