Quatorze ans après l'adoption de la loi sur la protection du consommateur, le Maroc a posé des jalons importants. Mais l'essor du commerce électronique, la lenteur réglementaire et la faiblesse du contrôle public révèlent les limites d'un système encore fragmenté. Dans un contexte de mutations rapides, la protection du consommateur apparaît plus que jamais comme un enjeu économique, social et démocratique. Si sous d'autres cieux, le consommateur détient un tel pouvoir qu'il peut influencer le marché, et par ricochet les marques. Au Maroc, la place du consommateur reste encore marginale. Certes, des avancées remarquables ont été réalisées depuis que le paysage s'est doté d'une loi dédiée à la protection du consommateur, mais le chemin demeure long et semé d'embûches. Pour Ouadie Madih, président de la Fédération nationale des associations du consommateur (FNAC), cette situation s'explique avant tout par le caractère récent du cadre juridique national et par l'absence d'une vision globale et structurée. «Comparé à l'Europe ou aux Etats-Unis, où la protection du consommateur s'est construite sur plus d'un siècle, le Maroc n'en est encore qu'aux fondations», observe-t-il. En effet, longtemps absent des textes réglementaires, le consommateur n'a commencé à émerger dans le droit marocain qu'au milieu des années 2000, avant que la loi de 2011 ne vienne consacrer son existence juridique. Dès lors, le paysage a incontestablement évolué. Les associations de protection du droit du consommateur se sont multipliées, même les professionnels intègrent progressivement la notion de droits du consommateur dans leurs discours. «Il y a une différence nette entre 2010 et aujourd'hui grâce aux mouvements consuméristes», reconnaît Ouadie Madih, tout en soulignant que ces avancées restent fragiles. Pour lui, l'absence d'un code de la consommation unifié, face à une réglementation encore morcelée, la protection du consommateur peine à suivre le rythme des transformations économiques et technologiques. Cette fragilité est d'autant plus visible, à mesure que les pratiques de consommation ont profondément changé. Le basculement accéléré vers le commerce électronique, notamment depuis la crise sanitaire, a mis en lumière les limites du dispositif actuel. Avec la prolifération de la vente à distance informelle, les professionnels sont difficilement identifiables. Des zones grises qui exposent le consommateur à des risques accrus, surtout que les mécanismes de contrôle et de sanction peinent à s'imposer. La loi existe, mais son application reste insuffisante. Au grand dam du consumériste, un décalage est observé entre les textes et la réalité du marché. Un cadre juridique morcelé Bien que le consommateur soit désormais présent dans le discours public, que 60 guichets consommateurs se soient déployés à l'échelle nationale et que le pouvoir d'ester en justice ait été octroyé, ces progrès restent timides. Pour cause, un cadre juridique incomplet et une vision institutionnelle encore incertaine. La loi en vigueur ne constitue pas un code de la consommation à part entière. Elle s'insère dans un ensemble dispersé de textes sectoriels, sans véritable cohérence globale. Cette fragmentation complique la lisibilité du droit, tant pour les consommateurs que pour les professionnels. Plus préoccupant encore, l'évolution des pratiques de consommation dépasse largement le rythme de production normative. C'est d'ailleurs le cas du commerce à distance, objet de plainte les plus fréquentes. Selon la FNAC, les mécanismes de régulation n'évoluent pas à la même allure. Il est vrai que la loi prévoit des mécanismes de contrôle et de sanction, mais dans la pratique, la mise en œuvre reste limitée. Les associations de consommateurs pointent une implication jugée insuffisante des administrations concernées. «Cette faiblesse du contrôle contribue à un phénomène de découragement. Face à des procédures longues, coûteuses et souvent disproportionnées par rapport au préjudice subi, de nombreux consommateurs renoncent à faire valoir leurs droits. Même le recours à la justice, pourtant renforcé, demeure un outil dissuasif. Les délais peuvent atteindre plusieurs années, pour des indemnisations parfois symboliques, alors que les frais engagés sont conséquents», déplore Madih. La compétitivité économique, un enjeu majeur Contrairement à une idée répandue, la protection du consommateur ne constitue pas un frein au développement économique, bien au contraire. Dans les économies les plus avancées, elle agit comme un levier de compétitivité. A ce sujet, le professionnel souligne qu'exiger des produits conformes, de qualité et à un prix correct incite les entreprises à améliorer leurs standards et renforce la confiance dans le marché. Au Maroc, l'enjeu dépasse la simple défense des droits individuels. Il s'agit de construire un environnement économique équilibré, où le consommateur, l'entreprise et l'administration jouent chacun leur rôle. Or, cette équation suppose une vision nationale claire, aujourd'hui encore absente, ainsi qu'un financement pérenne des structures de protection, prévu par la loi mais toujours en attente de concrétisation. Reste in fine, un acteur central, souvent négligé. Il s'agit du consommateur lui-même. Faute d'information, de culture juridique ou de confiance dans les mécanismes existants, il accepte, dans la plupart des cas, des pratiques qui vont à l'encontre de ses intérêts. Pourtant, son pouvoir est réel. En tant que client, il oriente la production, influence les standards et peut, collectivement, peser sur les politiques publiques. Maryem Ouazzani / Les Inspirations ECO