«La Confédération a présenté ses propositions du point de vue entrepreneurial dans les domaines économique et social», a déclaré Mohamed Horani, mardi dernier, à l'issue de la réunion qu'il a eue avec la Commission consultative de révision de la Constitution. En tout, le président de la CGEM a formulé 18 propositions qui concernent, selon ses dires, «la gouvernance économique, la représentativité des entreprises, la régionalisation et les valeurs universelles de l'économie de marché». Il faut dire qu'eu égard à l'ampleur de l'enjeu et surtout au rôle central de la Confédération patronale, le patron des patrons était attendu au tournant par les observateurs. Dans notre édition de mardi (Les Echos quotidien du 19 avril), nous nous demandions, d'ailleurs, si Horani irait jusqu'au bout en abordant les questions brûlantes de la séparation des pouvoirs et de l'influence des lobbys qui jouissent de positions dominantes. Finalement, sans faire dans le zèle, la Confédération a abordé ces points, de manière succincte, dans le mémorandum présenté à la CCRC. Les Echos quotidien a pu se procurer le document en avant première, en attendant la conférence de presse organisée hier en fin de journée au siège du patronat. Le document a été élaboré sur la base du discours royal du 9 mars. D'ailleurs, chaque proposition est précédée de l'extrait du discours qui en montre l'orientation. Aussi, sur la question de la séparation des pouvoirs, la Confédération rejoint les principes édictés par le Monarque, en plaidant que «l'Exécutif, le Législatif et le Judiciaire doivent être séparés», avant d'expliciter la proposition : «Le conseil supérieur de la magistrature doit être indépendant de l'Exécutif». Pour ce qui est des positions dominantes, le mémorandum aborde le sujet à travers le truchement de la garantie d'une concurrence libre et non faussée. Une loi anti trust «Ce principe n'est pas inscrit dans la Constitution actuelle», peut-on lire dans le document de la CGEM, avant de relever plus loin : «La loi devrait préciser que la concurrence libre implique entre autre l'interdiction du dumping, des ententes sur les prix, de la mise sous tutelle de la clientèle sous prétexte de fidélisation, de la contrefaçon et des positions de monopoles etc.». Sous cette formulation conservatrice, le patronat demande donc la promulgation d'une loi anti trust. Une grande première, qui si elle se concrétise, devrait permettre au pouvoir juridique de casser les différentes positions dominantes qui gangrènent le tissu économique national. La Confédération estime que le principe de concurrence libre, concrétisé par la constitutionnalisation, est la clé de voûte de l'économie de marché. Cette dernière constitue d'ailleurs un autre point phare des propositions du patronat. «Ce principe n'est pas inscrit explicitement dans la Constitution actuelle», stipule le mémorandum, même s'il concède que l'économie de marché est fondée sur des principes reconnus dans la Constitution en vigueur, tels que la propriété privée et la liberté d'entreprendre. La CGEM propose donc de constitutionaliser ce principe de manière explicite, à l'image de ce qui a été fait dans le traité de Lisbonne où on parle d'une «économie sociale de marché hautement compétitive, qui tend au plein emploi et au progrès social et à un niveau élevé de protection et d'amélioration de la qualité de l'environnement». Le volet social est d'ailleurs prépondérant dans les propositions du patronat. «Tout en défendant l'économie de marché, nous réaffirmons le droit constitutionnel de tous les citoyens de travailler. Nous soutenons ce droit et souhaitons que la Constitution puisse concilier la liberté d'entreprendre et le droit syndical, le droit de grève et la liberté du travail». Une position qui se veut citoyenne, mais qui devrait surtout échoir aux syndicats. D'ailleurs, le fait que le mémorandum utilise, pour ce cas le mot «souhaiter», là ou il utilise le mot «devoir» dans les autres propositions est fort édifiant sur l'état d'esprit de l'organisation patronale. La loi organique du droit de grève Cette dernière renoue avec le mot devoir, en l'occurrence pour demander que le droit de grève fasse l'objet d'une loi organique qui en régit les conditions d'exercice. Cette fois, le patronat est dans son rôle et défend l'activation de cette loi organique prévue par l'actuelle Constitution et qui n'a jamais vu le jour ! Il estime donc qu'il est nécessaire qu'elle soit «élaborée, adoptée et mise en œuvre». Par ailleurs, le patronat plaide aussi pour l'équité fiscale, «le pouvoir fiscal doit être encadré par la Constitution». Cela passe selon la proposition par une définition claire de l'autorité qui a le pouvoir d'édicter des normes en matière fiscale. La Constitution, selon la CGEM, devrait aussi énoncer un certain nombre de principes, qui limitent la liberté du législateur en matière de fiscalité. Ainsi, l'égalité devant l'impôt, l'encadrement par la loi organique sur la loi de finances des dérogations qui permettent le développement d'une fiscalité incitative, le respect des capacités contributives, mais aussi le principe du respect du droit de propriété, que l'on voit réapparaitre avec l'idée que la fiscalité ne doit pas avoir un caractère confiscatoire. Toujours au registre des propositions qui touchent à l'aspect économique, on note la demande patronale concernant la libre circulation des personnes, des biens et des services. La Constitution actuelle garantit dans son article 9 à tous les citoyens «la liberté de circuler et de s'établir dans toutes les parties du royaume». La CGEM demande que ce droit soit renforcé par la libre circulation des biens et services dans toutes les régions du royaume. Cette libre circulation est un corolaire obligé de la liberté d'entreprendre et un préalable à tout développement économique et social. En outre, le mémorandum de la confédération patronale met en avant d'autres propositions, qui n'ont pas un lien direct avec l'économie et les entreprises, mais qui contribuent à faire éclore un état basé sur des principes à même de donner à l'économie un cadre idoine de développement. Etat de droit, démocratie sociale, pluralisme, citoyenneté et séparation des pouvoirs sont donc autant d'exigences que la CGEM met en avant comme principes directeurs de notre philosophie de l'Etat. Un Etat avec lequel le patronat entend approfondir sa relation, sur la base d'un partenariat public-privé constitutionnalisé... Liberté de communication ou droit de rétention ! Parmi les propositions présentées par la CGEM au CCRC, figure celle de la garantie de la liberté d'expression et de communication. Selon l'article 9 de la constitution actuelle : «La Constitution garantit au citoyens : ...la liberté d'opinion, la liberté d'expression sous toutes ses formes et la liberté de réunion». Toutefois, la confédération patronale estime que cette liberté «doit être assortie des garde-fous nécessaires au respect de la vie privée, aussi bien sur le plan de la communication que sur le plan de l'exploitation des données informatiques». Le patronat demande donc le droit de rétention de l'information et il justifie : «La confidentialité constitue un élément déterminant dans la conduite de la gestion d'entreprise. La divulgation d'informations peut faire échouer une négociation ou peut favoriser les concurrents nationaux ou étrangers» et d'ajouter sur un ton plus tranchant: «Cette spécificité du monde des affaires doit s'imposer à liberté de communication qui doit s'adapter et prendre en compte ce que la loi française appelle les intérêts légitimes de l'entreprise ou ce que la cour de cassation en France appelle le secret des affaires». Cette doléance de restriction de liberté va à l'encontre de celles de la transparence communicationnelle portées par une majeur partie de la société, dont la presse indépendante, pour qui, la rétention de l'information n'a..., jusqu'ici, réussi qu'à taire des opérations douteuses ou des ententes tacites plutôt qu'à... défendre les intérêts légitimes des entreprises.