La première œuvre d'Oliver Laxe, «Todos vosotros sois capitanes», Vous êtes tous des capitaines, récit entre fiction et documentaire, est une histoire liée à un atelier de cinéma pour enfants situé à Tanger qui a conquis le public du 17e Festival international du cinéma d'auteur de Rabat. Une page noire troublée par des commentaires d'enfants, telle une chambre noire qui laissera peu à peu paraître les premiers signes de vie, stigmates des contours de ce projet mué en mouvements et en images ouvre la séquence. Des visages d'enfants alignés les uns aux côtés des autres dévorent l'espace d'une salle de classe. Tour à tour, enserrés par la caméra, figés avec une rare attention, leurs expressions est devenue grave, retenue par les paroles de leur institutrice : ils vont participer à un atelier de cinéma, qui donnera lieu à un film tourné en temps réel, un documentaire. Le réalisateur, Oliver Laxe,a choisi le noir et blanc, par souci esthétique ou pour dire les contradictions du monde qu'il va donner à voir ? L'opus rendra compte de l'expérience, des moments de vie de cette meute d'enfants vivant dans un centre social qu'on devine fortement liés les uns aux autres, autour de cette aventure cinématographique située à Tanger. La mythique cité du détroit, ayant attiré apatrides, exilés, âmes errantes, surnommé la «ville ragamophine» par Truman Capot, continue d'exercer sa fascination. Tanger, sa lumière crue, son vent d'est entêté, le franc-parler de ses habitants, sa ciné-génie se découpe dans les plans d'Oliver Laxe. Interprétant son propre rôle, Laxe apparaît à l'écran, expliquant aux gamins le déroulement du défilé d'images capturé par la caméra, qu'il dessine à la craie blanche sur le tableau noir. Un passage didactique «clair» selon lui, bien obscur et éloigné de la liberté de décision et de mouvement des enfants dans la réalité. Tous les enfants ne sont évidemment pas sages comme des images. Les comédiens qu'il a choisis ne sont ni adultes ni professionnels. Et c'est leur énergie débordante, leur absence de concession, leur tendance naturelle à improvisation qui va dicter la suite des événements. Le jeune réalisateur qui est espagnol s'adresse aux Tangérois dans sa langue maternelle et aux enfants en arabe, révélant l'âme multiple de la ville du Nord marocain. Interprétant son propre rôle, Laxe apparaît à l'écran, expliquant aux gamins le déroulement du défilé d'images capturé par la caméra. On retrouve ces enfants déambulant dans les rues, manipulant tous azimuts les ancêtres des premières caméras. On est à Tanger et ce film pourrait se dérouler en Cappadoce ou en Sicile. Le jeune cinéaste espagnol filme un récit contemplatif, aux éclats kiarostamiens, il s'attarde sur les lieux, les corps, le temps diffus du décor naturel. On pense immanquablement au premier court-métrage du cinéaste iranien, «Le pain et la rue», également filmé en noir et blanc, mettant en scène un enfant aux prises avec un chien. «Todos vos sodes capitans», Vous êtes tous des capitaines, le génie du titre renvoie au propos même du film, puisque le cinéaste est resté fidèle à la réalité de son projet. Au plus fort du tournage, et en raison de ses méthodes mal accueillies par les enfants, leur relation s'est délitée, et sérieusement dégradée, transformant les contours de son projet. C'est un homme que l'on sent seul qui se dévoile dans la seconde partie du film. A-t-il manqué de sagesse, d'écoute, d'observation face à ces enfants ? Difficile de répondre tant l'humain est complexe. Le son et l'image confèrent une respiration le temps d'une séquence musicale, amicale entre Oliver et Shakib Ben Omar, jouant de la guitare, dont le visage filmé au plus près approche ceux de certains personnages de Cassavetes «Tu es mon ami ?», lui demande le cinéaste, perdu. Plus tard, les enfants sont à nouveau face à la caméra, observant la ronde des poissons dans l'eau, indispensables au Nord, à Fnideq, si proche, comme la côte ibérique. Ce sont l'environnement, l'éclatante beauté brute, sauvage de Tanger et de ses enfants que l'on retient de cette première œuvre, inscrite à travers une partition poétique et à fleur de vérité.