L'amour et ses emportements extatiques ont assommé tout un chacun. Philosophes et écrivains y ont trouvé maintes interprétations, des plus sages aux plus enflammées. Passion dévastatrice, bulle éthérée, ou complicité profonde, chacun y est allé de sa version. Dans « Les jardin des amoureux », présenté à la Fnac jeudi dernier, Fatima Mernissi a suivi les déambulations linguistiques du grand philosophe arabe Ibn Quayyim el Jawziya qui, dans « Rawdat al-mouhibbin wa nouzhat al-moushtaqin » écrit au 14e siècle, a regroupé les 50 définitions de l'amour, les étayant avec des pensées soufies. Elle nous a livré un manifeste alléchant, à la fois concis et vaste, vaporeux et étayé, illustré et calligraphié, mettant au goût du jour les définitions de l'amour. Selon la romancière, les Arabes avaient, « dès le IXe siècle, à l'époque de l'écrivain et philosophe d'al Jâhiz, commencé à mettre des mots sur les émotions. 80 noms étaient donnés à l'amour à cette époque, et ce n'est qu'au XIVe siècle, avec Abi Quayyim que ces mots ont été réduits à 50 », a expliqué Fatima Mernissis « Le Jardin des amoureux» est un livre qui met en avant ces définitions, s'aidant des calligraphies de Mohamed Idali, et des illustrations des peintres Mohammed Bannour et Fatima Louardighi. Les commentaires en français de l'écrivain sont traduits en arabe par Fatima-Zahra Zryouil. L'écrivain a également rebondi sur le livre « Emotional intelligence » écrit par Daniel Coleman en 1995. Ce philosophe diplômé de Harvard, ex-journaliste au New York Times, a lié les origines à l'égoïsme aux émotions, ainsi que la capacité de l'homme à les comprendre et les exprimer, à les raisonner et les réguler. Dans un esprit ludique, Fatima Mernissi a lancé un débat passionnant, tenant à animer la rencontre, en proposant la lecture des différentes définitions de son livre, et incitant l'assistance, essentiellement féminine, à réagir. L'amour est-il « dépendance, errance, insomnie, compassion, sérénité, asservissement, anéantissement, amour lancinant, séduction, fascination, mélancolie, ou même « légère détérioration mentale, confusion mentale, folie… » ? Un débat houleux Les avis de l'assistance ont fusé, et le vécu féminin a primé. Il faut dire que le champ lexical est vaste, et le sujet s'y prête. D'autres ont sondé les complexités des deux langues et les méandres de la traduction. « Al suhd, la veillée », « al mahabba, affection, tendresse attentionnée, amour constant », « al iktiab, la mélancolie », « al istikana, la tranquillité, la docilité », « al hurq, l'amour incandescent »… Souriant souvent à l'écoute des commentaires, la romancière a conclu, non sans une certaine satisfaction : « Tel est l'objectif de ce livre, un débat sur l'essence de l'amour, sur ces mots qui en disent long, des mots qui titillent nos diversités, nos différences d'âge et de métiers». Et de conclure : « L'amour, c'est aussi savoir être à l'écoute ». Sociologue et écrivaine, Fatima Mernissi s'est fait connaître par ses écrits sur la femme et ses multiples ouvrages défendant les causes féminines et le vécu de la femme, au Maroc et dans le monde arabe. Jusqu'à son nouveau galon, expliquer l'amour. On aura tenté.