L'année 2010 a été charnière pour les magistrats de la cour des comptes. Cette dernière a effectué 120 missions au niveau des services de l'Etat, des entreprises et établissements publics et des collectivités territoriales. Des missions qui ont surpris les magistrats à cause des grands dysfonctionnements dans la gestion de la chose publique. Une situation calamiteuse dans la gestion du budget qui provoque un déficit continu des comptes publics. Le rapport a mis ainsi en garde contre cette mauvaise gestion qui coûte très cher à l'Etat, qui vit au dessus de ses moyens, selon ledit rapport. Toutefois, malgré la hausse régulière des dépenses d'investissements publics, à hauteur de 21 % du PIB par an, il n'y a pas eu d'impact positif sur le citoyen. Un grand bémol selon les magistrats. Ceci-dit, cette mauvaise gouvernance a eu des conséquences directes sur plusieurs fonctionnaires et responsables qui ont failli à leurs missions. La cour des comptes a décidé de saisir le ministre de la Justice concernant 13 affaires nécessitant une poursuite en pénal. De plus, 360 responsables ont été poursuivies par le parquet général devant les juridictions financières pour des faits liés au Budget et aux affaires financières. Egalement, le nombre des déclarations obligatoires du patrimoine a atteint, durant la même année, 95 053 dossiers. Le rapport a passé au crible la gestion et la gouvernance d'environ une soixantaine d'établissements publics, offices et collectivités locales. Présentation des dossiers les plus chauds. RAM Le rapport de la cour des comptes a réservé un grand chapitre à la compagnie aérienne marocaine. Après s'être attardé sur les dysfonctionnements de la compagnie sur la période 2004-2009, qui ont poussé Driss Benhima à entamer un plan de restructuration, les magistrats ont dressé un bilan morose de la gouvernance de la RAM et mis le point sur des pratiques toujours en application. Comme la rémunération et l'octroi des avantages non justifiés, sous formes d'indemnités kilométriques, aux membres du Conseil d'administration. Ce qui est contradictoire avec les dispositions réglementaires (circulaire 12/99 et 24/99 du premier ministre) interdisant l'octroi de primes en natures ou en espèces aux membres du Conseil d'administration des entreprises publiques. La cour des comptes déplore également une flotte surdimensionnée de la RAM, ce qui a engendré l'immobilisation de plusieurs appareils, un taux d'utilisation et un coefficient de remplissage faibles des avions. Ce qui a impacté considérablement la rentabilité de la compagnie. ONEP Ali Fassi Fihri a été épinglé par les magistrats de la cour des comptes. Et pour cause, plusieurs dysfonctionnements entachent la gestion de l'office qu'il dirige, l'ONEP. 80 pages ont été consacrées au cas de l'office national de l'eau potable (ONEP). On apprend, par exemple, que des estimations des investissements sont décalés avec la réalité. Et pour cause : l'ONEP ne dispose pas de visibilité par rapport à l'exécution des contrats-programmes, puisqu'il n'y a pas de contrat sur la période 2005-2008. De plus, l'ONEP ne publie pas son programme des marchés publics annuel. Ce qui provoque des écarts alarmants entre les prévisions et les réalisations, qui ont été estimés à peu près à 500 millions de dirhams sur la période 2005-2008. Résultat, des retards d'exécution qui dépassent parfois les 4 ans alors que les délais contractuels sont de 75 jours et 7 mois ! OCE Najib Mikou, DG de l'Office de commercialisation et d'exploitation (OCE) est dans une sale posture. Les magistrats de la Cour des comptes ont pu révéler des dilapidations de deniers publics et plusieurs manquements. Entre 2005 et 2009, les créances en souffrance de l'office n'ont pas cessé d'augmenter. Elles représentaient le montant faramineux de 354,5 millions de dirhams, et le plus inquiétant, c'est que 311 millions sont doûteuses. Pour la restructuration de l'Office, il y a eu une liquidation de nombre de biens, dont ceux immobiliers. Et c'est là où Mikou risque sa peau. Le DG de l'Office procédait lui même à l'ouverture des plis concernant des offres d'acquisition de lots de terrains, villas et autres appartements. Résultat, des prix bradés et décalés de la réalité. Le manque à gagner serait de 105 millions de dirhams. Des biens qui ont été concédés à plusieurs responsables de l'Office, profitant de l'opacité favorisée par Mikou. Petit exemple, un villa de 456 m2 à Casablanca a été vendue à 1 million de dirhams ! CDVM Dounia Taârji et Hassan Boulaknadal se partagent la responsabilité de plusieurs dérapages constatés au sein du Conseil déontologique des valeurs mobilières (CDVM) sur la période 2006-2010. Il y aurait des centaines de millions de dirhams gagnés de manière frauduleuse, des primes surévaluées, des ventes à découvert et de multiples manipulations de cours. Plusieurs affaires font froid dans le dos et impliquent directement les deux directeurs. Par exemple, la Cour des comptes dévoile que 5 suspects ont cumulé des gains injustifiés de 247 millions de dirhams. Après deux reports de l'examen du dossier en 2008, Taârji décide de classer l'affaire sans justification. Même constat auprès de Boulaknadal, qui a dû classer une affaire en avril 2010 par rapport à des délits d'initié et a écarté plusieurs suspects sans donner de justification. CNSS Alors que l'affaire des détournements par des responsables à la CNSS poursuit son processus judiciaire, la cour des comptes revient à la charge avec un rapport accablant sur les dépassements en termes de gestion de la caisse. On apprend, à titre d'exemple, qu'entre 2004 et 2010, la CNSS a dépensé environ 212 millions de dirhams pour l'informatisation de ses services. Ce volet n'a pas eu droit à un plan d'action et des mesures claires, ce qui a laissé libre cours aux improvisations de la part des responsables de ce dossier. Surtout lorsque les magistrats nous font savoir que la CNSS a acheté un serveur à 334 515 dirhams qui n'a pas été utilisé de façon optimale. Même constat pour la vidéo-surveillance qui a coûté la bagatelle de 3 millions de dirhams, sans même que le système ne soit installé. Du vrai gâchis et un véritable exemple de la mauvaise gouvernance qui sévit dans nos établissements publics. Autre fait édifiant, sur les 122 appels d'offres programmés en 2010, 25 ont été annulés. La principale raison est que la personne qui s'occupe des appels d'offre ne maîtrise pas la législation relative aux marchés publics ! Office des Changes Fait le bonheur des délégataires Qui aurait cru que l'Office des Changes marocain soit l'objet de telles incompétences en termes de gouvernance ? La cour des comptes a révélé en l'occurrence, des transferts illégaux de 31,38 milliards de dirhams entre 2005 et 2009 sur la seule rubrique « transfert au titre de l'assistance technique », une rubrique qui permet aux multinationales d'augmenter les bénéfices rapatriés à leur siège. Les entreprises concernées opèrent principalement dans les télécommunications ainsi que les délégataires de services publics. Ces derniers ont bénéficié du manque de contrôle de l'Office des Changes. Deux entreprises connues de la place ont effectué des transferts irréguliers de dividendes non prévus par les contrats de gestion déléguée, pour un montant de 208 millions de dirhams, sur la période 2004-2006.