Vous êtes ici : Actualités / A La Une / Enseignement : le roi remue le couteau dans la plaie De tout le règne, et même, dira-t-on, de tous les règnes au Maroc, jamais discours n'a été aussi critique, virulent dans sa forme et son fond, qui interpelle tout le monde. Il comporte à la fois, selon la méthode propre à Mohammed VI, le diagnostic et les remèdes, il va loin dans la dénonciation méthodique, acharnée même de notre système d'enseignement, de ses dérives, de son lamentable recul, bref de sa décomposition... Après avoir planté le décor sur la richesse des ressources humaines du Maroc et réaffirmé son attachement aux jeunes, le roi a construit son discours de quinze minutes, à travers une démonstration où prédomine son souci de l'évolution de l'enseignement, mais aussi de la société où les jeunes occupent une place de choix. L'enjeu est sociétal, on le ressent quand il déclare que « la volonté des marocains est d'assurer une bonne éducation à leurs enfants et de leur inculquer les hautes valeurs morales et les vertus de l'attachement aux constantes suprêmes de la nation, dans le cadre de la complémentarité entre la maison et l'école et de l'ouverture sur les innovations des temps modernes. » Ce propos est relayé ensuite par ce que l'on pourrait aisément qualifier de message, à la lumière des derniers événements survenus, au plan des mœurs, au début du mois d'août. Il décline la volonté royale d'affirmer son attachement à l'enfance marocaine, celle d'un père pour tous: « Nous considérons, affirme-t-il, que l'affection dont les parents entourent leurs enfants, et les responsabilités qu'ils assument pour les accompagner et instiller en eux les valeurs et les principes suprêmes, sont des facteurs clés de promotion sociale et de consolidation du développement intégré. ». Après avoir décrit rapidement le processus de développement que le Maroc a connu, marqué au sceau de grandes réalisations, d'infrastructures multiples et diverses, il a encore replacé l'éducation au cœur des préoccupations, la place qu'elle prend . Or, rectifie-t-il tout de suite , « le chemin à parcourir reste long et ardu pour que ce secteur puisse remplir son rôle de locomotive du développement économique et social. Car, en effet, la question pressante qui demeure posée est la suivante : comment se fait-il qu'une frange de notre jeunesse n'arrive pas à réaliser ses aspirations légitimes aux niveaux professionnel, matériel et social ? ». Le roi liste les dysfonctionnements L'interrogation royale contenue dans cette phrase est en elle-même tout un programme. Et c'est très peu dire qu'elle est, outre directe et claire, grave et sans concession. On remarquera, au demeurant, que d'un bout à l'autre de son discours , le souverain ne sacrifie ni à la langue de bois, ni aux artifices sémantiques. Il fait dans le mode de confrontation d'idées. « Ex abrupto » !… On pourrait ajouter qu'il exprime son courroux sans mettre de gants, une fois n'est pas coutume. Et d'ajouter dans le même souci de comprendre et d'expliquer : « Le secteur de l'éducation est en butte à de multiples difficultés et problèmes, dus en particulier à l'adoption de programmes et de cursus qui ne sont pas en adéquation avec les exigences du marché du travail. Ces écueils sont imputables également aux dysfonctionnements consécutifs au changement de la langue d'enseignement dans les matières scientifiques. ». Nous sommes à vrai dire confrontés à un dilemme : laisser le secteur s'enfoncer au prétexte qu'il faut maintenir le legs des traditions, ou l'ouvrir aux disciplines nouvelles, comme la culture du savoir, les nouvelles technologies, l'économie et le numérique ? Or, voilà donc le roi qui met le doigt là où, la paresse des esprits aidant, personne au niveau des responsables, n'a pu se hasarder pour décrire la descente aux enfers que le secteur continue de vivre depuis des décennies ! Il pointe et détaille, il n'accuse pas, il nous révèle la désastreuse et illusoire situation dans laquelle nous sommes restés plongés , alors que le monde évolue et change devant nous, perfectionne ses instruments pour atteindre à l'efficacité compétitive, et que notre enseignement, prisonnier des emprises – elles sont longues et perverses – reste décalé et en deça des espoirs d'un peuple et d'une nation ! La langue de l'enseignement, et les changements qu'elle subit , notamment pour ce qui est des matières scientifiques, le choix des contenus, les méthodologies et les programmes, le peu de cas fait aux exigences des temps modernes en termes de nouvelles technologies. Le chef de l'Etat fustige les calculs politiciens Le roi, tout à sa lucidité, a simplement qualifié certaines filières universitaires « d'usines à chômeurs, surtout dans certaines disciplines dépassées » ! Il en a appelé dans la foulée au renforcement de l'apprentissage des langues, comme aussi à une politique pour promouvoir la vertueuse tendance du Marocain à l'ouverture vers les cultures étrangères, étouffées jusqu'ici...L'analyse royale du secteur , montant en crescendo, a déploré l'abandon par le gouvernement actuel des acquis du Plan d'urgence, mis en place par l'ancien gouvernement, dirigé par Abbas El Fassi. (...) « Les efforts nécessaires, affirme-t-il, n'ont pas été entrepris pour consolider les acquis engrangés dans le cadre de la mise en œuvre du Plan d'urgence. Pire encore : sans avoir impliqué ou consulté les acteurs concernés, on a remis en cause les composantes essentielles de ce Plan, portant notamment sur la rénovation des cursus pédagogiques, la programme du préscolaire et les lycées d'excellence ». Ce qui pourrait s'apparenter à une mise en garde au gouvernement actuel qui, dit le souverain, « aurait dû capitaliser les acquis positifs cumulés dans le secteur de l'éducation et de la formation », est vite replacé dans son contexte. Et le roi de clamer sa colère : «En effet, il n'est pas raisonnable que tous les cinq ans, chaque nouveau gouvernement arrive avec un nouveau plan, faisant l'impasse sur les plans antérieurs, alors qu'il ne pourra pas exécuter le sien intégralement, au vu de la courte durée de son mandat. Par conséquent, le secteur de l'éducation ne doit pas être enserré dans un cadre politique stricto sensu, pas plus que sa gestion ne doit être l'objet de surenchères ou de rivalités politiciennes. » ! Sous cet angle, l'analyse de Mohammed VI du secteur de l'enseignement, de l'éducation et de la formation, menée impitoyablement au scalpel du réalisme, inscrite dans une logique de marché et d'emploi, procède d'une volonté de « remuer le couteau dans la plaie » ! Il n'est pas d'autre méthode pour secouer les consciences. Il en reconnaît lui-même l'impératif et l'urgence. « Prendre le parti , souligne-t-il, d'énoncer ce diagnostic sur la réalité de l'éducation et de la formation dans notre pays, peut sembler fort et sévère, mais cette démarche émane en toute sincérité et en toute responsabilité du cœur d'un père qui, comme tous les parents, porte l'affection la plus tendre à ses enfants. ». La réforme de l'enseignement, et donc de l'éducation et de la formation au sens large, a été placée depuis longtemps au rang des priorités. C'est « un serpent de mer », une sorte de mythe sur lequel se sont, l'un après l'autre, heurté tous les gouvernements. On comprend , en filigrane, que l'appel royal à la mise en œuvre de la Réforme, passe par la dénonciation d'une politique d'attentisme dans ce secteur. Comme si l'enseignement, et ce n'est la moindre vérité, relevait du lobby inamovible qui, au prétexte de sauvegarder les traditions, entendait enfoncer l'enseignement national dans les arcanes d'une médiocrité rampante, marginaliser les enfants des pauvres, et en face privilégier les fils des riches et un certain élitisme....