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Entretien avec Aymen Hacen « Il n'y aura jamais de guerre civile en Tunisie »
Publié dans L'observateur du Maroc le 25 - 03 - 2013

Lorsque nous avions présenté le livre de l'écrivain tunisien Aymen Hacen, dans une de nos précédentes éditions, nous étions convaincus qu'il se passait quelque chose de grave en Tunisie, même après la révolution du Jasmin. Son livre a pour titre « Le Retour des assassins ». Propos sur la Tunisie (janvier 2011-juillet 2012), paru chez Sud éditions en novembre dernier, et c'était déjà prémonitoire. L'assassinat de Ckokri Belaid, figure emblématique de cette Tunisie progressiste et laïque a donné à cet ouvrage une autre dimension. Entretien.
Nawrez Guesmi. Le 19 décembre 2012, à la Bibliothèque régionale de Sousse, le public présent vous a entendu prévoir, outre les actes mentionnés ci-dessus, des assassinats politiques. N'étant ni journaliste ni voyant, qu'est-ce qui vous permettait d'être aussi tranchant ?
Aymen Hacen. Je ne suis pas dans le secret des dieux. Je ne fais pas non plus dans la chiromancie ou les cartes. Mon métier consiste à lire et à écrire. L'Histoire, discipline que je pratique assidument, m'apprend à tout moment de rester vigilant, c'est-à-dire de décortiquer les mots et même les intentions de ceux qui les emploient. Déjà en janvier 2011, j'avais déclaré à un ami journaliste italien que les barbes et les bouts de tissus noirs vont inonder nos universités, nos rues, nos mosquées. J'avais en quelque sorte inspiré à un autre ami le dessin d'un cheval de Troie nommé « révolution du jasmin » duquel sortiraient, non Ulysse et des Grecs férus de philosophie, mais des fanatiques aveuglés par une espèce de théosophie aussi absconse qu'erronée.
Pourquoi avez-vous choisi comme titre pour votre livre Le Retour des assassins ? Qui sont les assassins que vous évoquiez ?
Il suffit de lire mon petit livre pour s'en rendre compte, mais je vais tout de même vous répondre en vous disant que le titre s'est imposé tout comme la réalité à laquelle nous sommes malheureusement aujourd'hui contraints. C'est rare pour un écrivain que le titre s'impose de la sorte. Mais, je crois, le contexte a imposé le texte, en ce sens que les textes dont est composé le livre défendent et illustrent « un vœu de Tunisie et de tunisité », que lesdits assassins abhorrent. Le parallélisme avec la secte des assassins de Hassan al-Subah semble exagéré, et néanmoins les assassins sont de nouveau parmi nous, menaçant, saccageant, frappant, insultant et tuant. Ceux-là sont ivres de haine et de mort. Sans doute l'embrigadement religieux est-il pour quelque chose, mais ce qui me paraît évident, c'est qu'ils obéissent au doigt et à l'œil à des chefs, peut-être à un chef, qui leur inculque ses propres valeurs et leur dicte ses propres projets. Les assassins exécutent les ordres supérieurs du chef suprême en vue d'un projet superlatif.
Je tiens aussi à préciser que le livre est très ironique et qu'il contient de l'humour noir. Ces projets-là, et malgré la réalité que nous vivons aujourd'hui — laquelle est tragique pour les individus et pour le pays —, finiront par faire long feu. Ces rêves sont périmés. La Tunisie du 20 mars 1956, celle du 13 août 1957, celle du 1er juin 1959, celle du 17 décembre 2010 et celle du 14 janvier 2011, sans oublier celle de la date historique du 7 novembre 1987 — qu'il ne faut pas oublier parce qu'elle a suscité l'engouement alors et pendant plusieurs années —, ne se laissera pas faire. Loin s'en faut.
Avec la perspicacité d'un des intellectuels tunisiens de la nouvelle génération, comment voyez-vous l'avenir de la « Révolution tunisienne » ? La foule que nous avons vue aux funérailles de feu Chokri Belaïd, ne vous a-t-elle pas rassuré un peu sur l'union infaillible des Tunisiens ou bien présumez-vous, comme certains le pensent, une guerre civile au sein de notre pays ?
Je voudrais commencer par la dernière partie de votre question. Non, il n'y aura jamais de guerre civile en Tunisie, du moins au sens classique du terme. Il y aura des remous et des violences, comme ceux auxquels nous assistons partout, mais pas de guerre civile. La Tunisie n'est pas un îlot isolé et encore moins une « république bananière ». Il existe, et je tiens à le dire haut et fort, un Etat tunisien avec des institutions dignes de ce nom. Je persiste à penser que l'Etat tunisien et les institutions qui sont les siennes s'obstineront à défendre leurs acquis en vue d'un Etat encore à venir.
Par ailleurs, la foule réunie autour de feu Chokri Belaïd a été là et sera toujours là pour défendre ces acquis et les projets qui naîtront de ceux-là. Cet assassinat abject nous a montré le vrai visage de nos ennemis. Si nos ennemis tuent, nous faisons face. S'ils saccagent, nous faisons également face avec la possibilité de reconstruire. Nous sommes des constructeurs, des progressistes et des modernistes convaincus. Les rétrogrades ne peuvent rien contre la flamme qui nous habite. L'Histoire en témoignera. C'est pour cette raison que je place cette superbe citation en épigraphe de mon livre : Quand Chou Enlai, le Premier ministre chinois, se rendit à Genève, en 1953, pour les négociations de paix destinées à mettre un terme à la guerre de Corée, un journaliste français lui demanda ce qu'il pensait de la Révolution française. Chou répondit : « Il est encore trop tôt pour le dire. » (Slavoj Žižek, in Robespierre : entre vertu et terreur, Paris, Stock, coll. « L'autre pensée », 2007, p. 9). Il faut, me semble-t-il, regarder devant soi et aller de l'avant.
Peut-on dire que feu Chokri Belaïd a servi son pays par sa disparition plus qu'étant en vie ?
Sans doute l'assassin de feu Chokri Belaïd ne s'attendait-il pas à ce que son acte ignoble soit aussi fédérateur. La Tunisie entière s'est réunie autour d'une figure, celle du Martyr, et d'une ultime citadelle, dont les pierres angulaires sont la foi en le progrès, la démocratie, la laïcité et la liberté. Seuls ceux qui n'ont pas pris part aux funérailles de feu Chokri Belaïd, les officiels et leurs épigones, par leur absence ou absentéisme, par leurs déclarations, par leur peur manifeste, par leurs contre-attaques absurdes, ont montré leur vrai visage. Bas les masques... C'en est fini d'eux et de leurs mensonges, même s'ils persistent à vouloir protéger les acquis fallacieux d'une « légitimité » qui n'a de légitime que le nom, et encore, vu que le pacte électoral s'est littéralement périmé le 23 octobre dernier. L'Assemblée Nationale Constituante — élue pour rédiger une Constitution en un an et pas un jour de plus — est aujourd'hui illégitime comme est illégitime le Gouvernement.
L'assassinat de Chokri Belaïd s'inscrit dans ce laisser-aller programmé pour qu'un seul parti puisse avoir la mainmise sur l'Etat. C'est que, comme tout l'indique, la notion d'Etat même ne semble rien signifier à ce parti ainsi qu'à ses épigones. Pour ce qui est de la branche fanatique de ce parti, alors n'en parlons même pas. Il ne s'agit pas — plus — d'accuser, mais de dire les choses aujourd'hui que le sang a coulé et qu'il risque de couler de nouveau. On nous parle de listes avec des noms à éliminer de figures nationales et même locales. Toutes celles et tous ceux qui dérangent doivent être réduites et réduits au silence. Silence qui a nom mort. La mort pour tous, y compris pour le peuple tunisien qui, de ce fait, devra courber l'échine et se taire une fois pour toutes.
Et si nous refusions de nous taire ? Et si nous décidions d'être légion contre ce fascisme en cours et aspirant à l'être par tous les moyens ? Chokri Belaïd a été assassiné, mais le martyre de Chokri Belaïd nous a montré que nous sommes onze millions de Tunisiennes et de Tunisiens prêtes et prêts à mourir comme lui.
Juste après le 14 janvier, on a remarqué que la femme tunisienne a été visée par des classifications et des « fatwas » absurdes venant de l'intérieur et de l'extérieur dans le but de l'éliminer du paysage sociopolitique et culturel, cherchant à l'incarcérer dans la maison du « chef de famille » (père ou mari) ou la voiler de toutes façons symboliquement aussi que concrètement. Pourquoi tout cela ? En quoi la femme tunisienne peut-elle menacer ceux-ci ? Qu'est-ce qui peut choquer en une femme libre, lucide, consciencieuse, brave comme le sont plusieurs Tunisiennes (en éliminant celles qui sont satisfaites de leur passivité), et dont on peut citer l'exemple de Madame Basma Khalfaoui, la veuve de feu Chokri Belaïd, ainsi que ses deux filles qui, malgré leur jeune âge, témoignent d'une audace et d'une ténacité incroyables ?
Je ne peux penser à ces trois dames de Tunisie sans éprouver une grande émotion. Non seulement les larmes me montent aux yeux, et c'est littéralement le cas, mais encore... comment dire ? L'épouse de feu Chokri Belaïd et ses deux filles sont à l'image de la femme tunisienne. Elles sont dignes, fortes, douces, combattantes et plus encore. Les mots, en l'occurrence, me manquent. Désormais, je comprends le combat qui était le sien et qui est le nôtre. Désormais, je comprends pourquoi naturellement je suis allé à la rencontre de Madame Basma Khalfaoui Belaïd pour lui offrir le jour de l'enterrement un petit bouquet de roses rouges et blanches. Cette dame est autant ma propre mère, ma sœur, ma fille, mon amie... Madame Basma Khalfaoui Belaïd et ses filles sont la Tunisie d'hier, d'aujourd'hui et de demain, et c'est, entre autres, pour elles que se battait le défunt. Noble cause entamée par les pères de notre nation, Taher Haddad, Farhat Hached, Habib Bourguiba... Le combat continue et elles triompheront. Leur triomphe sera celui des hommes de la Tunisie également. Ce sera en somme le grand triomphe de la Tunisie.
Paru dans L'Observateur du Maroc n°205


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