Entretien Pr Amal Bourquia, néphrologie, experte en éthique et communication médicales et présidente de la Société Marocaine Santé, Environnement et Innovation et de l'association REINS. L'Observateur du Maroc et d'Afrique : Vous êtes la première praticienne africaine à publier un ouvrage sur l'IA en médecine. Qu'est-ce qui vous a poussée à écrire ce livre aujourd'hui ? Pr. Amal Bourquia : L'IA transforme profondément la pratique médicale, offrant des opportunités majeures mais posant aussi des défis pour les médecins marocains et africains en général. Son intégration dans le système de santé nécessite une évaluation rigoureuse de la situation actuelle, notamment en matière d'accès aux technologies, de formation et d'acceptation. En Afrique, peu de voix médicales participent à cette réflexion, aussi en tant qu'autrice de 16 livres de médecine et d'éthique médicale, j'ai voulu offrir un regard médical, éthique et africain sur ces mutations, pour que nos praticiens aient une meilleure acceptation de l'IA. Ceci passe par la compréhension de ses bénéfices et de ses limites. Le médecin a une responsabilité morale et le devoir de discernement, son rôle est de protéger le bien-être du patient et de garantir la justesse des soins prodigués. Vous décrivez une médecine en pleine transition. Selon vous, quelles sont les mutations les plus marquantes que l'IA impose à la profession médicale ? L'intégration de l'IA dans le secteur médical, a ouvert la voie à une nouvelle ère de soins plus efficaces, de gestion médicale avancée et de prévention des maladies. Une transformation qui change la manière dont les soins médicaux sont dispensés. L'IA redéfinit le rôle du médecin avec l'aide au diagnostic, l'automatisation de certaines tâches, la personnalisation des traitements et fait émerger une médecine prédictive. Elle impose aussi une collaboration plus étroite entre soignants, data scientists et ingénieurs. L'IA redéfinit le rôle du médecin avec l'aide au diagnostic, l'automatisation de certaines tâches, la personnalisation des traitements et fait émerger une médecine prédictive. Les innovations sont nombreuses : télémédecine, robotique, blockchain, jumeau numérique...et convergent pour créer des solutions de support à l'activité des soignants en médecine. Il est donc primordial d'intéresser les médecins à l'IA en démontrant comment ces technologies peuvent améliorer les soins aux patients, la pratique médicale et l'expérience professionnelle. Vous insistez sur l'importance de préserver l'humain et l'empathie dans une médecine de plus en plus automatisée. Que devient la relation patient-médecin à l'ère des algorithmes ? La technologie et l'IA se mettent de plus en plus au service de la médecine mais malgré ces avancées, les médecins doivent être prêts à s'adapter, à se former. Ils doivent aussi établir des lignes directrices éthiques pour cette inévitable intégration de l'IA dans la pratique médicale afin d'assurer que les avantages de l'IA soit exploités en préservant la relation patient-médecin et la qualité des soins. L'IA transforme le rôle du médecin, qui peut actuellement être perçu comme une interface entre la machine et le patient. Cette transformation peut diminuer la qualité du lien humain, fondement de la médecine clinique. L'éthique impose de veiller à ce que l'IA complète sans remplacer la relation interpersonnelle. L'IA ne remplacera jamais l'écoute, l'empathie et la singularité du patient, elle peut, par contre, aider à renforcer cette relation en libérant du temps. Peut-on réellement coder l'intuition, l'écoute ou encore l'éthique médicale ? Quels sont les risques si on tente de les réduire à des lignes de code ? Ces dimensions relèvent de l'humain, du contexte et du vécu. L'innovation ne peut être uniquement pilotée par la science et la performance technique elle doit aussi intégrer le développement de l'éthique et avoir un objectif social. Cela nécessite une intégration précoce de la réflexion éthique dans le développement des applications de l'IA. L'IA ne remplacera jamais l'écoute et l'empathie Le cadre réglementaire et le parcours éducatif des médecins peuvent être actualisés afin d'orienter ce processus. Les coder, c'est risquer de perdre l'humanité et aller vers une médecine standardisée et déconnectée des réalités individuelles. Cependant l'énorme essor de l'IA en médecine fait que l'on commence à voir des structures hospitalières sans humain, ce qui peut nous effrayer sur l'avenir de la médecine et nous pousser à adopter de nouvelles règlementations visant à préserver l'aspect humain des soins médicaux. L'IA est souvent perçue comme une menace par les soignants. Comment convaincre les professionnels de santé qu'elle peut être une alliée plutôt qu'un substitut ? L'IA est un outil d'aide, pas un concurrent. Elle renforce la précision des diagnostics, la pertinence des décisions, réduit la charge administrative, et ouvre de nouvelles opportunités pour mieux soigner. Il faut donc initier les médecins aux outils d'IA avec des programmes de formation continue afin d'intégrer ces technologies dans le diagnostic, le traitement et la gestion des patients. Il est donc nécessaire de sensibiliser les médecins à son rôle dans l'amélioration des soins et la personnalisation des traitements, et surtout les accompagner et les rassurer en les aidant à apprivoiser l'IA. Ceci dans l'objectif d'améliorer les soins dans l'intérêt des patients sans pour autant risquer d'être remplacé par elle. Avec l'essor de l'IA, le patient devient-il un simple objet de données ou un acteur plus autonome de sa santé ? Comment redéfinir sa place dans cette nouvelle médecine connectée ? L'évolution de la relation patient/médecin fait que le patient devient un partenaire actif, mieux informé et impliqué. Le développement de l'IA en médecine doit être accompagné d'une vigilance constante de son usage éthique. Il est surtout important de veiller à respecter la transparence dans le traitement des données, le soutien aux patients dans l'utilisation des outils IA, le respect du secret médical et le droit des patients à décider qui peut accéder à leurs données et dans quel but. Le développement de l'IA en médecine doit être accompagné d'une vigilance constante de son usage éthique. L'IA peut renforcer son autonomie, à condition d'assurer la transparence, la protection de ses données et un accompagnement humain dans l'interprétation des résultats. Dans un contexte marocain et africain où les défis d'accès aux soins sont réels, comment l'IA peut-elle être un levier d'équité ? L'IA en médecine ne peut être simplement performante, elle doit être juste, transparente, explicable et humaine. Les outils de l'IA doivent assurer une égalité́ de traitement des personnes, sans discrimination, et permettre une prise en charge équitable des situations similaires. Les charges et les avantages des procédures de soins, en particulier les traitements, doivent être répartis équitablement, sans discrimination. La justice et l'équité sont des principes éthiques en médecine qu'il faut absolument respecter. L'IA peut aider à combler les inégalités si elle est adaptée à nos contextes: applications simples, langues locales, faible coût, usage hors des centres urbains... Elle doit être pensée comme un outil d'inclusion qui n'est pas réservé uniquement aux pays ou aux patients les plus connectés.