« En prenant ma douche un jour, j'ai découvert une séries de ganglions dans mon sein gauche. Prise de panique, j'ai consulté aussitôt un médecin. Après examen clinique et mammographie, on m'a diagnostiqué un cancer du sein. C'était un choc pour moi, pour mon mari, mes enfants et pour toute la famille », raconte Fatine, 45 ans, employée. « J'étais en état avancé et les médecins ont dû pratiquer une ablation. C'est l'un des moments les plus durs de mon existence... J'en avais le corps et l'esprit mutilés. J'aurais pu sombrer dans une dépression sévère sans le soutien des miens. Sans eux, je n'aurais pas survécue », poursuit cette survivante avec gratitude. Son témoignage, plein d'émotion, illustre le vécu de milliers de femmes marocaines confrontées à ce fléau silencieux qui frappe sans prévenir. Problème de santé publique Véritable problème de santé publique, le cancer du sein est le premier cancer féminin au Maroc. Les chiffres sont sans appel : 40.000 nouveaux cas de cancers sont diagnostiqués chaque année, dont plus du tiers concerne le sein. « Au Maroc, le cancer du sein est le cancer le plus répandu : plus d'un cancer sur cinq diagnostiqués (hommes et femmes) est un cancer du sein (22,6 %), et environ quatre cancers sur dix diagnostiqués chez la femme sont des cancers du sein (38,1 %). Chaque jour, 34 cas de cancers du sein sont diagnostiqués, soit 12.000 cas par an, et 11 femmes en décèdent, soit 4.000 décès annuels », explique Dr Tayeb Hamdi, médecin et chercheur en politiques et systèmes de santé. On estime qu'une femme sur 10 fera un cancer du sein au cours de sa vie, et qu'en général une femme sur 25 décédera d'un cancer du sein. Le Maroc n'est pas seul face à cette menace. « Le cancer du sein est également le cancer le plus répandu au monde : en 2020, 2,26 millions de cas ont été recensés et 685.000 décès. Les cancers du sein se placent désormais en première position des cancers, dépassant pour la première fois les cancers du poumon, relégués en deuxième place », rappelle Dr Hamdi. Dépistage, chance de survie Loin d'être une fatalité, le pronostic du cancer du sein dépend largement de sa détection précoce. « Heureusement, le cancer du sein est parmi les cancers qui ont les meilleurs pronostics s'il est détecté et pris en charge tôt, avec le moins possible de complications et une survie presque normale. Mais s'il est diagnostiqué tardivement, les traitements, les complications et les séquelles sont plus lourds, et la survie très abaissée », insiste l'expert. Dr Tayeb Hamdi Pour cela, il recommande des gestes simples mais vitaux : « Pratiquer une mammographie tous les deux à trois ans dès l'âge de 50 ans reste le moyen le plus efficace pour détecter les cancers du sein précocement et assurer une meilleure prise en charge, avec plus de chances de guérison ». D'après le spécialiste, il faut également apprendre aux femmes dès l'âge de 25 ans à faire l'autopalpation mensuelle de leurs seins après la période des règles. « Un geste qui reste un moyen important et efficace pour déceler tout changement. Pour les femmes avec des facteurs de risque, ces examens sont proposés bien avant l'âge de 50 ans », insiste Dr Hamdi. Facteurs de risque Quels sont donc ces facteurs de risque ? D'après Hamdi la moitié des cancers du sein apparaissent chez des femmes qui ne présentent aucun facteur de risque spécifique, mis à part le sexe et l'âge. Ceci dit, parmi les facteurs de risques qui prédisposent à un cancer du sein, il cite le sexe : « 99 % des cancers du sein concernent les femmes et 1 % seulement concernent les hommes ». 'âge constitue également un facteur de risque car près de 80 % des cas apparaissent après 50 ans. Les antécédents personnels ou familiaux (cancer du sein, de l'ovaire, de l'endomètre). « Il y aussi les facteurs de risque liés au mode de vie pouvant favoriser l'apparition du cancer du sein :Tabac, alcool, surpoids et manque ou absence d'activité physique. Ceci sans oublier les prédispositions génétiques à ce type de cancer », énumère le médecin. Rappelons qu'au Maroc, les cancers les plus fréquents chez la femme sont celui du sein (38,1 %), la thyroïde (11,3 %), le col de l'utérus (8,1 %), le côlon-rectum (6,9 %) et l'ovaire (4 %). Chez l'homme, le cancer du poumon (25,6 %), la prostate (13,6 %), le côlon-rectum (8,9 %), la vessie (5,4 %) et le lymphome non hodgkinien (4,5 %). Octobre Rose, l'heure est à la mobilisation Chaque année, le mois d'octobre devient un moment fort de sensibilisation et de mobilisation. Mais pour beaucoup d'acteurs de terrain, la lutte ne doit pas se limiter à une campagne ponctuelle. Dar Zhor et l'association Chifaa, deux acteurs de la société civile qui oeuvrent en première ligne dans la lutte contre le cancer et ses répercussions socio-psychologiques. Véritable maison d'accueil, Dar Zhor offre hébergement, accompagnement et soutien moral aux patientes démunies, souvent venues de régions éloignées pour suivre leurs traitements. Ce lieu incarne la solidarité en action et redonne dignité aux femmes touchées par le cancer. L'Association Chifaa, de son côté, s'illustre par l'organisation de campagnes de dépistage gratuit, de sensibilisation auprès du grand public et l'accompagnement psychologique et social des patientes. Elle œuvre aussi pour la formation des professionnels de santé et l'organisation de congrès scientifiques pour une lutte efficace et à jour des grandes avancées internationales en la matière. Par leurs actions, ces deux exemples, rappellent que la lutte contre le cancer du sein ne se joue pas uniquement dans les hôpitaux, mais aussi au cœur de la société, grâce à l'entraide et à la mobilisation citoyenne. Entretien "La réinsertion sociale et professionnelle fait partie intégrante de la guérison" Pr. Nawfel Mellas Pr Nawfel Mellas, président de l'Association Chifaa et chef du service d'oncologie au CHU Hassan II À l'occasion d'Octobre Rose, l'Association Chifaa organise, le 15 octobre à Fès, une journée d'étude sous le thème : « Prendre soin de la femme marocaine atteinte du cancer du sein : vers une approche globale de diagnostic, de prise en charge et de soutien ». Son président, Pr Nawfel Mellas, plaide pour une approche globale alliant dépistage précoce, prévention active, accompagnement psychologique et social, lutte contre les idées reçues et protection des droits des patientes. L'Observateur du Maroc et d'Afrique : Vous insistez sur l'importance du dépistage précoce du cancer du sein. Quelles sont aujourd'hui, au Maroc, les principales limites à une détection rapide et quelles solutions concrètes proposez-vous ? Pr Nawfel Mellas : Le dépistage précoce reste un défi majeur. Aujourd'hui, les limites résident dans l'insuffisance des campagnes de sensibilisation et de communication auprès du grand public, mais aussi dans le nombre réduit de centres de dépistage, concentrés dans quelques grandes villes. Or, plus le diagnostic est tardif, plus la prise en charge est lourde et les chances de survie réduites. Pour inverser cette tendance, il faut assurer une sensibilisation continue, tout au long de l'année, et non seulement en octobre. Il est également urgent de multiplier les centres de dépistage dans toutes les régions du Royaume, afin de rapprocher ce service vital des femmes qu'elles soient dans les zones urbaines ou rurales. Au-delà du dépistage, quelles stratégies de prévention plus efficaces devraient être mises en place ? La prévention repose avant tout sur un mode de vie sain. Cela passe par une activité physique régulière, la lutte contre l'obésité, le maintien d'un bon équilibre psychologique et une alimentation saine. Ce sont des gestes simples mais qui, cumulés, réduisent considérablement le risque de développer un cancer du sein. Le cancer du sein ne touche pas seulement le corps, mais aussi l'esprit et l'entourage. Quel soutien psychologique et social pour accompagner au mieux les patientes et leurs familles ? Le soutien psychologique et social est fondamental pour la réussite de tout projet thérapeutique. Trop souvent, la patiente est perçue à travers un regard de pitié ou d'infériorité, ce qui fragilise son moral et son intégration. La société civile a un rôle clé à jouer pour transformer ces représentations et soutenir les femmes dans leur combat. Mais au-delà de ces actions, il est nécessaire d'avancer vers un cadre législatif protecteur, garantissant les droits et renforçant le statut social des patientes. Idées reçues et préjugés autour du cancer restent très présents. Quels sont, selon vous, les plus dangereux et comment les combattre ? Les fausses croyances autour du cancer sont multiples. L'une des plus dangereuses reste que le cancer serait une maladie transmissible. Ce type d'idée renforce la stigmatisation et l'isolement des patientes. Pour lutter contre cela, il faut promouvoir une information fiable, diffusée par des professionnels de santé et des spécialistes en oncologie. Nous avons aussi besoin d'un cadre législatif capable de contrôler la circulation des fausses informations sur le cancer dans les médias et sur les réseaux sociaux. C'est une question de santé publique. Concrètement, comment la famille, les associations et le monde du travail peuvent-ils contribuer à la réintégration des malades après traitement ? La réinsertion sociale et professionnelle fait partie intégrante de la guérison. Cela nécessite d'abord des textes de loi qui protègent les patientes contre la perte de leur emploi en raison de leur maladie. La famille, quant à elle, joue un rôle central pour restaurer la confiance et accompagner la femme dans son quotidien. Enfin, le tissu associatif reste un maillon essentiel, en offrant un soutien psychologique et en facilitant une réintégration progressive dans la société.