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Entretien exclusif avec le Premier Secrétaire du Parti socialiste français, Jean-Christophe Cambadélis – Le PS sans complexe

C'est durant notre entretien avec Jean-Christophe Cambadélis que l'Elysée a annoncé par communiqué le nouveau gouvernement. Le patron des socialistes reçoit la liste des ministres, qu'il lit avec un ton enjoué et une mine ravie. Soucieux de réunir la gauche pour la présidentielle de 2017, Jean-Christophe Cambadélis ne cache pas sa satisfaction et affiche un large sourire d'approbation pour l'entrée de nouveaux ministres issus de la gauche radicale et des écologistes. Ce gouvernement remanié est une ultime tentative pour réunir une gauche divisée.
François Hollande a profité du départ de Laurent Fabius du Quai d'Orsay pour effectuer son quatrième remaniement. C'était le deuxième départ après celui de Christiane Taubira. L'ancienne garde des Sceaux a démissionné de son poste de ministre quelques jours avant le vote pour marquer son opposition ferme au texte relatif à l'extension de la déchéance de nationalité aux binationaux, nés Français.
Pour rappel, trois jours après les attaques du 13 novembre dernier à Paris, le Président français s'était exceptionnellement exprimé devant le Parlement réuni en congrès à Versailles. Pour faire face à la menace terroriste, François Hollande avait annoncé un nouveau «régime constitutionnel» pour l'état d'urgence et une extension de la déchéance de nationalité aux binationaux, nés Français. Si l'article concernant la procédure de l'état d'urgence a fini par faire consensus, l'article 2, portant sur la déchéance, a fortement divisé les députés, y compris au Parti Socialiste (PS).
Le Premier Secrétaire du PS, Jean-Christophe Cambadélis a dû quant à lui jouer aux équilibristes. Le patron des socialistes s'est retrouvé pris en étau. Tiraillé d'un côté par des élus PS qui refusent de voter le texte initial de François Hollande sur la déchéance de nationalité et un exécutif pressant qui a besoin des 3/5ème du Congrès pour constitutionnaliser le projet de «Protection de la Nation». À la recherche d'un compromis, alors que lui-même estime que la déchéance «n'est pas une idée de gauche», Cambadélis obtient du gouvernement la suppression de la référence aux binationaux. L'article passe de justesse à l'Assemblée nationale avec 162 suffrages contre 148. Le texte est loin de créer l'union nationale comme l'espérait le Président français.
Pour décortiquer ces questions d'actualité et bien d'autres, dont la coopération franco-marocaine, en plus de sujets internationaux, notamment la lutte contre le terrorisme en Afrique, la crise des réfugiés, la guerre en Syrie, notre correspondante à Paris, Noufissa Charaï a interviewé, pendant plus de cinquante minutes, le Premier Secrétaire du PS dans son bureau, au siège du parti, rue de Solférino.
L'Observateur du Maroc & d'Afrique : D'abord cette question d'actualité, êtes-vous satisfait de l'élargissement du nouveau gouvernement ?
Jean-Christophe Cambadélis : C'est un élargissement de l'assise gouvernementale qui permet de s'approcher de ce que fut le premier gouvernement de Jean-Marc Ayrault avec des socialistes, des écologistes et des radicaux. C'est un gouvernement arc-en-ciel. Ce remaniement élargit donc la base gouvernementale et nous en avions besoin.
Que répondez-vous aux critiques notamment à gauche qui estiment que ce remaniement est finalement un calcul politicien visant clairement à préparer les prochaines élections ?
Dans une époque où le « jamais content » l'emporte sur tout autre chose, cela n'est pas étonnant. La sortie de la ministre de la Justice conduisit à la critique d'un gouvernement à base réduite. L'élargissement aux écologistes fut tout autant critiqué… Ainsi va la France !
Plusieurs personnalités de gauche réclament une primaire pour 2017. Vous y êtes favorable ?
En rencontrant les responsables de cet appel, j'ai affirmé « nous avons un regard bienveillant sur les primaires ». D'ailleurs, deux responsables ont été désignés pour le comité d'organisation de cette échéance. Nous sommes en faveur d'un candidat de toute la gauche, et que l'ensemble de la gauche puisse désigner un candidat unique. C'est la raison pour laquelle nous avons accepté des participations aux débats qui vont être organisés avant les primaires.
François Hollande n'est donc plus candidat naturel du PS. Pourrait-il y avoir d'autres candidats, notamment parmi les frondeurs ?
C'est un débat que nous n'avons pas encore eu et qui n'est pas tranché. Je ne pense pas que le PS puisse se permettre de présenter plusieurs candidats à la primaire. Cela amènerait à sa destruction et à l'affaiblissement de notre candidat final. Il faudra réfléchir à la présentation maitrisée des candidats PS s'il y en a. Ceci dit, ma position, à titre personnel, c'est qu'il y ait un seul candidat PS dans ce type de primaire.
Jean-Luc Mélenchon a annoncé sa candidature à la Présidentielle, cela compromet de facto votre volonté d'une primaire de toute la gauche.
Jean-Luc Mélenchon fait son choix. C'est classique et en accord avec ce qu'il pense. Il estime que la présidentielle c'est la rencontre d'un Homme avec un pays. C'est une vieille vision gaulliste et c'est sa vision de la Vème République même s'il défend la VIème République. Déjà lorsqu'il était au PS, il n'aimait pas la primaire. Il n'y a pas de raison qu'il y soit favorable maintenant qu'il n'est plus membre du parti. D'autant qu'il a tiré un trait sur ce qu'il appelle « les vieilles représentations politiques ».
L'alliance populaire constitue votre nouvelle bataille. Pourtant la gauche est divisée, y compris au PS. Croyez-vous toujours à cette alliance ?
Cette Alliance est une construction originale visant à rassembler, au-delà du PS, principalement le réseau associatif et des personnalités qui partagent avec le PS l'idée de répondre au défi de notre époque. Le problème, aujourd'hui, n'est plus de rassembler la gauche au second tour, c'est d'être au second tour !
Si l'Alliance populaire commence à se mettre en mouvement, si les gens encartés sont minoritaires par rapport aux citoyens dans cet appel… Bref, si l'Alliance populaire déclinée sur le territoire est un succès, nous allons peser sur nos partenaires verts et communistes afin de construire une alliance beaucoup plus grande.
Le dernier sujet de discorde est le projet de loi sur la «Protection de la nation » qui a été approuvé par les députés. Le texte ne fera pas référence aux binationaux. Finalement c'est « la déchéance pour tous » au risque de permettre la création d'apatrides ?
Par ma voix, le Parti Socialiste (PS) a demandé à ce que le terme «binationaux» ne soit pas inscrit dans le marbre de la constitution. Nous étions en faveur d'une mesure de «flétrissure» de ceux qui avaient pris les armes contre la nation. Nous voulions aussi sauvegarder l'union nationale et cela nous a obligé à utiliser des «expressions»que la droite pouvait voter. Pour l'apatridie, nous étions contre. Au final, le PS a été satisfait des corrections apportées au final au texte…même si beaucoup y sont toujours opposés.
Le président du Sénat Gérard Larcher (LR) a annoncé sa volonté de revenir à la version initiale du projet de François Hollande, qui visait à étendre la déchéance de nationalité aux binationaux nés en France. Le projet constitutionnel risque-t-il de faire l'objet d'une réécriture au Sénat ?
Pour cela il faut une majorité, or le Sénat est composite et la droite divisée. Les élus Les Républicains (LR) à l'Assemblée nationale ont voté le texte sans le terme «binational». Il n'y a pas de raison pour que les sénateurs du même camp votent différemment. Le Parti Socialiste ne suivra évidemment pas l'appel de monsieur Larcher, le Parti Communiste sera globalement contre et les écologistes aussi. Les centristes, eux, demandaient «la déchéance pour tous». Au final, monsieur Larcher n'a pas la majorité de sa posture.
Mais dans les faits, seuls les binationaux sont «expulsables» du territoire français en cas de déchéance. Seraient-ils les seuls visés au risque de créer deux catégories de citoyens ?
D'abord, nous parlons de terroristes ayant commis des crimes de sang. Ensuite, c'est déjà le cas parce que nous avons la déchéance et l'expulsion possibles. Enfin les expulsables non expulsés restent.
Pourtant la gauche comme la droite s'accordent à dire que cette mesure est inefficace dans la lutte contre le terrorisme. Pourquoi la maintenir ? Pourquoi ne pas s'en tenir à la loi sur l'indignité nationale ?
Parce qu'il fallait l'unité nationale! J'aurais préféré des formules «plus socialistes», mais nous n'aurions pas eu les votes de la droite. Il n'y aurait donc pas eu de constitutionnalisation de la procédure d'urgence. La difficulté est de réunir les 3/5ème et pour cela il faut satisfaire tout le monde. Nous aurions pu faire une loi simple puisque nous avons une majorité à l'Assemblée nationale. Mais nous avons décidé de constitutionnaliser certaines mesures. Et pour cela il faut les 3/5ème.
Le quart de l'hémicycle était présent pour voter le premier article du projet de loi de révision constitutionnelle. L'abstentionnisme des électeurs additionné à l'absentéisme des députés ne créent-ils pas un vrai problème de représentation et de légitimité ?
Les parlementaires ne sont pas astreints à une présence pour tous les sujets. Ce n'est pas une tradition et d'ailleurs il ne l'est dans aucun parlement. Et les amendements sont moins importants. En revanche, pour le vote sur la constitutionnalisation de l'état d'urgence, par exemple, tout le monde a voté, et quand il y a eu débat sur l'article 2, les parlementaires étaient présents.
La présence n'est pas obligatoire mais le sujet divise. Est-ce responsable de ne pas voter ?
Au moment du vote, il y avait la commission des affaires étrangères qui traitait du bombardement d'Alep. Il y avait au moins 40 parlementaires. Le travail parlementaire ne se fait pas seulement dans l'hémicycle. Il se fait en commission et sur le terrain. Le paradoxe c'est que quand je suis dans l'hémicycle, mes électeurs me reprochent de ne pas être présent en circonscription. Et quand je suis en circonscription, on me reproche de ne pas être dans l'hémicycle.
Emmanuel Macron s'est opposé à Manuel Valls sur la déchéance de la nationalité, s'attirant ainsi la sympathie des frondeurs. Christiane Taubira a même claqué la porte. Au départ, vous aviez vous-même dit que ce n'était «pas une idée de gauche», vous le pensez toujours ?
Bien sûr que ce n'est pas une idée de gauche! Le dire est une tautologie. Nous n'avions pas voté cette proposition dans nos congrès, ce n'était pas dans notre programme. Mais pour modifier la constitution, il faut les 3/5ème du parlement. L'union nationale est indispensable. Pour la gauche, il ne faillait pas faire mention aux binationaux mais il fallait également prendre en compte la sensibilité de la droite. Ce n'est certes pas une idée de gauche, mais la déchéance de nationalité était déjà pratiquée, le Code Civil la permettait et le Conseil Constitutionnel avait indiqué qu'il n'était pas défavorable à cette pratique via une question prioritaire de constitutionnalité. Encore une fois, c'était pratiqué auparavant mais ce n'était pas constitutionnalisé. Maintenant, la déchéance sera constitutionnalisée et pratiquée. Honnêtement, même si ce n'est pas une idée de gauche dans les faits, cela ne change pas grand chose.
La lutte antiterrorisme est aussi un sujet qui divise. Manuel Valls estime qu'«expliquer le jihadisme, c'est déjà vouloir un peu excuser» quand Emmanuel Macron parle de «terreau» favorable. Quelle est votre position ?
Il n'y a aucune justification mais il peut y avoir des explications. Evidemment que les actes terroristes sont injustifiables, mais il faut réfléchir aux causes pour pouvoir les combattre. Il est important de connaitre les raisons qui ont poussé certains jeunes français à se radicaliser et qui les ont poussés à prendre les armes contre d'autres Français. C'est une polémique qui a été médiatiquement grossie. Le Premier ministre n'est pas contre l'explication, il est contre la justification.
La France est très en retard en comparaison avec ses voisins européens sur la déradicalisation. Pourquoi ce retard alors que le problème n'est pas nouveau, et comment le rattraper ?
La première raison est que nous avons laissé une grande partie du travail sur le terrain aux associations qui font, je le souligne, un travail extraordinaire. Notre système qui a ses faiblesses et ses qualités, à savoir «l'intégration à la française», implique qu'il n'y ait pas d'actions spécifiques pour une population spécifique. En Angleterre, par exemple, c'est un système communautaire. C'est donc la communauté qui prend en charge sa propre communauté. En France, si nous avions engagé une action en direction d'une partie spécifique de la population, certains auraient parlé de ségrégation. Nous sommes un peu prisonnier de notre modèle d'intégration à la française, c'est pour cela que nous avons pris du retard. Nous ne pensions pas que la
France pourrait être un jour frappée par des Français !
A l'époque du GIA, nous avons connu des attaques sur le territoire français, mais ils étaient commis par des Algériens radicalisés. C'était donc le fait de ressortissants de pays étrangers. Concernant les actes les plus récents, il était sidérant de voir des Français s'attaquer à la France. Cela nous a ouvert les yeux sur le nombre important de départs vers la Syrie. Les lois sur les départs vers ce pays sont finalement arrivées bien tardivement même s'il y avait des alertes, il y a déjà longtemps, avec Khaled Kelkal et d'autres. Mais, nous n'avions pas conscience de l'ampleur du phénomène.
Pour lutter contre le terrorisme, au Maroc, la formation des imams a été institutionnalisée. De nombreux imams français sont d'ailleurs formés à l'Institut Mohammed VI de Rabat. Faut-il améliorer cette coopération pour lutter contre le discours radical ?
Tout ce qui permet d'éviter la radicalisation et d'élever la connaissance des imams me semble positif. Au Maroc, il y a une tradition presque séculaire, il n'est pas anormal que les imams français s'en inspirent. Je ne considère pas l'islam et les musulmans comme un bloc. Comme toutes les religions et les cultures, l'islam est traversé par des courants contradictoires. Mais tout ce qui permet d'apaiser me semble bienvenu.
Toujours dans le domaine de la lutte antiterroriste, comment les services de renseignements français et marocains peuvent-ils améliorer leur coopération dans la lutte contre le terrorisme ?
Je la crois déjà très bonne. Le président de la République a remercié publiquement le Maroc pour son concours lors de l'agression de la France.
L'une des causes de la radicalisation et donc du terrorisme est qu'il y a, dans les quartiers populaires en France, un sentiment d'abandon et parallèlement, le discours radical, notamment salafiste, gagne du terrain depuis une trentaine d'années. Qu'est-ce qu'a fait la gauche pour les banlieues qui ont massivement voté pour François Hollande en 2012 ?
Il y a 400 quartiers en zone prioritaire. L'Etat verse énormément d'argent dans les quartiers populaires. Ce ne sont pas des zones de non-droit, même s'il y a parfois des dérapages à condamner. La percée du salafisme en France a été progressive, contrairement à l'Angleterre où des mosquées, au nom du communautarisme, ont été d'emblée dirigées par des gens en sympathie avec Al-Qaida. Il a fallu beaucoup de temps pour que ce pays expulse ces ressortissants qui avaient pignon sur rue pour défendre Al-Qaida. En France, cela s'est fait par entrisme et pas en pleine lumière pour le salafisme et jamais Al-Qaida n'a eu pignon sur rue. Un mouvement piétiste s'est radicalisé et a commencé à déployer et à développer l'idée de la séparation de la communauté musulmane de la République. Avant que ce problème ne prenne une ampleur de masse, il s'est passé du temps.
Pourquoi n'y a-t-il pas l'émergence d'un islam de France ?
L'islam est récent dans l'histoire de la France. Il y a un processus original à construire qui ne peut pas être celui de 1905, avec la séparation de l'église et de l'Etat ou celui de l'adhésion à la République des juifs avec «le serment à la France». La République française c'est le droit de croire ou de ne pas croire. Ce n'est pas vivre selon les lois de sa religion, voire de son interprétation. C'est cet espace en France qu'il faut construire dans le respect de l'islam.
Qu'en est-il du vote des étrangers, promesse de François Hollande, est-il définitivement enterré ?
Je ne comprends pas pourquoi le débat a disparu de l'Assemblée nationale. Je ne partage pas l'idée, majoritaire à gauche, qui veut qu'à cause de la montée du nationalisme en France, nous devons mettre ce sujet de côté. Ce n'est pas ma conception de la politique. Dans ce cas, nous ne parlons plus de rien pour ne fâcher personne.
De nombreux problèmes en France sont liés aux difficultés économiques. Le dernier rapport de la cour des comptes (10 février 2016) nous apprend, par exemple, que sur les 500.000 contrats de génération fixés par François Hollande d'ici à 2017, seuls 40.300 avaient été signés fin juillet 2015 (il aurait dû y en avoir 220.000). Le dispositif est jugé «complexe et peu lisible par les entreprises». Le contrat de génération est-il un échec ?
C'est un revers, ce n'est pas ce que nous voulions. Le dispositif était compliqué, sur une idée intéressante qui a été portée par le Président de la République. Malheureusement, on n'a pas trouvé le moyen pour la simplifier afin qu'elle puisse prospérer.
Mais le chômage en France reste aux alentours de 10 %, alors même qu'il baisse dans le reste des pays de l'OCDE. L'inversion de la courbe du chômage, autre promesse de campagne de François Hollande, vous semble t-elle possible ?
Il faut faire attention aux comparaisons avec les autres pays. Par exemple, pour l'Angleterre il y a eu la création de 77.000 emplois. En France nous en avons créé 46.000. Notre problème est que nous avons besoin de créer 150.000, compte tenu de notre démographie et des départs à la retraite. Le déficit est très important c'est pour cela qu'il nous faut une politique pour le diminuer. Contrairement à d'autres pays, la France ne produit pas de mini-jobs, mais des emplois. La législation allemande et anglaise permettent, dans une mesure plus importante, la création de «travailleurs pauvres»avec des salaires épouvantables. Les mini-jobs sortent de leurs statiques chômages, mais en France nous ne faisons pas cela. Notre pays a un avantage et un inconvénient c'est qu'en période de crise, son filet social protège les citoyens, malgré ses déficits. Mais en période de reprise de la croissance, c'est un obstacle à sa compétitivité. Il faut donc trouver le bon moyen pour continuer à protéger nos concitoyens tout en permettant la compétitivité. Concernant l'inversion de la courbe du chômage, je pense que c'est possible. La croissance s'améliore. J'espère juste que cela arrivera avant la présidentielle de 2017.
Si cela n'arrivait pas, c'est la droite qui pourrait en profiter. Que pensez-vous du retour de Nicolas Sarkozy ?
Je pense que son retour est difficile. Il a été Président. Il a été battu. Et maintenant il s'inquiète.
Alain Juppé est en tête des sondages. Finalement n'est-il pas un candidat plus «redoutable» pour François Hollande que Nicolas Sarkozy puisqu'il rassemble au-delà de son parti, notamment chez les sympathisants PS ?
La droite n'a pas d'idée neuve. Elle est forte que du rejet de la gauche. Elle est tout autant frappée que d'autres par la déconstruction de l'espace public auquel nous assistons. La primaire de la droite ne réglera pas son problème stratégique. Si c'est Nicolas Sarkozy qui l'emporte, il est presque certain que François Bayrou sera candidat. Si c'est Alain Juppé qui l'emporte, je pense que nous allons voir émerger une droite dure, bonapartiste, décomplexée. Nous l'avons constaté lors des élections régionales, le positionnement de la droite est compliqué à cause de la montée du FN. Je ne suis pas certain qu'Alain Juppé soit en mesure de faire face à cette équation. La droite en France c'est des solutions du passé portées par des hommes dépassés.
Vous évoquez la montée du FN, à quel point cela vous inquiète ?
Je combats le FN depuis 1983. J'ai animé différents réseaux pour dire que ce mouvement avait vocation à prospérer car il s'appuie sur une faille qui est le nationalisme et le souverainisme xénophobes. Et là, tous les ingrédients sont réunis. D'un côté, il y a la mondialisation et de l'autre, l'échec européen, le chômage, les réfugiés et bien sur l'islam. Le FN a un espace pour évoluer et présenter une explication fruste aux difficultés quotidiennes que rencontrent les Français. Front national, Les Républicains-UDI, le Parti socialiste et ses alliés, j'ai appelé cela le tripartisme du paysage politique et c'est très inquiétant. Il n'y a évidemment pas 50% de Français qui partagent les idées du FN, mais avec une droite divisée et une gauche émiettée, les 30% du FN pourraient l'emporter.
Il y a eu la première manifestation du mouvement Pegida à Calais dimanche 7 février 2016 et l'islamophobie continue de faire débat en France. Quelle est votre position ?
J'ai pris position en disant que le refus du terme «islamophobie» me faisait rire! Il n'y a peut-être pas d'islamophobie mais il y a des islamophobes. En réalité, il y a deux mouvements qui se font face : il y a un mouvement identitaire en France qui estime que l'islam va dominer dans le pays, c'est la théorie du grand remplacement .Ce mouvement veut défendre une identité française qui selon ses membres est «blanche, catholique, apostolique et romaine» et ils veulent se séparer des musulmans, voire parfois les renvoyer «chez eux». Parallèlement, de l'autre côté de l'échiquier, il y a un mouvement radical salafiste, plusieurs nuances existent, mais dans l'ensemble ses membres estiment que la République ne peut pas décider de leur vie quotidienne et qu'ils doivent vivre comme le dit, d'après eux, le coran. Un mouvement nourrit l'autre. Les premiers pensent qu'on veut imposer un certain mode de vie à la République et les seconds pensent que la République veut leur interdire de vivre leur religion. C'est très dangereux et nous sommes juste au début. Je suis très choqué de ce qui s'est passé à Ajaccio et de ce que j'ai entendu à Calais, même si la situation des calaisiens est épouvantable. Cela donne une patine, une indication de la situation en France. Et pour finir mon raisonnement, je suis aussi très inquiet de ce que je lis sur les réseaux sociaux, c'est aussi épouvantable. Il y a une espèce de guerre civile et elle peut à tout moment s'exprimer dans la rue.
La gestion du problème migratoire ne fait pas non plus l'unanimité. L'accueil réservé par la France aux réfugiés vous semble-t-il à la hauteur du drame humanitaire ?
La situation des réfugiés est terrible. C'est un problème européen. Je suis en faveur d'une conférence internationale sur les réfugiés. Nous avons besoin d'une position solidaire et commune de l'Europe. Je suis pour le traitement politique de la question des réfugiés qui combine une solution là-bas, militaire ou pas, le financement de l'accueil dans les pays limitrophes, la mise en place de «hot spot» dans les pays de la deuxième zone d'accueil. Et une solution solidaire – excusez ce terme épouvantable – pour le solde.
Dans leur grande majorité, les réfugiés ne veulent pas venir en France ou y rester notamment ceux de Calais. Comment l'expliquez-vous ?
C'est parce qu'ils ont des liens qui datent de la colonisation anglaise. Ils ont souvent des proches là-bas. Ils constatent aussi que la situation économique n'est pas bonne et que le FN est à 30%. Le paradoxe c'est que le Front national dit que la France attire les réfugiés pour ses minimas sociaux alors que ce n'est pas vrai. Ils ne veulent pas rester ou venir en France. Après, nous accueillons les réfugiés en fonction des quotas fixés. Il faut que l'Europe fasse plus mais il faut surtout que la guerre s'arrête.
Vous le rappelez, la situation des réfugiés est directement liée au conflit syrien. Laurent Fabius quitte son poste de ministre des Affaires Etrangères pour le Conseil Constitutionnel alors que la situation en Syrie est chaotique, notamment à Alep où le régime de Bachar al-Assad avec l'aide des Russes est en train de reconquérir la ville. Est-ce un choix responsable ?
Premièrement, il faut lancer un cri d'alerte sur ce qui se passe à Alep. La ville est bombardée, les populations sont dans des situations épouvantables et elles fuient ici. Poutine et Bachar bombardent et les populations viennent chez nous. Ce n'est pas tolérable et il faut le dénoncer. Je suis étonné de voir que la seule formation politique en France à avoir protesté contre cette situation est le PS. Concernant le départ de Laurent Fabius, certes c'est un homme intelligent, précis et efficace, mais il y a un Quai d'Orsay qui mène une politique. Laurent Fabius était ministre de Jean-Marc Ayrault. Ce dernier était donc informé et en phase avec son ministre. Il n'y aura pas de rupture de continuité.
Toujours concernant le dossier syrien, l'Arabie Saoudite se dit prête à envoyer des troupes au sol si la coalition le décide. Quelle est votre position ?
Tout ce qui permet de régler le conflit le plus rapidement possible doit être étudié. Le retour du printemps m'inquiète, les gens vont recommencer à marcher, il y a urgence ! La Grèce n'est pas en situation de gérer le problème, les turcs sont ambivalents, la Bulgarie ne peut pas faire face. La situation humanitaire va être dramatique. Je suis donc d'accord pour que l'on étudie sérieusement cette possibilité. Mais il faut être prudent. La tension est maximale entre l'Iran et l'Arabie saoudite. Il ne faut donc pas se précipiter sur une solution qui conduise à un conflit régional.
Autre région touchée par le terrorisme, le Sahel, dans cette zone le caractère transfrontalier de la menace terroriste a exigé une approche régionale. C'est dans cet esprit que l'opération Barkhane est lancée le 1er août 2014. Pourtant, les groupes terroristes prolifèrent et multiplient les actions. Comment la France combat-elle ce terrorisme qui devient une menace pour l'Hexagone et l'Europe ?
La France a évité au Mali la constitution d'un Etat terroriste aux portes de l'Europe, même si c'est de l'autre côté du Sahel. Mais le conflit aurait pu se métastaser dans le reste de la région. Notre pays n'a jamais prétendu que son intervention militaire et que sa volonté d'aider à la reconstruction d'un état malien géré par les maliens mettait une fin définitive à la prolifération du terrorisme. Il y a des petites structures réfugiées dans le Sahel ou le sud de la Libye qui peuvent faire des incursions, mais elles ne peuvent pas prétendre gérer un Etat. La présence de la France est indispensable, mais il y a également toute une série de décisions et d'actions à entreprendre comme les élections démocratiques, la construction d'un Etat, la formation d'une armée et la mise en place d'institutions au Mali et dans l'ensemble des pays concernés.
Les groupes terroristes dont Daesh gagnent du terrain en Libye, êtes-vous en faveur d'une action dans ce pays ?
Je pense que pour mener une action en Libye, il faut réunir deux conditions : la première est que le Conseil de Sécurité de l'ONU prenne une positon en faveur d'une intervention. La deuxième condition, il faut un début de consensus en Libye. Il ne faut pas frapper les terroristes s'il y a un désordre dans l'ensemble du pays. La prise de conscience commence chez les Libyens. Même si la situation est chaotique, ils savent qu'ils doivent quitter l'ère Kadhafi tribale pour constituer l'embryon d'un Etat national. Si ces deux conditions sont réunies. Les Libyens pourront faire appel à la communauté internationale pour participer à une action de reconquête de leur territoire. Il ne faut pas être dans une « attitude » coloniale, il faut répondre à des gens qui veulent combattre le terrorisme.
La réponse sécuritaire est-elle suffisante en Afrique où persiste un problème de gouvernance dans certains pays, et de démocratie dans d'autres ?
C'est injuste parce que la croissance africaine va finir par faire pâlir l'Europe riche. Par ailleurs, plus le temps passe, plus les générations sont démocratiques, formées, éduquées. Elles sont d'ailleurs de plus en plus critiques avec les gouvernances monopolisant le pouvoir. Cette génération est soutenue par la France et l'ensemble des pays démocratiques. Cela exerce une pression sur les Etats pour aller vers une transition démocratique. C'est un processus lent et long. Evidemment, la réponse sécuritaire ne suffit pas. J'ai appelé à une conférence internationale sur les réfugiés pour avoir une vision d'ensemble avec à la fois les pays qui accueillent et ceux qui «envoient». Il faudrait également la présence des pays qui peuvent aider avec des fonds pour sédentariser les populations. Si nous n'adoptons pas une politique globale et totale, nous allons en permanence avoir les mêmes problèmes.
Le Roi Mohammed VI a plusieurs fois appelé les Africains à prendre leur destin en main en plaidant pour le co-développement et pour les investissements triangulaires. Que pensez-vous de cette stratégie et comment l'Afrique peut-elle s'émanciper des pays riches?
Je pense que c'est nécessaire, vu la situation économique des pays européens. Nous investissons beaucoup d'argent dans la présence militaire dans des pays africains alors que nous sommes nous-mêmes en difficulté. De plus, nous avons besoin du développement africain car plus ce continent gigantesque se développe, plus une classe moyenne va consommer. Comme cela s'est passé avec la Chine. Par conséquent, c'est là un facteur de développement pour l'Europe. Le bassin méditerranéen, qui est aujourd'hui à feu et à sang, peut redevenir le poumon de l'humanité et cela grâce aux civilisations qui le traversent et de l'inventivité qui s'y exerce. Les cultures peuvent être beaucoup plus proches que nous voulons le reconnaître. Et l'effet paradoxal de la colonisation réside dans une détestation latente mais dans une reconnaissance constant.
Entretien réalisé par notre correspondante à Paris, Noufissa Charaï. @NoufissaCharai


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