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Les jeunes du Maroc sont-ils conservateurs ?
Publié dans L'observateur du Maroc le 19 - 07 - 2011

Ainsi, deux jeunes Marocains sur trois sont favorables au voile (enquête L'Economiste/Sunergia portant sur 1100 jeunes de 15 à 29 ans), 85% jugent «inacceptables» les relations sexuelles hors mariage et 92% considèrent la religion comme le premier élément constitutif de leur identité (étude Fondation pour l'innovation politique portant sur 1000 personnes de 16 à 29 ans), après la nationalité (87%) et le groupe ethnique (75%). Très attachés à la famille, qu'ils estiment primordiale dans la construction de leur personnalité (88%), et à la bénédiction parentale (le fameux «rdat el oualidine») dans le choix du conjoint (86%), ils sont également confiants dans les institutions étatiques et régaliennes (gouvernement, justice, armée, police, institutions religieuses) et optimistes (67%) quant à l'avenir de leur pays. Dans la société idéale telle que définie par les jeunes interrogés par la Fondation de l'Innovation politique, la foi religieuse serait la première valeur transmise aux enfants (56%), et la loi et l'ordre seraient plus déterminants (65%) que l'égalité des sexes (50%) dans le bien-être collectif. Ces chiffres pourraient paraître cohérents si ce n'étaient les autres données desdites études. Car cette même jeunesse qui se fait le porte-fanion de valeurs traditionnelles, trouve la société marocaine peu tolérante (48%) à son égard, rejette à 67% l'immixtion parentale dans ses relations amoureuses (ils sont 55% à en entretenir) et amicales (54%), désapprouve dans son écrasante majorité (78%) la polygamie et aimerait, pour près du tiers, quitter le pays. Aussi, plus d'un jeune Marocain sur deux (d'après l'étude de l'Economiste/Sunergia) pense que le réseau relationnel, et le «piston» (35%) sont les moyens les plus sûrs de dénicher un travail, à côté du diplôme, essentiel aux yeux de 65% des sondés. En somme, la jeunesse marocaine de 2011 est une mosaïque de paradoxes et de contradictions. Mais en la sondant de plus près, on la regarde avec plus d'indulgence. A l'image de ses semblables aux quatre coins du monde, notre jeunesse est une jeunesse inquiète, qui vit avec l'appréhension permanente des lendemains incertains. Les modèles sociaux et économiques d'hier, de la famille élargie à l'emploi - ou l'union maritale - à vie en passant par le libéralisme économique, sont bousculés par les crises en série d'aujourd'hui. La cellule familiale marocaine, devenue nucléaire, n'a plus les moyens d'être aussi solidaire qu'auparavant. Il est laborieux de trouver un travail, de le garder (du fait de la morosité économique mais aussi de la concurrence) et de compter dessus pour s'assurer une retraite décente. Il est difficile de dénicher le compagnon de vie idéal, dans une société patriarcale où la place économique et politique grandissante des femmes et leurs revendications égalitaires déstabilisent les hommes et perturbent les codes de genre et les rôles traditionnels. Il est ensuite onéreux de fonder un foyer, d'élever des enfants, et compter sur eux pour entretenir ses vieux jours comme dans le Maroc de nos aïeux frise l'utopie. Face aux difficultés du présent et à l'opacité de l'avenir, les jeunes Marocains de 2011 se cherchent encore, se cramponnent en attendant à des repères anciens car ils leur paraissent rassurants ou se réfugient dans la religion. Conciliante et résignée, ou du moins cachotière avec ses aînés, la génération Facebook, Youtube et autre Twitter, assoiffée d'espaces de libre expression, déverse alors ses craintes et ses interrogations, narre ses déceptions et écrit ses espoirs sur la toile et ses labyrinthiques réseaux sociaux. Branchée sur le monde virtuel, elle n'en est pas pour autant déconnectée de la réalité. Bien au contraire, ils sont près des deux tiers des jeunes à être intéressés par le militantisme associatif et à se dire désireux d'aider leurs compatriotes à avoir une vie meilleure. Preuve s'il en faut de leur amour pour ce Maroc qui est le leur. Et qui n'attend que de recevoir la pareille…
«Les jeunes se cherchent des valeurs refuges.»
Driss Bensaid Professeur de Sociologie, Coordonateur du Groupe de Recherches et d'Etudes Sociologiques (GRES) à la Faculté des Lettres et des Sciences Humaines de l'Université Mohammed V de Rabat.
Entretien réalisé par Salaheddine Lemaizi
L'Observateur du Maroc. Par rapport aux jeunes des années 70, les jeunes d'aujourd'hui sont-ils plus conservateurs ?
DRISS BENSAID. Il est très difficile de généraliser et de comparer entre deux générations. Tout d'abord, les jeunes sont de grands consommateurs de valeurs. La génération précédente, celle des années 70 et 80, est plus politisée. Cette compréhension sociale a permis aux jeunes de l'époque de construire une vision du monde. La génération actuelle, faute de sensibilité politique, est encline à se chercher des valeurs refuges. Les catégories les plus vulnérables économiquement et culturellement trouvent ces valeurs refuges dans le retour à l'islam alors que les jeunes des couches favorisées, qui n'ont pas d'ancrage culturel, trouvent des refuges dans leur attachement aux signes de la modernité (exemple : le look vestimentaire). Ceci et cela produisent un conformisme chez les jeunes.
La consommation est-elle considérée comme une valeur refuge ?
La génération actuelle est orientée vers la consommation, pas seulement matérielle, mais aussi symbolique. C'est-à-dire que les jeunes s'identifient à des modèles et à des schémas de pensée. Le fait de porter le hijab, la barbe, un jean ou un t-shirt atypiques renvoie à la symbolique de ces modes vestimentaires ou de look.
Pourquoi ce divorce entre les jeunes et la politique ?
Il est injuste de dire que les jeunes sont dépolitisés. Certes, rares sont ceux qui ont une appartenance partisane, mais ils sont très politisés car ils portent un regard critique et très sévère sur la vie publique. En témoigne le mouvement du 20 février et toute la dynamique qu'il a enclenchée et qui a surpris tout le monde. Cette catégorie qui a été jugée définitivement ‘‘je-m'enfoutiste'' est celle qui a donné un nouveau souffle à la vie politique.
Sommes-nous en train de vivre un tournant social ?
Pas si vite ! Le 20 février n'est pas un mouvement structuré avec des organes et des leaders. C'est plutôt un élan, dans le cadre du printemps arabe, où la majorité silencieuse, dépolitisée par rapport aux discours officiels et aux partis, prend la parole. Cette masse de jeunes a permis de poser des questions d'application de loi, de lutte contre la corruption et de réformes constitutionnelles. Ce mouvement a permis la naissance d'un discours politique dans le champ social et revitalisé un champ politique morose.
Partir ailleurs est-il toujours le rêve ultime d'un jeune marocain ?
La génération actuelle, comme la précédente, rêve de partir ailleurs. De vivre en satisfaisant ses besoins les plus basiques. La nouveauté est que la migration des jeunes ne se fait plus qu'à bord des pateras, mais aussi à travers le monde virtuel et toutes les nouvelles formes de communication. On assiste même à une migration collective et journalière. Ceci fait que la dépendance cybernétique chez les jeunes augmente.
Qu'est ce qui angoisse les jeunes marocains ?
Hayat Kamal Idrissi
Les jeunes marocains ont plein de préoccupations. Tantôt enthousiaste, tantôt frileuse, la jeunesse aspire à un meilleur avenir tout en essayant de gérer ses inquiétudes par rapport à ce grand inconnu et à ses multiples surprises. Les jeunes marocains s'angoissent ainsi pour leur stabilité professionnelle et financière, ils s'inquiètent pour leur épanouissement personnel et pour celui de leur petite famille. Leurs engagements religieux et familiaux les travaillent et les hantent. Pour eux, demain est un grand point d'interrogation, submergé de doutes et d'inquiétudes.
Stabilité
Si le présent est vécu pleinement, réfléchir à l'avenir suscite leur peur en les mettant face à leurs angoisses. Argent, santé, bonheur… les enjeux des jeunes tournent autour de ces trois axes. Paradoxalement, et malgré la conjoncture actuelle, la politique ne figure pas parmi les plus grandes préoccupations de nos jeunes. Cela même si le mouvement du 20 février, à ses débuts, a réussi à en inquiéter quelques uns par rapport à la stabilité du pays et, par extension, à leur propre stabilité. «Après les premières manifestations du 20 février, j'ai commencé vraiment à m'inquiéter. Et si les protestations dégénèrent et que la situation se détériore ? Allons-nous vivre les mêmes galères que les autres pays arabes ?», s'interroge Khadija, journaliste de 27 ans. Pour cette jeune marocaine, la stabilité politique n'est pas son seul souci. Car au-delà de la portée contestataire du mouvement, c'est la stabilité financière qui la préoccupe le plus. «Je veux avoir les moyens financiers pour subvenir à mes besoins et pour pouvoir m'épanouir en tant que jeune femme mariée et ayant plein d'ambition pour mon couple et pour mon foyer», nous explique-t-elle, avant d'ajouter que la peur d'être obligée de s'endetter pour ce faire la met mal à l'aise par rapport à son avenir.
Sécurité sociale
Loin des sources financières, Khadija nous fait part de sa plus grande angoisse qui n'est autre que de vivre la frustration de sa vie au niveau professionnel. «En général, l'entreprise marocaine n'est pas aussi jeune que ses employés. Je veux dire dans l'esprit. Du coup, même s'il y a des jeunes aux postes de dirigeants, le système de gestion reste très «old school». Cette situation génère forcément une confrontation inévitable avec les dinosaures du système et leur idéologie», explique la journaliste. Pour Leïla, 29 ans, secrétaire, le côté professionnel est également source d'inquiétude mais pas pour les mêmes raisons. «Travailler dans le privé vous met toujours en situation de méfiance et d'insécurité par rapport à la stabilité. Il se peut que du jour au lendemain, votre employeur décide de vous licencier, sans qu'on ait la possibilité de se protéger dans un tel cas», s'insurge la jeune femme qui a le grand souci d'aider sa famille. «J'ai toujours cette angoisse de ne pas être à la hauteur et de ne pas apporter assez de soutien à ma famille, même si je fais tout pour y arriver», s'inquiète Leïla. Une angoisse que partagent nombre de jeunes interrogés. Regain de valeurs familiales ou sentiment de reconnaissance vis-à-vis de la famille et des parents ? En tous les cas, ces jeunes semblent plus attachés aux valeurs de solidarité familiale en cette époque qu'ils estiment plus difficile et moins propice aux envols solitaires.
Solitude et santé
Toujours dans ce sens, pour Zahira, téléopératrice, mariée et âgée de 29 ans, l'angoisse la plus tenace serait de finir seule. «La solitude me fait peur et je m'imagine mal vivant seule sans mari ni enfants», nous explique-t-elle le, verbe sincère. Cherchant à avoir des enfants depuis quelque temps, et se sentant échouer à donner la vie, Zahira commence à s'inquiéter quant à l'avenir de son mariage. «Je redoute le jour où mon mari pourrait me quitter pour avoir des enfants avec une autre femme», s'inquiète-t-elle. La maladie constitue également un fantôme qui menace le bonheur de la jeune femme. Et dans ce cas, elle n'est pas seule. «J'ai toujours cette angoisse vivace de tomber malade et d'attraper le cancer. Ce n'est pas l'idée de la mort qui me fait le plus peur, mais c'est surtout la souffrance et la douleur», partage Hanane, 22 ans, fonctionnaire. Leïla, de son côté, redoute la maladie ou plutôt le manque de moyens pour l'affronter. «La sécurité sociale laisse trop à désirer dans le secteur privé. La CNSS et l'assurance maladie ne sont pas toujours là et même s'il y en a, serons-nous assez couverts en cas de maladie grave ou chronique ?», s'interroge la jeune secrétaire.
Si la santé est l'un des plus grands soucis des jeunes, la mort vient également jeter son ombre sur l'avenir mais d'une manière toute autre. De plus en plus portés sur la religion et sur l'accomplissement spirituel, les jeunes interrogés ont beaucoup de soucis par rapport à leur pratique religieuse. «Ma plus grande peur est de mourir sans m'acquitter de mes engagements religieux, je veux dire le port du voile et la pratique de la prière», nous explique Nabila, commerçante indépendante de 24 ans. Même son de cloche chez Wissal, qui trouve refuge dans le rituel religieux. «C'est l'un de mes moyens d'affronter mes angoisses par rapport à demain», confie-t-elle. Vivant loin de son mari expatrié au Canada, cette jeune maman de 28 ans concentre ses inquiétudes sur l'éducation de sa fille de 2 ans. «Ce qui m'inquiète le plus, c'est de la voir grandir sans la présence de son père», lance la jeune femme, tout en évoquant une inquiétude d'un autre genre. «J'ai peur du jour où je vais me décider à avoir un deuxième enfant. A ce moment là, je crois que je vais sacrifier ma carrière professionnelle pour m'occuper de mes enfants. Mais serais-je capable de vivre dans la dépendance financière après tant d'années d'indépendance?», s'interroge cette employée active.
Soucis collatéraux
Si la vie de famille et du couple est une source d'inquiétude pour nombre d'interrogés, le mariage comme pas ultime n'en est pas moins angoissant. Pour Jamila, 26 ans, infographiste en pleins préparatifs de mariage, le bonheur se mélange à l'inquiétude par rapport à cette nouvelle expérience. «Mon mariage sera-t-il réussi ? Serons-nous heureux mon mari et moi ? La routine et les problèmes de la vie quotidienne ne tueront-ils pas nos sentiments ? Mon mariage ne sera-t-il pas affecté par mon travail et par ses horaires inhabituels ? Mon mari comprendra t-il mes contraintes professionnelles ?», autant de questions qui taraudent l'esprit de la jeune fille qui redoute trop les déceptions de la vie et son lot de mauvaises surprises. De son côté, Khadija s'inquiète par rapport aux enfants qu'elle n'a pas encore et surtout par rapport à leur éducation. «Les temps ont largement changé ! Ce n'est plus comme à l'époque de nos parents. Je me demande si je serai à la hauteur de la responsabilité et si je serai capable de leur offrir une bonne éducation dans le respect des valeurs de notre culture», avoue-t-elle. Un souci qu'elle partage avec Hamid, jeune cadre de 27 ans. Fiancé, il se prépare à la vie conjugale tout en se posant un tas de questions sur l'avenir de son couple et des enfants qu'il pourrait avoir avec sa moitié. «Je suis tétanisé à l'idée d'avoir la responsabilité totale d'éduquer un enfant et surtout de bien l'éduquer ! Nos parents ont souffert le martyre et ont fait beaucoup de sacrifices pour faire de nous des êtres humains dignes de ce nom. Aurons-nous le courage de faire de même ?», lance Hamid, avec une voix hésitante, pour matérialiser sa «peur bleue» comme il aime à l'appeler. Tant d'inquiétudes et tant d'espérances pour une jeunesse qui sait toutefois garder espoir tout en essayant, tant bien que mal, de se donner les moyens de réaliser ses rêves et ses attentes.
«Les Marocains ne sont pas des rétrogrades congénitaux.»
Zineb El Rhazoui, journaliste, est la cofondatrice du Mouvement alternatif pour les libertés individuelles (MALI), le mouvement civique le plus controversé au Maroc. Mustapha Baba est le secrétaire général de la Jeunesse du parti justice et développement (JJD),un acteur politique qui se présente comme le gardien des valeurs marocaines. Tout oppose ces deux jeunes. L'Observateur les invite à débattre du conservatisme, de liberté, de religion et de politique.
Débat réalisé par Salaheddine Lemaizi
L'observateur du Maroc. Pensez-vous que les jeunes marocains sont conservateurs ?
Zineb El Rhazoui La jeunesse marocaine n'est pas monolithique. Tous les courants de pensée traversent cette population qui constitue 60% des Marocains. Malheureusement, l'islamisation forcenée de la société a fait qu'une partie de la jeunesse marocaine a choisi l'obscurantisme. En revanche, une frange de la jeunesse marocaine est tournée vers l'universel. Donc on ne peut pas affirmer que la jeunesse soit conservatrice. Les jeunes marocains, comme partout ailleurs, cherchent la sécurité, l'amour, l'amitié, l'épanouissement… Pour cela, il faut se libérer de tous les conservatismes.
Quel projet social,d estiné aux jeunes, porte le MALI ?
C'est un projet de vivre ensemble dans un contexte hétéroclite. C'est un appel à la liberté et à ne pas subir les archaïsmes moraux et juridiques, qui pèsent très lourd sur les jeunes. Notre projet s'adresse au législateur car il pointe les lois liberticides sur le plan de la liberté de conscience et de culte, de la liberté de pensée, du choix sexuel (art. 489 du Code pénal), des relations sexuelles hors mariage (art. 490) ou du jeûne du Ramadan (art. 222). Ainsi, permettre aux jeunes de vivre leur amour sans contrainte ni pesanteur morale, cela passe par dépénaliser la sexualité et introduire des cours d'éducation sexuelle dans les écoles. Il faut faire comprendre aux enfants que la sexualité n'est pas quelque chose de sale. Enfin, faire de la religion une affaire personnelle et une spiritualité.
Comment arriver à ce que les jeunes marocains acceptent la différence ?
Les Marocains ne sont pas si conservateurs qu'on le pense. Ils le sont parce qu'on veut les décrire de la sorte. Les Marocains ne sont pas des rétrogrades congénitaux voués à être arriérés et qui ne respectent pas la différence. Nous sommes un peuple qui a été traversé par toutes les civilisations et qui continue à l'être. Nous avons une prédisposition certaine pour aller vers une société séculière et laïque. Mais d'abord la liberté doit être exercée par les Marocains. Pour cela, il faut que la loi évolue. L'Etat se trouve d'ailleurs très en retard par rapport à la société. Si la société a une certaine tolérance sur la question des rapports sexuels hors du mariage, l'Etat continue à punir de prison les couples arrêtés. C'est un parti pris pour l'obscurantisme et le conservatisme.
Selon vous, politiquement, les jeunes marocains sont-ils conservateurs ?
Les jeunes ne font pas confiance aux rentiers politiques mais la réalité montre qu'il s'engage de manière alternative. La jeunesse marocaine a une réaction mature par rapport aux jeunesses tunisienne ou égyptienne. Leur mot d'ordre n'était pas «Dégage» mais plutôt une plate-forme de revendications, où ils ont mis la barre très haute. Selon eux, c'est la condition sine qua non d'une démocratie au Maroc. La jeunesse n'est pas conservatrice mais elle en a ras-le-bol et elle a envie de renouveau.
L'observateur du Maroc. Est-ce les jeunes marocains sont des conservateurs ?
Mustapha Baba. Selon une étude récente du ministère des Jeunesse et des sports, on conclut que la jeunesse marocaine est conservatrice. Les jeunes interrogés s'identifient d'abord comme musulmans puis comme Marocains. Ils refusent les relations sexuelles hors mariage et font la prière de façon régulière. Cette étude montre que les jeunes sont attachés à l'Islam. Au-delà de cette étude, il suffit de faire le tour du Maroc pour faire un tel constat. D'ailleurs on peut dire que la religiosité est importante chez nous par rapport à nos voisins tunisiens et algériens.
Le projet social porté par votre parti peut-il être qualifié de conservateur ou de libéral ?
D'abord, il n'y pas de contradiction entre les deux concepts. L'Islam est plus libéral que toutes les formes de pensées existantes. Le Coran fait référence à l'humanisme à de très nombreuses reprises. Reste que l'humanité est évolution et que les Marocains ont toujours réagi avec intelligence face aux avancées, tant qu'elles ne sont pas en contradiction avec nos valeurs islamiques. Ces valeurs garantissent l'unité, l'appartenance et la solidarité de notre société.
Seriez-vous d'accord pour que l'Etat modifie ses lois afin de permettre aux minorités non religieuses ou sexuelles d'exercer leur liberté ?
L'Etat permet à tout le monde de pratiquer sa liberté mais œuvre aussi à préserver l'identité et les valeurs d'une société. Il est du rôle de l'Etat de préserver le socle religieux. Pour interdire le Nikab (voile intégral), Sarkozy a fait référence aux constantes de la nation française, il n'a pas évoqué la liberté, la démocratie ou l'égalité, mais il a défendu l'identité chrétienne de la France. Pour lui, il faut la préserver à tout prix. De son point de vue, le Nikab met en danger cette identité. Cette équation s'applique au Maroc, on doit préserver notre identité islamique. Si quelqu'un ne jeûne pas le Ramadan c'est son droit mais qu'il le fasse chez lui et personne ne lui fera de reproche. Mais afficher cette position sur la place publique est inacceptable et cela touche l'identité des autres dans la société. Pour la déviance sexuelle, c'est contre la nature humaine. Il me paraît que légaliser cette pratique est très dangereux.
Selon vous, politiquement, les jeunes marocains sont-ils conservateurs ?
Dans le contexte actuel, on commence à classer les jeunes entre ceux qui refusent le changement et les révolutionnaires. Cette vision est simpliste et injuste. Tout jeune est ambitieux, veut le changement, et ne peut être conservateur. Sauf que la décision collective ne dépend pas d'un seul individu mais se construit sur des études approfondies et sur un réalisme. Et tout jeune marocain aspire à la liberté, la démocratie et la justice dans le cadre des valeurs islamiques réaffirmées par la nouvelle constitution.
Sexe Les d'jeuns se lâchent
Noura mounib
Seulement 32% des jeunes marocains n'entretiennent aucune relation d'amour ou liaison sexuelle hors mariage. Les jeunes imputent cette tendance au manque de confiance dans 26% des cas alors que 18% d'entre eux estiment que la fidélité est un obstacle à ces relations. 13% des jeunes ont plutôt envie de relations sexuelles que d'amour et 8% manquent de moyens pour entretenir de telles relations. Ce sont les résultats de l'étude menée par le quotidien marocain l'Economiste et la société Sunergia sur un échantillon de jeunes âgés entre 15 et 29 ans. Dans le monde rural, 56% des jeunes entretiennent des relations avec le sexe opposé, plus que les jeunes issus du milieu urbain (54%) et 89% de ces jeunes ruraux affirment avoir eu des relations sexuelles entre l'âge de 12 ans et 19 ans. Quatre ans depuis la dernière étude au sujet des jeunes, la différence est étonnante. Chiffres à l'appui. L'étude de 2011 rapporte que 42% des jeunes avouent avoir du mal à nouer des relations d'amour, contre 56% en 2006. Ils ne seraient plus enthousiasmés par les relations qui aboutissent à un mariage. D'ailleurs seuls 4% de ces jeunes se marient. Les jeunes marocains sont ainsi, au fil du temps, plus autonomes, plus libertins et plus ouverts. Malgré toutes les pressions subies, cette catégorie d'âge, qui représente 30% de la société marocaine, ne compte plus se laisser marcher sur les pieds. Et c'est bien parti…
Sexe, mensonges et virginité
Aussi, avec le recul de l'âge du mariage, de plus en plus de jeunes passent à l'acte malgré les appels à l'abstinence de la famille. Faute de statistiques sur le sujet, tout laisse croire que de plus en plus de jeunes ont des rapports sexuels avant le mariage. «J'ai 26 ans. Je suis en couple et épanouie sexuellement. A chaque fois, j'ai envie de frapper ma mère lorsqu'elle me parle de «bnat nass» (filles de bonne famille) qui doivent garder leur virginité jusqu'au mariage. Elle sait que je ne suis plus vierge depuis mes 20 ans mais ne veut toujours pas l'accepter, à tel point qu'un jour, elle m'a lancé : «Je veux que tu te refasses l'hymen avant ton mariage. La famille doit voir ton sang !»», confie Salma, étudiante. Si les jeunes se libéralisent davantage en matière de couple et de sexe, le poids de la société en remet toujours des couches. «Ma mère a failli avoir une attaque cardiaque le jour où elle a trouvé un godemichet dans mon tiroir. Le cadeau d'un pote. Je ne l'utilise même pas» plaisante la jeune fille. Tandis que la société refuse de se plier aux exigences de l'ouverture, les jeunes réfutent de leur côté l'idée de suivre l'exemple de leurs parents. «On ne doit plus se cacher derrière l'islam au sujet du sexe. D'ailleurs, la religion ne s'est jamais opposée au débat sur la sexualité» se défend Nabil. Ce jeune homme de 24 ans, qui dit regretter une bonne éducation sexuelle qu'il aurait aimé avoir de ses parents ou à l'école, tente tant bien que mal de se rattraper en la matière grâce à Internet, aux médias et aux conseils des proches. «J'ai grandi dans une famille où les discussions sur la sexualité sont «hchouma». A 24 ans, je n'arrive toujours pas à franchir le cap et à coucher avec une fille. La peur me fait perdre tous mes moyens. Je ne sais pas comment je pourrai mener une vie de couple normale à l'avenir. Si jamais je réussis à en avoir un jour» lance-t-il, pensif.
La mauvaise éducation
Les conséquences d'une mauvaise éducation sexuelle n'en finissent jamais. Cela peut souvent s'avérer grave. Craindre de tomber enceinte après un baiser, un câlin, une fellation ou une sodomie, ne pas se protéger durant des rapports superficiels parce que l'on est vierge, croire que le sexe est sale ou que le Sida est la seule MST… Une liste de points sensibles sur lesquels les jeunes ont besoin d'éclairages. D'ailleurs, le Maroc continue à enregistrer de façon croissante de nouveaux cas mort.
«La virginité de l'esprit est déjà dépucelée.»
Amal Chabach Médecin thérapeute et sexologue, auteur du livre «Le couple arabe au 21ème siècle. Mode d'emploi».
Entretien réalisé par noura mounib
L'Observateur du Maroc Les jeunes d'aujourd'hui sont-ils plus conservateurs en matière de sexe ?
Amal Chabach. Dans mes consultations journalières, je vois trois grandes catégories de jeunes : ceux qui sont conservateurs, qui n'ont aucun contact sexuel (les moins fréquents), attendant le mariage pour sauter le pas (et ils en sont convaincus), ceux qui ont des rapports sexuels superficiels (les plus fréquents) gardant la virginité pour la nuit de noce, et ceux qui vivent sans tabou leur sexualité (les plus rares).
Les jeunes qui ont des expériences sexuelles ressentent de la culpabilité à différentes intensités (selon la durée, leurs convictions, éducation….) et sont conscients que c'est contre les préceptes de la religion islamique mais que c'est «plus fort qu'eux», «qu'ils ont leurs raisons» telles que l'envie de mieux connaître l'autre intimement, le besoin d'exprimer leur attirance amoureuse, par peur de perdre le partenaire (surtout pour les jeunes filles), ou tout simplement au nom de la liberté individuelle… Par ailleurs, l'une de leurs plus grandes craintes est le jugement de l'autre, de la société ou de la famille et surtout la peur de décevoir leurs parents par leur comportement considéré toujours dans notre culture comme avilissant, dépravant, vicieux et sale.
Comment les jeunes vivent-ils le contraste entre les traditions et leur sexualité ?
Ils essayent de découvrir un juste milieu, une vie sexuelle à eux, ni libérale, ni traditionnelle…Au fait, ils sont en train de créer une nouvelle approche sexuelle bien spécifique à eux : vivre leur désir tout en y adaptant le concept religieux, l'éducation de leurs parents et le conditionnement social et culturel… Un challenge explosif dont nous ne voyons pas encore le bout du tunnel.
Beaucoup utilisent «le système du cloisonnement», c'est-à-dire que pour chaque comportement, une case dans leur esprit ne communique pas avec sa voisine. En d'autres termes, à chaque moment X, il y'a un choix X et donc un comportement X qui les arrange et qui ne perturbe pas trop leur surmoi. Leur gendarme intérieur est bien plus puissant que le gendarme extérieur qui pénalise toute activité sexuelle en dehors du mariage dans nos sociétés.
Le couple marocain tient-il toujours à la virginité ?
A 90% oui. Que ce soit les jeunes hommes ou jeunes femmes, ils y sont très rattachés. La plupart du temps, par peur de décevoir leur famille, pour préserver «l'honneur familial», pour être sûr que la jeune fille est «de bonne famille et bien éduquée» ou pour que cette dernière offre la preuve formelle à son futur époux qu'elle est «de bonne mœurs». D'ailleurs, jusqu'à aujourd'hui, plusieurs fois par semaine, des jeunes viennent demander un certificat de virginité. Les rapports superficiels sont monnaie courante et cela depuis longtemps… une manière d'exprimer et d'assouvir leurs désirs sans trop se culpabiliser sur la plan religieux (beaucoup croient parmi les jeunes hommes que ce sont les rapports complets qui sont punis par Dieu), et bien sûr pour pouvoir conserver la virginité «physique» jusqu'au mariage sachant que la «virginité de l'esprit» est déjà dépucelée…
Les jeunes d'aujourd'hui sont-ils assez informés sur les MST ?
Beaucoup d'efforts d'information en ce domaine sont faits mais il faudrait persister encore et encore car d'une part les jeunes ignorent souvent d'autres MST telles que par exemple les morpions, les verrues vénériennes, l'infection à chlamydiae….et d'autre part, de nature, le jeune est un rebelle et donc il ne suit pas trop les règles ou les conseils qu'on lui donne, croyant que c'est exagéré ou pas important.
Peut-on parler un jour d'épanouissement sexuel chez les jeunes marocains ?
Pour le moment, c'est très difficile d'en parler ou même de l'imaginer. Nous vivons dans une société qui juge et pénalise toute sexualité en dehors du mariage en plus des messages moralisateurs des parents et de toute la famille en général, plus la religion qui interdit tout rapprochement sexuel en dehors des liens sacrés du mariage… Donc ces jeunes, même si certains essayent d'exprimer des besoins naturels, le font tellement avec une grande culpabilité, que le bénéfice en est très diminué ou même faussé. C'est très difficile de vivre en contradiction entre ses croyances et ses désirs… Et n'oublions pas que ce dilemme influence leur sexualité d'adulte plus tard.


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