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La précarité comme mode de vie des travailleurs journaliers
Le “Mouqaf” comme “raison sociale”
Publié dans L'opinion le 14 - 11 - 2009

«Il y a des gens sur ce “mouqaf” qui arrivent à trouver du travail pendant deux ou trois jours, et restent sans travailler pendant plus de quinze jours» affirme Hamid, 44ans, marié et père de deux enfants. Cela fait onze ans qu'il se rend tous les jours de Al Karya, à Salé, au mouqaf d'El Akkari, un quartier populaire de la capitale, pour y chercher du travail.
Tous, nous quittons nos foyer le matin, sans laisser à nos familles de quoi se nourrir. Nous n'avons personne pour nous défendre, nous ne sommes pas syndiqués et personne ne se soucie de notre sort» poursuit Hamid, à la fois écoeuré et résigné. «Tiens, aujourd'hui par exemple, nous sommes là depuis 6 heures du matin et personne n'est venu nous offrir du travail. Je suis maçon, mais je suis prêt à faire n'importe quoi. Déboucher des égouts, porter de lourdes charges, tout ce qu'on peut me proposer comme travail, je le prends».
Comme tous les travailleurs journaliers rencontrés, Hamid vit la précarité de sa situation comme une fatalité. Il semble résigné. La mal vie est son lot quotidien depuis bien longtemps déjà. Et le mouqaf, lieu d'embauche où manœuvres et femmes de ménages offrent leur force de travail, sa seule perspective de survie.
En fait, combien y a-t-il de travailleurs journaliers au Maroc? Personne ne le sait, pas même la Direction de la Statistiques. Pourtant, il y a bien des centaines de mouqaf à travers le Maroc. A moins qu'ils ne soient comptabilisés avec les chômeurs, ce qui serait plus proche de la réalité de la situation des travailleurs journaliers.
Dans la seule ville de Rabat, il y a pas moins de cinq grands mouqafs, ceux d'El Akkari, El Mellah, Kamra, El Massira, Bab El Had et du centre de Témara. Outre un certain nombre de petits maouqafs, de moindre importance.
Celui de El Akkari est l'un des plus anciens et peut être le plus connu de la capitale. Presque tous les corps de métier y sont représentés. Il y a des maçons, des plombiers, des carreleurs, des peintres en bâtiment, des gens qui débouchent les égouts, etc.
Mohamed, 60 ans, est maçon. Il est marié et père de trois enfants. Il est assis par terre, ses outils de travail devant lui, qui montrent quel métier il exerce.
«Je travaille à la tâche, je négocie le prix de l'ensemble du travail à accomplir. Soit le client te roule sur le prix, soit c'est toi qui le roules. C'est aussi simple que ça. Telle est la stricte vérité. J'arrive à gagner quelques 80 Dhs par jour, approximativement. Le panier de la consommation quotidienne me revient à 50 Dhs, au minimum, si ce n'est 100 Dhs ou plus encore si je reçois des invités. En moyenne, c'est de 60 à 70Dhs.
Quand je ne travaille pas pendant quelques jours, je suis obligé d'emprunter pour subvenir aux besoins de ma famille. Et quand je me débrouille un travail, c'est pour deux ou trois jours, au maximum dix jours par mois.
Kettani, 69 ans, père de quatre enfants, a passé cinquante ans à chercher quotidiennement du travail dans le mouqaf. Sa foi semble l'apaiser et l'aider à mieux supporter son sort.
Des hommes à tout faire pour pas cher
«Cela fait cinquante ans que je viens chercher du travail sur ce mouqaf, je n'ai jamais eu affaire avec la justice, aucun ne m'a jamais désigné du doigt pour lui avoir causé du tort, je vis et fais vivre ma famille de la sueur de mon front. Si j'ai de quoi manger je mange, sinon, je reste sur ma faim. Je ne mendie pas et j'évite d'emprunter de l'argent, même d'avoir une ardoise chez l'épicier. Heureusement, mes enfants ont grandi et gagnent leur vie maintenant».
«Pendant longtemps, poursuit-il, le ton fier, j'ai habité dans des maisons que je louais, mais j'ai pu épargner et m'acheter un petit lot de terrain, à crédit, et y bâtir ma maison, Al hamdou li Allah. Sur un mois, je peux travailler une dizaine de jours ou pas plus de quatre cinq jours, ça dépend».
«Malgrés cela, il est généreux», soulignent ses collègues du mouqaf, qui se sont tous agglutinés autour de nous. «Plusieurs fois, c'est lui qui nous paye le thé» disent-ils en désignant une théière et quelques verres sur un plateau posé à même le sol. La solidarité prend ici une consonance toute particulière.
Larbi, 31 ans, marié depuis un mois, est peintre en bâtiment. Il vient de Salé chercher du travail au mouqaf tous les jours depuis trois ans. Il a pris la succession de son père, qui a fréquenté ce mouqaf pendant 40 ans.
«Au cours de ce mois, je n'ai pas travaillé plus de trois fois. J'ai gagné 900 Dhs en tout. 900 Dhs sur un mois. De l'argent que j'ai aussitôt dépensé à rembourser des emprunts, à payer la facture d'eau et d'électricité et faire des courses» précise t-il, le ton plein d'amertume.
«Quand il n'y a pas de travail de peinture en hiver, je prends tout ce qui se présente, n'importe quoi. Je travaille dans le déménagement, si ça se présente, et même me contenter de faire des commissions, pourvu que je puisse arracher de quoi subvenir aux besoins des miens. Jusqu'à la saison estivale, ou je reprends alors mon métier de peintre».
Hamid, 44ans, est marié et père de deux enfants. Cela fait onze ans qu'il se rend tous les jours de Al Karya, à Salé, au mouqaf d'El Akkari pour y gagner sa vie. «Mon loyer est de 450 Dhs par mois, la facture d'eau et d'électricité qui tombe aussi chaque mois, c'est toujours entre 200 et 300 Dhs. Pour la rentrée scolaire, j'ai dû emprunter de quoi acheter les fournitures scolaires à ma fille. Je vous jure que je n'ai toujours pas de quoi acheter le mouton de l'Aïd».
«Plus d'une dizaine des travailleurs qui viennent ici ne sont même pas de Rabat» poursuivent-ils tous ensemble. «Ils viennent seulement y travailler, laissant leurs familles dans leurs campagnes et logent dans des chambres. Ils se doivent de gagner de quoi manger, payer leur loyer et épargner de l'argent pour l'envoyer à leurs familles».
«Ils ont voulu déplacer notre mouqaf vers le marché à côté, mais nous avons refusé. Si nous les laissons nous cacher là bas, qui va venir nous chercher ?
Une quarantaine de personne fréquentent quotidiennement ce mouqaf, une trentaine d'anciens sont décédés. Certains d'entre eux sont morts abandonnés à l'hôpital, personne ne s'étant intéressé à leur sort. Certains ont laissé des orphelins en bas âge, qui mendient aujourd'hui». Le vacarme des nombreuses voix entremêlées exprime toute la détresse de ces gens qui peinent à vivre décemment, même en se levant quotidiennement aux aurores pour aller chercher du travail.
Des hommes et des femmes
pris dans le piège du quotidien
Mais il n'y a pas que les hommes pour vivre cette précarité de l'emploi. Au mouqaf de l'Agdal, quartier commerçant de Rabat, elles sont des dizaines à y venir tenter leur chance en espérant gagner leur journée. Compte non tenu des prostituées qui se mêlent aux femmes de ménage, facile à distinguer par leurs djellabas plus chics et un maquillage qui se limite souvent en fait à un simple rouge à lèvre.
Amal, la quarantaine, mariée sans enfants, vit en location avec son mari, également travailleur journalier. «Cela fait cinq ans que je viens chercher du travail au mouqaf. Al Hamdou lillah, j'arrive comme ça à m'en tirer tant bien que mal. En fait, ca dépend des jours. Il y a des jours, je ne gagne pas un rond et d'autres je me fait 100 ou 150 Dhs, cela dépend des jours comme je vous ai dit».
«C'est dur pour les femmes de ménage qui travaillent à la journée. Généralement, les gens ne font appel à nous que lorsqu'il s'agit de grosses tâches, très fatigantes. Pour recevoir à la fin de la journée 100 malheureux Dirhams. Moi et mon mari sommes des travailleurs journaliers, c'est une vie stressante, on ne sait jamais si on va trouver du travail ou pas, si on aura de quoi manger le lendemain ou pas. Lay Laha illa Allah» souligne Amal, sur un ton résigné. Des fois, elle est obligée de demander à ses amies de lui prêter de quoi rentrer chez elle, quand l'attente de toute une journée se révèle bien vaine. Quand on lui demande si les prostituées ne les dérangent pas dans leur quête de travail et si elles ne donnaient pas au mouqaf mauvaise réputation, elle répond fermement, «c'est leur affaire, tant qu'elles ne me cherchent pas querelles, je me moque de leur présence ici».
Puis, révulsée, elle indique: «quand la police vient leur faire la chasse, il est arrivé souvent que de pauvres femmes de ménage honnêtes se trouvent aussi embarquées. De plus, certains passants, qui nous croient toutes les mêmes, n'hésitent pas à nous insulter. Ces pauvres femmes ont aussi des familles à charge qu'elles font vivre ainsi, allah yaster».
Karima, la quarantaine, divorcée, est mère de trois enfants. «Cela fait près de cinq ans que je viens au mouqaf pour y attendre que quelqu'un fasse appel à mes services. Il y a des semaines au cours desquelles je ne travaille pas du tout, d'autres ou je ne travaille pas plus de deux à trois jours. Quand je travaille, j'essaye d'épargner pour les jours où je n'en trouverai pas».
Fatema, 45 ans, divorcée, est mère d'un enfant. Elle vient au mouqaf depuis quatre ans pour chercher du travail. « Les jours fastes, je peux gagner jusqu'à 200 ou 250 Dhs, d'autres jours pas un sou. Quelques fois je travaille une à deux semaines de suite, d'autres pas plus d'un ou deux jours». Elle parle sans émotion dans la voix, se contentant de décrire les faits. Et détourne aussitôt le regard de pudeur, pas du tout le genre à se lamenter sur son sort.
Ce manque de considération envers les travailleurs journaliers, il est également perceptible dans le paiement des salaires.
Une main-d'ouvre corvéable
et exploitable à merci
«Des gens viennent nous emmener effectuer de durs travaux chez eux pour nous payer deux sous en fin de journée» exulte Hamid. «Essayez de déplacer un amas de sable de quelques mètres cubes à la pelle et vous verrez ce que c'est. Quand c'est fini, tu te sens vidé, avachi. Et ceux qui viennent louer nos services nous surveillent de crainte qu'on ne leur vole quelque chose» poursuit-il avec le ton d'une personne blessée dans son amour propre.
«Les pires sont ces gens qui font tout pour te rouler» explique Larbi, énervé. «Tu conviens avec eux d'une tâche précise, par exemple peindre deux chambres, et d'un prix en conséquence. Quand le travail est terminé, ils refusent de te payer avant que tu ne peignes pas aussi un couloir ou un mur en plus. En fin de compte, tu te retrouves perdant, car le prix versé à la fin est celui convenu au début et n'inclut pas le travail supplémentaire. Mais c'est ça ou ne pas être payé. Et qu'est-ce que nous pouvons bien faire contre ?». A la précarité s'ajoute donc l'injustice, pour faire de ces travailleurs journaliers de véritables victimes d'une exploitation éhontée.
En matière de “flexibilité” de l'emploi, on ne peut faire mieux que ces travailleurs “jetables”d'une économie ultra libéralisée.
«Quand je tombe malade, je n'ai pas les moyens d'aller consulter un médecin» se lamente Karima. «Je reste chez moi jusqu'à ce que je me rétablisse, par la grâce de Dieu».
«Quand je tombe malade, souligne Amal, je dépense le peu d'argent que j'ai épargné».
Selon les chiffres de la dernière enquête de la Direction de la statistique sur l'emploi, seuls 17% des actifs occupés au Maroc sont affiliés à un système de couverture maladie. Les travailleurs journaliers, appartenant à la catégorie des «Manoeuvres non agricoles, manutentionnaires et petits métiers», qui représente 16% de la population active occupée, n'ont donc pas à se sentir les seuls exclus de la protection rassurante d'une assurance maladie. Plus d'un travailleur sur cinq au Maroc est dans la même situation.
«Quand je tombe malade, je n'ai que Dieu vers lequel me tourner» déclare Hamid. «Quand tu vas chez le médecin, il te donne une prescription avec des tas de médicaments à acheter, sans se soucier si tu as de quoi les acheter ou pas».
Fatema semble plus chanceuse sur ce plan, si l'on peut dire. « Quand je tombe malade, je peux m'estimer heureuse de pouvoir compter sur mes frères et sœurs».
Ceci sans parler des risques et l'omniprésence des accidents corporels.
«J'étais entrain de travailler, il y a quelques années dans une maison quand un vieux mur s'est écroulé sur moi» raconte Mohamed. «Un ami qui travaillait avec moi a prévenu les propriétaires des lieux de ce qui s'est passé, mais ils n'ont pas réagi. C'est lui qui m'a emmené à l'hôpital et y est resté avec moi. Il m'a, par la suite, acheté les médicaments prescrits et m'a raccompagné chez moi. Je n'oublierai jamais ce que cet ami a fait pour moi».
«Il y a des gens qui ne nous considèrent même pas comme des humains. S'il nous arrive le moindre problème en travaillant chez eux, ils n'hésitent pas à nous laisser tomber. Il y a aussi des gens très généreux, mais ils sont rares».
«Une fois, j'ai subi une fracture qui m'a obligé à rester à la maison pendant six mois. Ce n'est que grâce aux bonnes âmes que j'ai pu survivre, moi et ma famille. Ce sont des bienfaiteurs qui ont payé mes soins et mes médicaments» observe Machkouri Haddi.
«Mon père est tombé une fois d'une échelle en effectuant quelques travaux au domicile d'une famille, relate Larbi précisant que son père a eu une côte cassée. J'ai du alors le remplacer en venant chercher du travail moi aussi au mouqaf. C'est ainsi que j'ai commencé à fréquenter ce mouqaf d'ailleurs. C'était comme maintenant, à quelques semaines de l'Aïd El Kébir. J'ai commencé à me débrouiller du travail et j'ai pu donner à mon père de quoi acheter le mouton. J'y suis resté jusqu'à présent».
Sans couverture médicale ni retraite
«J'étais avec son père quand cet accident est arrivé» confirme Kettani. «C'est moi qui tenais l'échelle d'où il est tombé. Je ne sais pas exactement comment c'est arrivé. Il a remarqué un endroit qui avait besoin d'un coup de pinceau et s'est penché pour l'atteindre. Il a dû glisser et il est tombé. Les gens chez qui nous étions entrain de travailler se sont totalement désintéressés de son sort. C'est moi qui ai appelé l'ambulance et j'ai été avec lui à l'hôpital et je lui ai acheté les médicaments de ma poche, fi sabil Allah ».
«J'ai connu une personne qui était employée dans une entreprise comme maçon» dit Hamid. «Il est tombé d'une échelle et en est mort. Dix ans après, sa famille attend toujours que la justice oblige l'entreprise pour laquelle il travaillait à lui accorder les indemnités auxquelles elle a droit».
Et les travailleurs journaliers ne sont pas au bout de leur peine, parce s'ils ne sont affiliés à aucun système d'assurance maladie, ils ne sont pas non plus, bien entendu, affiliés à une quelconque caisse de retraite. Et la sélection naturelle fait son effet.
«Cela fait trente ans que je suis associé avec son père» continue Kettani. «Nous travaillons ensemble. Nous partageons tout ce que nous gagnons. Ces derniers temps, les gens me disent à son sujet, ce monsieur est trop vieux, ne l'amenez pas avec vous. Que moi je travaillait bien et que lui ne le pouvait plus. Je leur réponds que c'est moi qui partage avec lui le prix encaissé, c'est donc mon problème, pas le leur. Nous sommes associés mais également amis, cette amitié dure maintenant depuis trente ans et ce n'est pas maintenant qu'il a vieilli que je vais le laisser tomber».
«Quand mon père a commencé à vieillir, j'ai pris la relève» dit Larbi. «Il faut s'entraider pour survivre. Notre foyer compte sept bouches à nourrir. Une fois, des gens sont venus chercher un peintre pour des travaux chez eux. Mon vieux père était à côté de moi et l'une de ses personnes dit à l'autre devant moi, “prends le jeune, pas le vieux “. Je lui ai répondu que le vieux en question est mon père. Il m'a répliqué “nous te prendrons toi parce que tu es jeune, nous ne voulons pas du vieux, même si c'est ton père”. Il n'est pas présent maintenant, car aujourd'hui, après une semaine de chômage, il vient de se débrouiller une bricole à 300 Dhs».
Et à Larbi de développer. «Ils choisissent les jeunes pas seulement parce qu'ils sont plus forts, mais c'est en espérant les payer moins. Je me sens vexé quand des clients me disent en négociant le prix d'une tâche à effectuer, «tu es jeune, tu dois gagner au moins de quoi fumer. Mais ils oublient ou ne veulent pas savoir que même si jeunes, nous travaillons pour nourrir nos vieux parents et notre propre famille. De plus, je ne fume pas» remarque t-il, outré.
«Ils me disent, tu es trop vieux, on ne t'embauche pas. Cela veut dire que nous, les vieux, nous devons mourir? » demande le septuagénaire Machkouri Haddi.
Ses amis témoignent. «Il y a maintenant un an, le pauvre, qu'il n'a pas travaillé, même s'il vient régulièrement au mouqaf. Chacun de nous l'aide comme il peut pour qu'il puisse apaiser sa faim». La solidarité semble le seul système qui fonctionne réellement au profit de ces travailleurs précaires, dans la limite de ce que peuvent faire ces gens les uns pour les autres, bien entendu.
«Son problème est qu'il est devenu trop vieux» explique Larbi. Les gens qui viennent chercher des travailleurs ne veulent pas d'un vieux, dont ils se prétendent qu'il ne peuvent plus travailler. Ils avancent aussi comme argument pour ne pas le prendre qu'il risque bien de tomber de l'échelle. Il est peintre comme moi, mais il n'arrive pas à se faire embaucher en raison de son âge».
Pourquoi alors ne pas chercher un travail plus stable au sein d'une entreprise ?
Larbi: « Chercher du travail ailleurs? Mais où? Ici au moins, je gagne le minimum de quoi vivre».
«Nous attendons un geste»
«Si tu vas travailler dans une entreprise, tu n'auras aucun droit» renchérit Hamid. «Pas de déclaration à la CNSS, pas d'assurance maladie, pas de caisse de retraite, rien. C'est comme tu te trouvais toujours au mouqaf».
«J'ai déjà travaillé pour une entreprise de construction» raconte Mohamed. «C'était un véritable calvaire. Ces entreprises ne respectent pas les droits de leurs employés. Je vais vous dire pourquoi. J'ai travaillé pendant un mois et demi sans être payé. Normalement, nous devions être payés par quinzaine, mais nous ne l'avons pas été trois quinzaines de suite. J'ai du mendier mon salaire pendant pas mal de temps. Le patron n'était presque jamais là. J'ai guetté sa venue et j'ai pu le coincer dans sa voiture un jour qu'il était passé au chantier pour constater l'avancée des travaux. Je lui ai dit: «Patron, nous n'avons pas de quoi nourrir nos enfants». Aussi, dès que je l'ai perçu, j'ai aussitôt quitté cette entreprise. Un mois et demi sans être payé, qu'est-ce que j'allais donner à manger à mes enfants? Ce patron préférait d'ailleurs embaucher des jeunes venus d'autres régions, qui n'ont pas de famille à charge et qui peuvent se permettre d'attendre longtemps avant d'être payés. Pas nous.
Certains petits entrepreneurs peuvent ne pas payer du tout certains de leurs employés, dont la tête ne leur plaît pas. Ces employés passent des jours à attendre que ces patrons daignent les payer, accroupis dos au mur en face de leurs bureaux ou de leurs maisons. Et tant que ces derniers refusent de le faire, sous prétexte qu'ils n'ont pas d'argent sur le moment, qu'est-ce que ces pauvres travailleurs peuvent faire contre? Allez les attaquer en justice» crie t-il presque, révolté.
«Pour deux mille Dirhams par mois, je ne resterai pas une minute de plus dans ce mouqaf» souligne Hamid. Puis, désespéré, il éclate: «Personne ne s'intéresse à notre sort, personne ne défend nos droits, c'est comme si nous n'étions pas des marocains. Vous êtes les tout premiers qui se soient intéressés à nous, qui se soient déplacés pour quêter de nos nouvelles ici».
«Jamais personne n'est venu ne serait-ce que nous recenser, pour savoir combien nous sommes à venir chaque jour chercher du travail ici» assure Machkouri Haddi.
«Nous aimerions bien légaliser notre situation, avoir des papiers qui certifient que nous sommes bien des travailleurs, ne serait-ce que pour conforter les gens qui font appel à nos services» estime Hamid.
«Il devrait y avoir au Maroc une couverture sociale pour les travailleurs comme nous et même une allocation chômage, comme cela se fait ailleurs. Nous n'avons même pas de prud'homme».
«Je sais que j'aurai à lutter, comme l'a fait mon père pendant 40 ans ici même avant moi, pour gagner de quoi nourrir la famille. Je vis toujours dans le foyer de mon père, qui a maintenant 75 ans, je me dois donc de subvenir aux besoins de ma famille et de ma jeune épouse» affirme Larbi, non sans fierté dans la voix.
Puis, moins sûr de lui-même: «Sincèrement, quelques fois je me dis que nous n'arrivons en fait à survivre que grâce à la baraka. Tout est devenu si cher, la nourriture, le loyer, l'eau et l'électricité…C'est infernal. Nous ne vivons pas, nous ne faisons que survivre».
El Hadi El Mehdaoui, a 70 ans. Il est le père de six enfants. Il vient au mouqaf depuis près de quarante ans. «Quand nous avons commencé à venir au mouqaf, il était déjà ici» attestent les autres travailleurs.
«Nous sommes ignorés, personne ne s'intéresse à nous. Nous sommes ici comme des inconnus» déclare d'une voix enrouée le vieux monsieur au visage anguleux et à l'aspect très pâle.
La tête baissée, il avoue: «J'ai du demander à mon ami, sans travail aussi comme moi, de partager avec lui un verre de thé. J'ai faim».
«Nous ne voulons que travaillez et gagner honnêtement nos vies» assurent-ils en chœur.


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