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L'Afrique a-t-elle une place dans la nouvelle route des Indes ? Décryptage avec Yasmina Asrarguis
Publié dans L'opinion le 11 - 05 - 2025

En pleine expansion économique, l'Inde, qui se voit d'ores et déjà future superpuissance, aspire à s'imposer dans l'échiquier géoéconomique mondial avec le corridor Inde-Europe qui passe par le Moyen Orient. Une sorte de contre-modèle au nouvelles route de la soie de la Chine. L'Afrique en est exclue en dépit de l'intérêt majeur que porte New Delhi pour le continent. Yasmina Asrarguis, Chercheur à l'Université de la Sorbonne et spécialiste du Moyen Orient, en explique les raisons et décortique cette initiative indienne et ses implications géopolitiques. Entretien.
-Peut-on l'inscrire cette initiative dans le contexte de la rivalité sino-indienne ou s'agit-il d'un plan aux objectifs plus larges ?
Si l'IMEC peut, de prime abord, être perçu comme un prolongement de la rivalité sino-indienne — en tant qu'alternative stratégique aux Nouvelles Routes de la soie initiées par Pékin — il s'inscrit avant tout dans une dynamique multilatérale portée par le G20, forum intergouvernemental auquel la Chine elle-même participe activement. Les ambitions de l'IMEC vont bien au-delà d'un simple face-à-face entre Pékin et New Delhi : il s'agit d'un projet de reconfiguration des flux commerciaux et énergétiques à l'échelle eurasiatique, reliant l'Asie, le Moyen-Orient et l'Europe selon de nouveaux axes stratégiques.

Ce corridor incarne une vision géoéconomique multidimensionnelle : sécuriser les chaînes d'approvisionnement mondiales, affirmer une multipolarité économique, et consolider les partenariats entre les grands marchés libéraux — Inde, Arabie Saoudite, Israël, Etats-Unis et Europe. L'IMEC s'inscrit ainsi dans une volonté plus large de refonder les routes de la mondialisation autour de trajectoires perçues comme plus « sûres » - à savoir plus stable que la mer Rouge ou le Golfe d'Aden actuellement perturbés par les attaques Houthis. Evalué entre 3 et 8 milliards de dollars, l'IMEC mobilise déjà l'énergie des entrepreneurs indiens, présents en première ligne à Washington, New York ou Riyad, pour assurer le financement, les levées de fonds et la mise en œuvre de cette initiative d'envergure.
-À quel point l'IMEC, par son potentiel, peut-il rivaliser avec les Nouvelles routes de la soie ?
L'IMEC représente une véritable alternative aux Nouvelles routes de la soie puisque le corridor promet de réduire les délais de transport entre l'Inde et l'Europe de 40 %, tout en connectant les hubs logistiques de manière plus directe, sécurisée et numérisée. On parle d'une potentielle révolution pour le secteur de la logistique et des sous-secteurs qui vivent grâce aux trafics maritimes et terrestres (hydrogène vert, pétrole, gaz, technologie, commerce etc.). Son succès dépendra toutefois de plusieurs facteurs : la stabilité régionale au Moyen-Orient, la cohésion entre les partenaires, et la capacité à mobiliser les financements nécessaires. Sur le plan financier, contrairement aux Routes de la soie, l'IMEC mise moins sur l'endettement massif et plus sur l'intégration d'infrastructures existantes. Il permettrait possiblement d'activer certaines fonctionnalités des giga-projets saoudiens Neom et the Line. Sur le plan politique, l'IMEC repose en partie sur une coopération directe entre Israël et l'Arabie saoudite, alors même que cette dernière ne reconnaît toujours pas officiellement l'Etat hébreu, malgré plusieurs années de négociations amorcées dans le sillage des Accords d'Abraham.

-Pourquoi à votre avis l'Afrique du Nord n'est-elle pas associée ?
L'absence de l'Afrique du Nord dans l'itinéraire de l'IMEC s'explique par des raisons à la fois géographiques et politiques. Géographiquement, le corridor cherche à relier directement l'Inde au cœur économique de l'Europe (Grèce) via le Moyen-Orient, en optimisant le tracé. Politiquement, certains pays nord-africains ont des positions plus ambivalentes vis-à-vis des partenaires clés du projet, notamment Israël dont l'axe du rejet arabe s'agrandit à mesure que la situation à Gaza s'enlise sans perspective de sortie de crise.
-Récemment, l'Inde a commencé à se déployer remarquablement en Afrique, notamment au Maroc où elle investit de plus en plus, surtout dans l'industrie militaire. Comment percevez-vous ce rapprochement ?

Ce rapprochement s'inscrit dans une stratégie indienne de diversification de ses alliances et d'élargissement de son influence au-delà du continent asiatique. Le Maroc représente pour l'Inde une porte d'entrée stable et stratégique vers l'Afrique du Nord et l'Afrique de l'Ouest, tout en étant un partenaire fiable dans des domaines clés comme la défense et l'agroalimentaire. Sur le plan diplomatique, Rabat soutient la candidature de New Delhi à un siège permanent au Conseil de sécurité des Nations unies et de son côté, l'Inde a exprimé à plusieurs reprises son attachement à l'unité territoriale du Maroc, sans toutefois aller jusqu'à une reconnaissance formelle. Au-delà de ces positions, les deux pays partagent une vision convergente sur plusieurs grandes questions internationales, notamment en matière de lutte contre le terrorisme, le renforcement de la coopération Sud-Sud, et la réforme des institutions multilatérales.
-Cette initiative concerne particulièrement le Moyen-Orient, notamment les pays du Golfe et Israël. Quelles seraient les implications de l'entrée en scène de l'Inde dans cette région ultrasensible ?
L'ancrage renforcé de l'Inde au Moyen-Orient marque une évolution stratégique majeure. Longtemps considérée comme un acteur discret dans la région, l'Inde s'impose désormais comme une puissance pivot, portée à la fois par ses intérêts énergétiques, son rôle de puissance d'équilibre et une relation bilatérale particulièrement étroite avec l'Arabie saoudite. Le 22 avril 2025, à l'invitation du prince héritier Mohammed ben Salmane, le Premier ministre Narendra Modi s'est rendu à Djeddah pour une visite officielle — la première d'un chef de gouvernement indien dans cette ville depuis quarante ans. À cette occasion, la deuxième réunion du Conseil de partenariat stratégique indo-saoudien a confirmé la montée en puissance de la coopération entre les deux pays, notamment dans les secteurs de l'énergie, la défense, la technologie et la sécurité alimentaire. Toutefois, s'agissant de l'IMEC, cette coopération bilatérale devra faire preuve de finesse diplomatique dans un environnement régional encore marqué par des tensions persistantes : rivalités avec l'Iran, incertitudes liées à la reconstruction de Gaza ou encore dynamiques concurrentielles au sein même du Golfe. Autant de défis susceptibles de placer New Delhi face à de réels dilemmes géopolitiques.
-En regardant l'itinéraire du Corridor, on s'étonne que la Turquie soit contournée. Comment l'expliquer ?

Par ailleurs, l'exclusion de la Turquie de l'itinéraire de l'IMEC semble délibérée et révèle de considérations géopolitiques. D'une part, Ankara est perçue comme un acteur perturbateur et imprévisible par certains partenaires occidentaux. La récente ingérence turque en Syrie et son soutien présumé à des unités djihadistes ont renforcé la perception d'Ankara comme une force de nuisance pour plusieurs membres du G20. D'autre part, la Turquie est déjà engagée dans ses propres projets d'intégration eurasiatique, souvent en coopération avec la Chine ou la Russie. En contournant la Turquie, le corridor cherche à éviter une dépendance stratégique supplémentaire et à favoriser des partenaires jugés plus fiables ou alignés sur les ambitions économiques et diplomatiques de l'Inde et de ses alliés.
-Pensez-vous que l'IMEC soit en mesure d'assurer plus d'intégration économique dans la région, notamment pour Israël, et avoir un effet vertueux pour les accords d'Abraham ?

Selon les parties prenantes de l'IMEC, ce corridor pourrait constituer un levier stratégique pour renforcer l'intégration économique, notamment entre les Emirats arabes unis, l'Arabie saoudite et Israël. L'objectif est d'instaurer un cadre structurant d'interdépendance logistique et commerciale. Il s'agirait ainsi de prolonger la dynamique des Accords d'Abraham par la mise en place d'infrastructures communes, faisant office de catalyseur pour l'élargissement et l'approfondissement des coopérations économiques et industrielles amorcées depuis 2020. Cependant, la réussite d'un tel projet, à court, moyen et long terme, dépendra non seulement de la stabilité politique régionale, mais aussi de l'engagement des Etats concernés à inclure les acteurs économiques palestiniens et jordaniens dans cette dynamique. Penser que l'on pourrait entrer dans une ère de « business as usual » sans repenser le mode opératoire des Accords d'Abraham conduirait l'IMEC à l'échec, exposant le corridor aux mêmes vulnérabilités que celles observées sur les routes commerciales de la mer Rouge ou du golfe d'Aden. Seule une approche véritablement inclusive pourra renforcer la légitimité du corridor et contribuer à une paix plus durable, fondée sur la dignité économique de l'ensemble des populations locales.
-En Europe, la France a été l'un des pays européens les plus réactifs, à tel point que Macron a nommé une personne pour gérer ce dossier. Pourquoi Paris y attache-t-elle une si grande importance ?
La France voit dans l'IMEC une opportunité stratégique de renforcer son rôle de puissance d'équilibre entre l'Europe, le Moyen-Orient et l'Indo-Pacifique. Ce corridor s'inscrit pleinement dans ses priorités géopolitiques : sécurisation des chaînes d'approvisionnement, diversification des sources énergétiques, affirmation de son influence en Méditerranée orientale, et surtout, consolidation de son partenariat stratégique avec l'Inde et l'Arabie Saoudite. Les relations franco-indiennes, fondées sur une coopération de long terme dans les domaines de la défense, du spatial, des énergies renouvelables et de la connectivité maritime, se sont intensifiées sous l'impulsion personnelle du président Emmanuel Macron. Ce dernier voit dans l'IMEC un coup double diplomatique : une opportunité de se rapprocher simultanément de l'Inde, acteur central de la stratégie indo-pacifique française, et de l'Arabie saoudite, dont le récent rapprochement avec Paris reste jusqu'ici essentiellement limité aux initiatives culturelles à AlUla. En investissant ce corridor, la France cherche ainsi à inscrire son influence de manière plus concrète et stratégique dans les recompositions en cours entre le Golfe et l'Asie. La nomination d'un coordinateur français pour l'IMEC traduit cette volonté de ne pas laisser le projet être façonné uniquement par Washington, New Delhi ou Riyad, et d'y ancrer durablement les intérêts industriels, économiques et diplomatiques de la France.


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