C'est donc « par amour d'Israël » que la rabbine Delphine Horvilleur en appelle à un « sursaut de conscience » face à « la tragédie endurée par les Gazaouis ». Dans un texte récemment publié (Tenou'a, 7 mai 2025), l'écrivaine et rabbine, figure du judaïsme libéral et membre de l'organisation Judaïsme en mouvement, reconnaît s'être tue trop longtemps sur les responsabilités d'Israël, seul Etat juif au monde. Elle qualifie de « déroute morale » les crimes commis à Gaza, et affirme vouloir désormais s'en dissocier. Car, dit-elle, il faut « aimer, vraiment, son prochain ». Vraiment ? Israël célèbre aujourd'hui ses 77 ans d'existence. Soixante-dix-sept années de dépossession, de répression, de spoliation. Ce qui présente tous les caractères d'un génocide à Gaza n'est que l'expression accélérée d'un projet politique initié en 1948, et dont le 7 octobre 2023 n'est que l'écho, le prolongement sanglant. Nettoyage ethnique, transferts forcés, assassinats, colonisation continue. Comment Madame Horvilleur peut-elle encore parler d'amour envers un Etat colonial, militarisé, fondé sur la négation de l'autre, sur ce mensonge fondateur qu'ont béni les puissances occidentales depuis la Déclaration Balfour de 1917 : une terre sans peuple pour un peuple sans terre. J'avoue mon incapacité à trouver un fondement moral cohérent qui relierait ce soi-disant sursaut de conscience à une quelconque forme d'amour envers un Etat qu'un jour — tôt ou tard — l'Histoire jugera comme une malédiction pour les peuples du Moyen-Orient, y compris pour les Juifs d'Israël eux-mêmes. Quant à l'initiative de Delphine Horvilleur, que certains saluent comme un acte de courage, j'y vois plutôt une demi-conscience, sinon une conscience de pacotille. Défendre les Palestiniens tout en déclarant son amour à l'Etat qui les martyrise... Si ma critique semble radicale pour certains, alors dites-moi : à quoi devrait ressembler un jugement moins radical ? Faudrait-il, pour ne pas heurter, saluer la clarté des demi-mots ? Cautionner l'incohérence au nom de la bonne volonté ? Des bons sentiments? Devenir femme rabbin, bravo, vraiment. Une avancée remarquable dans un univers longtemps réservé aux hommes. Mais est-ce que cela accorde pour autant le droit à la contradiction morale ? Le mérite d'avoir brisé un plafond de verre justifie-t-il qu'on évite de nommer un mur de béton ? Peut-on aimer une puissance qui opprime et, dans le même souffle, se dire solidaire de ses victimes ? Je pose la question avec gravité, parce que les temps ne nous permettent plus d'aimer notre prochain à moitié! PS : Je tiens à souligner que, depuis sa prise de position, Madame Horvilleur fait l'objet d'un véritable lynchage dans les réseaux sociaux, surtout de la part de milieux juifs sionistes, qui perçoivent dans ses paroles un acte de trahison. Je tiens, ici, à me dissocier sans équivoque de ces attaques personnelles. Je me place dans un débat d'idées! Je critique ici la position de Delphine Horvilleur d'un point de vue strictement intellectuel. Son discours me semble traversé de contradictions profondes, difficilement défendables sur le plan moral et politique. Mais que les choses soient claires : elle a tout mon respect. Je respecte la femme, l'intellectuelle, la rabbin engagée, capable de prendre la parole à contre-courant. Ce respect ne m'interdit pas de questionner la cohérence d'une posture qui cherche à concilier l'amour d'un Etat oppresseur et la défense de ceux qu'il oppresse. C'est là le cœur de ma critique, sans haine ni mépris. Juste la volonté de penser avec exigence, même — et surtout — quand les sujets brûlent.