Malgré l'opposition des avocats et la polémique sur les associations, la réforme de la procédure pénale a été adoptée au Parlement sans amendements majeurs. Décryptage. Après des débats marathoniens et des controverses juridico-politiques ininterrompus, le projet de loi n°03.23 relatif au Code de procédure pénale a été finalement adopté, mardi, à la majorité à la Chambre des Représentants, lors d'une longue séance plénière.
Des tacles frontaux ! Comme prévu, les débats n'ont pas manqué d'intensité. A l'issue de huit heures d'échanges parfois tendus, le texte a été voté par 130 députés. 40 se sont opposés, aucune abstention. Loin d'être un simple ajustement, cette réforme a revu de fond en comble l'architecture de la procédure pénale qui demeure le mode d'emploi de la justice pénale. Du commissariat jusqu'au verdict, c'est là que tout se passe. La tâche n'était pas facile pour le ministre de la Justice, Abdellatif Ouahbi, qui, dès l'annonce du projet de loi, a dû faire face à la fronde des avocats qui ont contesté son texte. Même au Parlement, les voix discordantes furent nombreuses et se sont exprimées haut et fort lors de la séance du vote.
Le marronnier des associations accapare le débat Comme prévu, la question des associations de lutte contre la corruption, devenue un marronnier, a enflammé les débats. Le fameux article 3 refait surface. L'opposition a concentré la quasi-totalité de ses critiques sur cette disposition, reprochant au ministre d'avoir les associations en ligne de mire. Le texte, rappelons-le, consacre le monopole du Parquet dans les affaires liées aux deniers publics. Seul le Procureur du Roi près la Cour de Cassation (président du Ministère public) peut enclencher des poursuites judiciaires sur la base d'une saisine de la Cour des Comptes ou des organes administratifs d'inspection des finances. Plus que cela, les associations n'ont désormais pas assez de marge de manœuvre pour ester en justice et se déclarer comme partie civile dans ce genre d'affaires. Elles demeurent strictement dépendantes de l'autorisation du ministère de la Justice. L'article 7 du projet de loi fixe une série de conditions aux associations pour participer à une affaire judiciaire en tant que partie civile. En plus du statut d'intérêt public, celles-ci doivent être créées au moins 4 ans avant l'infraction et obtenir au préalable l'aval de la tutelle. Ce monopole du Parquet a été dès le début décrié par les associations et les militants des droits de l'Homme, qui y voient une atteinte au droit de dénoncer la corruption et une entorse à un droit constitutionnel. Le Conseil Economique, Social et Environnemental (CESE) et le Conseil National des Droits de l'Homme (CNDH) ont contesté cette obstruction dans leurs avis respectifs sur la procédure pénale. Pendant la séance du vote, les députés de l'opposition n'ont pas tari d'accusations à l'encontre du ministre qui est resté, pourtant, droit dans ses bottes. Fidèle à ses tacles politiques, le ministre n'a pas hésité à piquer l'opposition. "Vous n'êtes même pas capables d'aller jusqu'au bout d'une motion de censure et, pourtant, vous voulez donner des prérogatives excessives aux associations", a-t-il raillé.
Pourquoi barrer la route aux associations ? Infatigable, il a livré une défense digne d'une plaidoirie au sein de l'hémicycle. Pour le ministre, barrer la route aux associations est légitime. Il en va de la protection de la présomption d'innocence des élus, souvent ciblés par les associations à des fins crapuleuses. En réalité, le ministre n'a eu de cesse de répéter cet argument depuis le début des discussions en commission. Il en est intimement convaincu. "La capacité des associations à ester en justice dans les affaires de corruption est un droit dont on se sert vicieusement, la pratique a montré plusieurs anomalies qui remettent en cause le bien-fondé de cette mesure", a-t-il réitéré lors de la séance plénière, ajoutant que seul l'Etat, à travers la Justice et les institutions de contrôle spécialisés, est garant des deniers publics. A sa descente de la tribune, le ministre a défendu encore plus frontalement ses convictions avec énergie. Le ministre a assuré qu'il parlait en connaissance de cause, vu qu'il était un avocat qui a traité ce genre d'affaires. Selon lui, certaines associations font de la lutte contre la corruption un fonds de commerce et un moyen de chantage et d'intimidation à des fins politiques, nonobstant la cause noble qu'elles prétendent incarner. Ouahbi a saisi l'occasion pour citer un cas révélateur. Celui du professeur de l'Université Ibn Zohr d'Agadir, accusé de trafic de diplômes. Ce dernier, a-t-il fait savoir aux députés, présidait une association de lutte contre la corruption. "En parlant du scandale, j'ai une convention signée par l'association, dont le mis en cause assure la présidence, et mon prédécesseur, je peux la partager avec vous si vous le souhaitez", a-t-il lancé à voix haute. "Amenez-moi n'importe quel président de commune, je peux vous assurer qu'il est facile de le mettre en prison en une semaine", a-t-il poursuivi avec ironie, arguant qu'il y a une telle inflation juridique avec une avalanche de textes de loi parfois ambivalents et contradictoires qu'il serait aisé de trouver des prétextes juridiques et des griefs pour incarcérer n'importe quel élu. Face à ses pourfendeurs, le ministre n'y est pas allé par quatre chemins. "Si vous voulez poursuivre des gens que vous soupçonnez corrompus, de par votre position au Parlement, convoquez le ministre de l'Intérieur, c'est lui qui supervise le financement des collectivités territoriales, demandez-lui des comptes avec des preuves à l'appui", a-t-il martelé.
La Majorité en renfort La défense de Ouahbi a trouvé des oreilles attentives au sein de la majorité. Le président du groupe du PAM à l'assemblée, Ahmed Touizi, est allé dans le même sens. "Il faut qu'on ait l'audace de reconnaître qu'il y a des associations qui font du ciblage des élus un commerce et une spécialité et se servent de leur statut pour saper la crédibilité de la politique", a-t-il argué, ajoutant avec ferveur : "Nous sommes passés de 1 à 500 associations souvent présidées par des personnes politiques ayant déjà participé à des élections, ces derniers se convertissent du jour au lendemain en juges". "Est-ce raisonnable d'attribuer une prérogative du Parquet à une association quelconque ?", s'est demandé le chef de file des députés du PAM, rappelant qu'il existe des personnalités qui s'enorgueillissent publiquement d'avoir traîné des élus et des parlementaires dans la Justice comme si c'était une affaire personnelle. Par ailleurs, la réforme, telle que portée par le ministre, n'a pas subi de changements substantiels en commission. Plusieurs amendements ont été rejetés en ce qui concerne des aspects chers aux avocats. Opposés au texte initial, les robes noires, rappelons-le, tablaient sur les députés pour plaider leurs revendications. Par exemple, pour ce qui est de la garde à vue, il n'y a pas eu de changements majeurs par rapport au texte initial. Bien que la réforme ait consacré le droit de la défense et donné des gages supplémentaires aux avocats, ces derniers se disent insatisfaits et réclament plus de droits, dont la capacité d'entrer en contact avec leur client dès la première heure et l'accompagner tout au long de la garde à vue, y compris pendant les interrogatoires de police. Malgré l'introduction de l'enregistrement audiovisuel, les interrogatoires ne sont pas intégralement filmés, cela reste limité à la lecture et la signature du procès-verbal.