Le Maroc peine à créer des emplois malgré sa croissance économique. Pour y remédier, l'IRES propose une série de recommandations qualifiées de stratégiques. Le Maroc se trouve à la croisée des chemins. Alors que son économie connait une croissance soutenue depuis des décennies, cette dynamique ne se traduit plus en une création d'emplois suffisante et de qualité. C'est du moins le constat alarmant dressé par un rapport de l'Institut Royal des Etudes Stratégiques (IRES), intitulé «Croissance économique et création d'emplois : Pourquoi l'économie marocaine peine-t-elle à créer de l'emploi ?». Rendue publique lundi 22 septembre, cette étude explore les causes profondes de la crise et propose des pistes de réforme.
Selon l'analyse de l'IRES, la rupture est survenue après 2015. Tandis que la période 2000-2015 a vu l'économie marocaine créer en moyenne 120.000 postes par an, une dynamique de destruction d'emplois a pris le dessus entre 2016 et 2023, avec une perte nette de 10.700 emplois annuels. Cette tendance a des conséquences directes sur le tissu social. Citant le Haut-commissariat au Plan (HCP), l'étude indique que le taux de chômage national a atteint un pic de 13,6% en 2024. Elle fait savoir aussi que le chômage touche de manière disproportionnée les jeunes (39,5%), les femmes (20,8%) et les diplômés (19,8%).
Au-delà des chiffres du chômage, l'étude met en exergue une réalité tout aussi préoccupante : la chute du taux d'activité, qui est passé de 52% en 2000 à 42,6% en 2024. Cela signifie que près de 60% de la population en âge de travailler ne fait pas partie de la main-d'œuvre active. Ce phénomène, appelé «découragement» par les économistes, signale un retrait massif de la population du marché du travail, un indice de la frustration face au manque d'opportunités.
Faiblesses structurelles et sectorielles
Le rapport ne s'arrête pas à un simple constat. Il creuse les causes profondes de ce déséquilibre. La première est la vulnérabilité du secteur agricole. Bien que l'agriculture joue un rôle crucial en tant que pourvoyeur d'emplois, elle est extrêmement sensible aux aléas climatiques. Les sécheresses successives ont décimé les emplois ruraux, une perte que les autres secteurs n'ont pas réussi à absorber.
Le deuxième point soulevé par l'étude est l'omniprésence de l'économie informelle. Représentant plus de 60% de l'emploi total, l'informel est particulièrement présent dans le secteur des services, qui est le seul à générer des emplois. Or, ces emplois sont de faible productivité, souvent précaires et ne bénéficient pas de la protection sociale. L'IRES souligne que cette informalité freine la productivité et la croissance à long terme.
Les services, moteur de l'emploi mais défis à relever
Selon l'IRES, le secteur des services reste le seul en mesure de créer de l'emploi, mais il est une niche pour l'économie informelle. «Cette dernière réduit le potentiel d'exportation du pays. D'après une étude conjointe de l'Organisation internationale du travail et de l'Organisation mondiale du commerce (2009), les pays où l'économie informelle est importante ont des exportations moins diversifiées, une augmentation de 10 points de l'importance de l'économie informelle équivaut à une réduction de 10% de la diversification des exportations», nous apprend l'étude.
Enfin, le rapport met en lumière l'inefficacité des investissements. Il critique le fait que, malgré des investissements massifs dans les infrastructures portuaires, routières et ferroviaires, le Maroc n'a pas réussi à les transformer en gains de productivité significatifs. L'étude explique cette inefficacité par un «capital physique de faible qualité» et, surtout, par un déficit en capital humain. En d'autres termes, les investissements dans les infrastructures n'ont pas été accompagnés par les compétences techniques et managériales nécessaires pour les faire fructifier.
«A part dans les secteurs de l'automobile, de l'aéronautique et de l'électronique, les stratégies d'industrialisation n'ont pas pu créer une spécialisation compétitive du tissu industriel lui permettant de s'intégrer dans les chaines de valeur mondiales, d'améliorer sa valeur ajoutée et de créer des emplois de qualité... les entreprises n'ont pas créé assez d'emplois. Elles ont créé 1,1 million d'emplois formels au cours des deux dernières décennies, mais le nombre de start-ups et de jeunes entreprises créatrices d'emplois reste faible», lit-on.
Un changement de paradigme s'impose
Pour sortir de cette impasse, l'IRES propose un ensemble de recommandations stratégiques. D'abord, une réorientation des investissements vers les secteurs productifs. Le rapport suggère de se concentrer sur les secteurs à «forts effets multiplicateurs», c'est-à-dire ceux qui, au-delà de leur propre développement, génèrent des emplois dans d'autres filières et renforcent le tissu économique. Pour cela, il appelle à s'inspirer des expériences réussies de pays comme la Malaisie et la Corée du Sud, qui ont su orienter leur économie vers l'industrie et la technologie.
Ensuite, une valorisation du capital humain. L'IRES insiste sur l'urgence de réformer le système d'éducation et de formation professionnelle pour qu'il soit en phase avec les besoins réels du marché du travail. Il appelle à investir dans la recherche et le développement pour stimuler la productivité et créer des emplois à forte valeur ajoutée.
Enfin, une anticipation des mutations futures. L'étude met en garde contre les défis à venir, comme le vieillissement de la population, la montée en puissance de l'intelligence artificielle et l'impact du changement climatique. Le rapport conclut que le Maroc doit se préparer à ces mutations pour ne pas être laissé-pour-compte.
En somme, le rapport de l'IRES est un appel à l'action. Il ne s'agit pas simplement de continuer à investir, mais d'investir de manière intelligente et stratégique. C'est une feuille de route pour que la croissance économique marocaine devienne, enfin, un véritable moteur de création d'emplois durables, au service de la prospérité partagée.
A. CHANNAJE
Fuite des cerveaux : Les secteurs de la santé et de l'ingénierie en danger Selon cette étude de l'IRES, un grand nombre de professionnels qualifiés quittent le Maroc chaque année pour chercher de meilleures opportunités et des conditions de travail favorables à l'étranger. Cette fuite des cerveaux touche particulièrement les secteurs de la médecine, de l'ingénierie et des technologies de l'information, aggravant ainsi le déficit de compétences dans ces domaines vitaux.
Les professionnels qualifiés cherchent souvent des carrières prometteuses à l'étranger, où ils peuvent poursuivre leur formation ou obtenir une reconnaissance professionnelle qu'ils ne trouvent pas au Maroc. Certains d'entre eux espèrent améliorer leur qualité de vie et garantir un avenir meilleur pour leurs enfants.
La fuite des cerveaux a des conséquences considérables sur l'économie marocaine. Le départ de professionnels qualifiés prive le pays de compétences essentielles et représente une perte d'investissements, car l'Etat investit beaucoup dans la formation de ces professionnels qui finissent par travailler pour d'autres pays. La pénurie de personnel qualifié dans des secteurs comme la santé et l'éducation affecte directement la qualité des services.
Selon les chiffres, près de 20% des 8.000 cadres formés au Maroc optent pour l'émigration. Le Maroc se classe 99ème sur 134 pays dans le rapport "The Global Talent Competitiveness Index 2023", qui évalue la capacité des pays à attirer, développer et retenir les talents qualifiés.
Pour freiner cette fuite des cerveaux, l'étude de l'IRES préconise que le Maroc doit mettre en place des stratégies pour améliorer l'environnement de travail, développer les compétences et retenir les talents. Il est essentiel de créer des conditions de travail attractives pour les professionnels qualifiés, d'investir dans la formation continue pour adapter les compétences aux besoins du marché et de mettre en place des politiques pour inciter les professionnels qualifiés à rester au Maroc.