L'Article 156 de la Constitution marocaine du 1 juillet 2011 stipule : «Les services publics sont à l'écoute de leurs usagers et assurent le suivi de leurs observations, propositions et doléances...» L'Administration marocaine, et autrefois le Makhzen, a toujours exercé la mission et la multiple fonction d'écoute, réception, traitement et réponse aux réclamations et doléances des citoyens. Les réclamations ou «Achikayates» des citoyens auprès de l'Administration «Makhzenienne» étaient tellement pratiquées qu'elles ont fini par entrer dans les mœurs et dans la mentalité citoyenne, à tel point que les usagers des administrations de proximité préféraient toujours s'adresser à ces administrations au lieu de recourir à la justice (alors même qu'ils pouvaient avoir gain de cause par le moyen judiciaire). Les réclamants préférant que le responsable administratif de proximité (généralement : caid, Amel, président de conseil communal...) leur règle directement leur problème quelle qu'en soit la nature : problème fiscal, foncier, urbanisme, social, commercial, contractuel, d'équipement de proximité, de voisinage et même de querelles à l'intérieur du couple matrimonial... Il en a résulté le développement de la fonction de réception quotidienne des réclamations surtout chez les agents d'autorité territoriaux (des citoyens bénéficiaires de projets de résorption d'habitats insalubres ont même exigé que les guichets des différents acteurs pour l'accès à leur nouveau logement, soient domiciliés à l'annexe administrative, la seule administration qu'ils ont l'habitude de fréquenter quotidiennement notamment par habitude d'y déposer des réclamations de toutes sortes...). Cette culture a fait de cette fonction une obligation envers la société et les citoyens. Toutefois, si cette fonction était autrefois menée avec une certaine attention, soin et diligence, on constate aujourd'hui une attention insuffisante que l'administration accorde généralement aux réclamations qui lui sont adressées. Les demandes préalables et les requêtes gracieuses font le plus souvent l'objet d'un examen superficiel. Elles ne sont pas instruites ou, quand elles le sont, l'instruction se fait à un niveau de responsabilité insuffisant pour permettre la recherche d'une solution et dans un état d'esprit défavorable à l'administré. La tentation du silence, qui fait naître la décision implicite de rejet, l'emporte alors, en raison de sa facilité et l'orientation de l'administré vers la justice. Pourtant, la complexité croissante des relations sociales et l'exigence par les administrés d'une meilleure reconnaissance de leurs droits imposent à l'administration de mieux répondre à la demande dont elle est l'objet de la part de la société. Il convient donc aujourd'hui de redonner vie aux procédures de recours préalable. Celles-ci doivent constituer un filtre efficace qui empêche un certain nombre de réclamations de déboucher sur un terrain du contentieux déjà lui-même encombré. La seule exception où l'Administration doit orienter l'administré vers la justice lorsque la réclamation concerne les litiges de travaux publics. Compte tenu des particularités de ce contentieux, où les demandes initiales sont souvent dirigées contre des personnes de droit privé (architectes, entrepreneurs notamment), il n'existe pas d'obligation générale de recours administratif préalable dans le domaine de l'excès de pouvoir. Dans ce cas, et conformément au droit d'accès à l'information, il y a lieu d'ouvrir l'accès aux documents administratifs, privilégier une démarche axée sur la résolution non contentieuse des litiges qui peut se révéler fructueuse, à condition que des moyens administratifs suffisants lui soient consacrés et que l'organisation des services de l'Etat soient adaptée de telle sorte à permettre d'assurer le traitement efficace des réclamations. C'est pourquoi l'administration est appelée a procéder à un examen effectif des réclamations, doléances et demandes préalables ou des recours gracieux ou hiérarchiques. Les réclamations dont est saisie l'administration pourront prendre la forme soit d'une demande initiale (par exemple, pour obtenir la réparation d'un préjudice ou pour demander une intervention administrative afin de régler un problème), soit d'un recours contre un acte existant. Dans ce dernier cas, il peut s'agir de recours gracieux ou hiérarchiques. Les recours gracieux sont les réclamations portées devant l'autorité même qui a pris la décision dont le requérant veut obtenir la réformation ou l'annulation. Ils sont ouverts de plein droit, même en l'absence de texte. Les recours hiérarchiques sont les réclamations portées devant une autorité supérieure à celle qui a pris l'acte incriminé. Ils sont également ouverts de plein droit à condition que l'autorité saisie dispose bien d'un pouvoir hiérarchique sur l'auteur de l'acte et qu'aucune disposition n'ait expressément écarté cette possibilité. L'autorité saisie d'un recours hiérarchique dispose des mêmes pouvoirs que celle qui a pris l'acte contesté. Elle peut donc fonder sa décision sur des motifs aussi bien de droit que d'équité. Elle peut aussi, par exemple, confirmer l'acte contesté en substituant aux motifs non pertinents retenus par son auteur initial des motifs nouveaux et pertinents. Ainsi, Il importe que les réclamations adressées aux différentes administrations publiques centrales ou territoriales, sous quelque forme que ce soit, ne soient plus considérées comme des démarches inutiles, dont le seul intérêt est de retarder le moment et pousser l'administré vers la justice et où le juge sera saisi, mais bien comme l'occasion de réexaminer avec attention les considérations et les circonstances qui ont présidé à l'adoption de la mesure contestée. Ceci dit, il y a des administrations qui ont fait l'effort d'organisation nécessaire pour traiter avec attention les plaintes qu'elles reçoivent, celles-ci ont réussi à diminuer considérablement le volume de leur contentieux - administrations du Fisc (l'administration fiscale par exemple s'étant organisée pour examiner avec attention et diligence ces réclamations précontentieuses, on observe que les recours contentieux sont très largement évités grâce à cette procédure), douanes, certains établissements publics, quelques administrations territoriales... Par rapport à ces dernières, dans l'immense majorité des cas, le contribuable renonce au contentieux, soit qu'il obtienne satisfaction, soit que les explications de l'administration emportent son adhésion. Il est vrai que toutes les administrations disposent d'un service des réclamations, mais celles-ci sont appelées à procéder à un examen EFFECTIF des réclamations qui leur sont adressées. Une solution uniforme ne peut certes pas être préconisée car les mesures à adopter doivent tenir compte de la nature et du volume des réclamations dont sont saisis les services publics, ainsi que des structures de ces derniers. Pour arriver à une efficacité du traitement des réclamations des citoyens vis à vis de l'administration, il convient de prendre les mesures suivantes: a) Faire apparaître dans l'organigramme de toute administration publique une cellule, clairement identifiée, de traitement des réclamations. A laquelle sera affecté un personnel disposant de compétences juridiques certaines, sous la responsabilité d'un agent d'un niveau hiérarchique suffisant et qui aura reçu une délégation de signature lui permettant de prendre, dans la majorité des cas, les décisions ou les mesures qu'appellent ces réclamations. En fonction des particularités de chaque administration, la cellule de traitement des réclamations pourra être unique pour l'ensemble du ministère ou bien être désignée au sein de chaque direction centrale et de l'administration territoriale, voire de certaines divisions lorsque celles-ci ont en charge un secteur particulier où le volume de réclamations est abondant. En tout état de cause, il conviendra de mentionner cette cellule dans les correspondances courantes des services et sur les divers documents ou formulaires administratifs mis à la disposition du public. - Au niveau territorial déconcentré, une cellule, à l'image de celle présentée au niveau central, pourra être chargée du traitement des réclamations auprès du Wali/Gouverneur, coordonnant celles qui seraient mises en place auprès des chefs des services extérieurs déconcentrés à l'échelon régional, provincial et préfectoral. Les autres agents d'autorité territoriaux en disposent déjà, il reste à les doter de moyens humains et matériels... La responsabilité de la cellule sera confiée à un cadre supérieur territorial, un agent d'autorité de grade intermédiaire, ou un chef de service ayant la capacité de répondre sur le fond aux réclamations les plus courantes. Les cellules qui seront ainsi mises en place devront accuser rapidement réception des demandes. Dans toute la mesure du possible, il est souhaitable que les auteurs des réclamations soient reçus par la première autorité administrative s'ils en font la demande. - Eviter de faire jouer la règle selon laquelle le silence gardé pendant quatre mois vaut rejet. L'administration doit s'efforcer, au contraire, de répondre rapidement et de manière explicite et motivée aux réclamations. Sauf lorsque la réclamation présentée portera sur une affaire particulièrement complexe et nécessitant une instruction approfondie, le délai normal de réponse ne devrait pas excéder un mois. Une réponse explicite est toujours préférable à l'absence de réaction. C'est pourquoi, même lorsque le délai de quatre mois aura été dépassé, l'administration ne doit pas se considérer comme dispensée de l'obligation d'adresser des explications au réclamant. Cette démarche aboutira à éviter que l'administré ne saisisse le juge dans le seul but de connaître les motifs du rejet de sa réclamation. La préparation de la réponse permet à l'administration d'évaluer, dès la phase préalable, le risque contentieux. S'il apparaît alors qu'elle se trouve dans son tort, elle peut sans attendre préparer une solution de repli raisonnable, par exemple transactionnelle. En préparant la réponse, l'administration ne doit pas s'en tenir exclusivement à une analyse juridique étroite du problème posé. Il faut qu'elle prenne aussi en compte les considérations de fait qui peuvent être pertinentes. La rigueur du raisonnement juridique ne doit pas exclure le sens de l'équité, en particulier lorsque l'administration a le choix entre plusieurs solutions juridiquement acceptables. Les réclamations et recours administratifs ne doivent pas être examinés seulement sous l'angle du droit mais aussi avec la volonté de parvenir à un arrangement satisfaisant dans tous les cas où cela est juridiquement possible et n'est pas contraire aux intérêts généraux dont le service public a la charge. En cas de rejet d'une réclamation préalable, il importe de mentionner dans la réponse les voies et délais de recours contentieux tels qu'ils sont prévus par les textes. Cette mention est favorable tant à l'usager (que l'administration doit informer de ses droits) qu'à la collectivité publique qui, faute de prendre cette précaution, ne ferait pas courir le délai au terme duquel sa décision ne peut plus être contestée au contentieux. Ainsi, si l'administration marocaine, et son ancêtre le Makhzen, a toujours entrepris des efforts, en mettant en place des structures à cette fin, depuis plusieurs décennies, pour améliorer ses relations avec les usagers et mieux répondre à leurs attentes, ces efforts ne doivent pas se relâcher. Outre le respect du droit, qui s'impose à l'administration, une attention plus grande à l'égard des citoyens, de leurs aspirations et de leurs doléances, une disponibilité plus grande à L'EXPLICATION peuvent prévenir nombre de litiges (le citoyen marocain est très sensible au bon accueil et à la bonne parole même si cela ne débouche pas sur la solution qui lui convient). Pour beaucoup de conflits, faute de pouvoir s'exprimer et se régler par des voies plus directes, la voie contentieuse constitue, malheureusement, la seule issue. Il est temps, pour être en phase avec la nouvelle Ere Constitutionnelle que l'action publique administrative contribue à inverser cette tendance. Ce sera le prix de son renouveau.