Des têtes sont tombées. Sept vétérinaires et autant de cadres au sein du département de la Pêche. Deux dans l'administration centrale et cinq relevant des délégations de la Pêche. Parmi ce gotha, deux cadres supérieurs, dont l'administrateur du système informatique du ministère de la Pêche. Les sanctions n'ont pas épargné les milieux professionnels. Six unités de transformation ont vu leurs agréments suspendus. Trois à Dakhla et trois autres à Agadir, apprend-on d'une source proche du Collectif Pêche et Développement Durable. Le scandale a éclaté lorsqu'un exportateur de produits de la pêche s'est présenté à la délégation de la Pêche au port d'Agadir avec un certificat vétérinaire d'export validé par un vétérinaire de Chefchaouen. De quoi mettre la puce à l'oreille du délégué d'Agadir qui a renvoyé le dossier à l'administration centrale de Rabat. Là, on découvre, toujours selon notre source, que le vétérinaire a délivré son certificat sur une unité de traitement des produits de la mer, effectivement basé à Chefchaouen et qui était à l'arrêt de toute activité depuis au moins six moins, mais que son agrément n'était pas encore suspendu. D'où la brèche. Après enquête approfondie, on découvre qu'il ne s'agit pas de la première fraude, mais qu'au contraire c'est devenu presqu'une « habitude ». Et comme un scandale cache toujours un autre, on découvre une autre affaire du même acabit avec pour théâtre le port d'Agadir et une unité de traitement à Dakhla. Et bien sûr, un vétérinaire comme acteur principal. Cette affaire remonte au mois de mars dernier. Le 20 du mois dernier, donc, un exportateur se présente au port d'Agadir avec six containers de produits de la mer à l'export avec lui aussi de vrais-faux documents ou de faux-vrais documents, à vous de choisir. Parmi ces documents, bien sûr, figure en bonne place le fameux Certificat Vétérinaire à l'Exportation (CVE). Un document qui précise le numéro de série du container, (à préciser que c'est un numéro unique et propre à chaque container, exactement comme une empreinte digitale), le matricule du camion et la composition de la cargaison. Pour ce qui est du contenu de la cargaison, le CVE mentionne 120 tonnes de seiches, soit 20 tonnes par container. Sachant que le cours de la tonne de seiche vaut deux mille (2000) dollars à l'export. Les six containers passent toutes les formalités d'usage, même le scanner de la Douane, et étaient stationnés en aire d'attente d'embarquement. Jusque là, tout est normal. Jusqu'au... Le 23 mars, probablement suite à quelque mouchardise ou autre procédé, toujours est-il que les services de la Douane du port d'Agadir ont procédé à la réouverture des six containers en présence d'une commission regroupant tous les services concernés. Là, on découvre que chaque container ne contenait que deux ou trois tonnes de seiche et tout le reste de poulpes. En fait, il y en avait plus. Exactement quelque 4400 caisses de poulpes. Sachant que le cageot de poulpe contient entre 30 et 35 kg, c'est en fait 150 tonnes d'Azaiz ou de tako (autres noms du fameux céphalopode, en berbère et en japonais) qui allaient être exportées frauduleusement. En fait, on est là devant une double, ou même triple fraude. D'abord la tonne de poulpe est cotée actuellement à 8000 dollars à l'export est non les 2000 déclarés en étant de la seiche. Un simple calcul révèle le montant de la fraude: 150 T *8000= 1.200.000 $ Alors que les 120 tonnes de seiche ne sont déclarées qu'à 240.000. C'est presque un million de dollars de « noir ». En termes plus clairs, si l'opération avait réussi, l'exportateur n'aurait rapatrié que les 240.000$ déclarés. Nous sommes là face à une vraie opération de fuite de devises. L'autre fraude concerne les 150 tonnes de poulpe. Il va de soi que si l'exportateur a pris soin de ne pas les déclarer, c'est qu'elles ont été pêchées hors quota légal. Autrement dit, nous sommes devant une preuve patente et plus que manifeste que la pêche illicite du poulpe se poursuit dans l'impunité totale. Sinon, comment expliquer que du poulpe, par dizaines, sinon des centaines de tonnes, puisse être pêché, débarqué, transporté vers une unité de valorisation ou de congélation, conditionné et emballé puis retransporté par voie terrestre de Dakhla à Agadir, sans que personne ne puisse s'en rendre compte ? Dans le cas présent, cela a même passé la douane, une première fois comme un couteau dans le beurre. Mais notre histoire ne s'arrête pas là, pour autant. Car il y a toujours une suite. Alors que la commission sus-mentionnée avait découvert le pot aux roses après réouverture des six containers, le 23 mars dernier, l'exportateur revient à la charge le lendemain, soit le 24 mars, et s'amène avec un autre Certificat Vétérinaire à l'Export, identique au premier, avec le même numéro de série des containers, le même matricule des camions et établi par le même praticien qui a établi le premier mentionnant les 120 tonnes, exclusivement de seiche. Mais cette fois, le certificat du 24 mars fait état aussi de la cargaison de poulpe. De quoi s'arracher les tentacules. Car, si on commence à se jouer aussi facilement de documents officiels, qui, de surcroît, sont des documents informatisés, il ne serait que temps de donner un grand coup de pied dans la fourmilière, ou plutôt dans l'alevinière, pour mettre un tant soit peu d'ordre dans un secteur qu'on espère toujours en faire une locomotive des exportations marocaines, du moins dans l'agro-alimentaire. Mais force est de reconnaître que ce n'est pas en suspendant une poignée de fonctionnaires ou en gelant une autre agréments d'exploitation, qu'on mettrait fin à de telles procédures, tant les lobbies du secteur, du moins ceux qui profitent de tant de brèches, ont toujours fait montre de prépondérance, et font tout pour combattre toutes prémices de réforme. Pour ce qui est de notre exemple des six containers de Dakhla-Agadir, il y a lieu de relever une anecdote qui fait que dès la découverte du cageot aux roses, des pétitions, faisant état de la bonne citoyenneté de l'exportateur, circulent à Dakhla et signées par plusieurs acteurs de la société civile.