Par Faysal Cherif Alors que la Tunisie devient, en quelque sorte, à la fois pépinière des révoltes ou révolutions arabes et précurseur dans l'édification du processus démocratique, le terrorisme tente par tous les moyens de saboter cette expérience nouvelle dans le monde arabe. Lier la question du terrorisme en lui opposant objectivement la démocratie comme remède serait une approche à la fois pédagogique et stratégique. C'est dans ce cadre qu'une délégation tunisienne importante s'est déplacé à Rabat pour débattre sur cette question et proposer des pistes de réflexion dans le cadre d'un colloque international intitulé : « La démocratie à l'épreuve du terrorisme : nouveau défi de la communauté internationale » et ce les 14 et 15 mai 2015 à la Bibliothèque Nationale de Rabat. Des expériences et des expertises venues d'Afrique et d'Europe La rencontre était une sorte de melting-pot autour d'une préoccupation centrale, à savoir la démocratie, qui ne cesse de faire face aux extrémismes, ces derniers se traduisant ensuite par le terrorisme. Les organisateurs et le président, Mohammed Derouiche et Moussaoui el Ajlaoui, ont tenu à nous faire part des souffrances des victimes du terrorisme en invitant trois femmes de choix : Souad El Khammal, qui a perdu son mari et son fils lors des événements du 16 mai 2003 de Casablanca, Barabara Dükherop, elle aussi restée avec 4 enfants après que les extrémistes basques eurent tué son mari. La grande absente, Basma Khalfaoui, veuve du feu Chokri Belaïd qui est venue à Rabat mais décliné l'invitation ; c'est bien dommage !!!. L'accueil réservé à la délégation tunisienne était excellent. Le témoignage des deux veuves du terrorisme était fort émouvant. Comment des terroristes ont brisé une vie de famille et tué aveuglement de personnes innocentes, dont le seul tord était d'être au lieu de l'attentat. Ce choix était, à n'en pas douter, excellent pour démontrer que le terrorisme n'a pas de frontière, ni de nationalité. Car il tue sans discernement et chacun de nous peut être touché, d'où la nécessité de sensibiliser la société civile d'être en quelque sorte le bouclier et l'avant-garde protectrice de la sécurité collective. La délégation tunisienne était fortement représentée par des universitaires Abdelwahid Mokni, Khalid Abid, Faysal Cherif et Badra Gaaloul, ainsi que deux représentants de Nida Tounès : Bilel Ecchabi et de Afak Tounès, Gihène Maatoug. Du Maroc, de la Mauritanie (Mohammed Mahmoud Abou El Maali) au Niger, à la Libye (Jomaa Gmati) à la France et l'Espagne, tous sont venus témoigner de l'expérience démocratique et des menaces du terrorisme. Quand la démocratie œuvre, les extrémistes aussi ! Ce colloque international de grande envergure avait ouvert l'éternel débat entre la nécessité d'ouverture démocratique dans le monde arabe et le danger de l'extrémisme qui guête les tentatives engagées dans le monde arabe. Brandir le spectre du terrorisme et mettre un état policier, voire militaire, fut de tous les temps la bannière sous laquelle les régimes arabes trouvèrent refuge pour faire obstacle à l'établissement d'un véritable régime démocratique en recourant aux urnes et à la volonté du peuple. Cependant, la méfiance s'impose aussi comme l'ont bien démontré nos deux confrères Khaled Abid et Abdelwahed Mokni, que ce fut aussi sous cette démocratie tunisienne et un certain laisser-aller, voire parfois une complicité, quelques fois prononcée, que les extrémistes ont pu s'organiser sur le plan idéologique et opérationnel, pour profiter de la démocratie et la combattre ensuite ; l'exemple de Ansar Al Sharia est à ce titre éloquent. Faut-il, dans une démocratie, laisser la porte ouverte aux extrémistes qui se transformeront ensuite en terroristes ? Décortiquer le phénomène terroriste Plus de 6 interventions furent centrées à déceler les tenants et les aboutissants de la propagande et du mode de recrutement des réseaux terroristes. L'expérience espagnole, à la fois avec les Basques et puis les événements de Madrid de 2004, avait été expliquée par une délégation espagnole fort imposante, qui a insisté sur la nécessité de suivre et de comprendre le parcours de l'extrémise nationaliste, puis dit « islamiste », et surtout l'importance de la mise en place d'un véritable dialogue sociétal afin de parer à ce phénomène. Une expérience à méditer. A propos de la région du Sahel et de l'Afrique du Nord, les différents intervenants ont insisté sur l'importance d'une analyse sociopolitique et la dynamique du processus d'exclusion économique et religieux, qui ont remis la question de l'extrémisme, qui s'exprime désormais par la violence. Le prosélytisme, l'exclusion, l'ignorance, l'idée de complot, facile à véhiculer à travers le discours religieux, l'absence d'une stratégie de l'éducation primaire, secondaire et universitaire, l'absence d'horizons sont un ensemble de facteurs qui expliquent, mais qui ne peuvent aucunement justifier ce phénomène. Tous ces facteurs sont véhiculés par une véritable propagande savamment orchestrée par les groupes terroristes et qui recourent désormais aux moyens de communications performants et perfectibles. Terrorisme et démocratie Le terrorisme ne croît aucunement à l'Etat national, il préfère lui substituer la Khilafat, une sorte de chimère véhiculée par ces groupes prétendant défendre une vérité religieuse ; et c'est la grande tromperie ! De ce fait inciter les extrémistes à se plier aux conditions d'un Etat civil et œuvrer à cohabiter pacifiquement en procédant toujours au dialogue et non à la violence ; c'est le défi qui s'érige devant nous et auquel les réponses ne sont nullement sécuritaires mais plutôt culturelles. Tous les participants ont insisté sur l'importance du facteur de l'enseignement, du loisir, de l'intégration sociale, l'épanouissement de l'individu dans un cadre de vie agréable, sans occulter la grande question de la manipulation des esprits par les médias, les réseaux sociaux, les lieux de cultes. De nombreux pays sont partis dans un va-t-en guerre contre le fléau terroristes, mais aucun résultat tangible n'a été réalisé. C'est le triste constat des USA dans sa guerre en Afghanistan et en Irak, plus 800 milliards de dollars dépensés pour rien, alors que si ce pays et d'autres avaient œuvré à construire une nouvelle économie, un enseignement de qualité et des horizons économiques viables pour les populations, certainement les résultats auraient été autres et meilleures. Ce sont en fait les grandes lignes des 5 recommandations de ce colloque que la Tunisie va inviter la prochaine fois. Nous attendons toujours ce fameux colloque national sur le terrorisme.