Le Madrid politique tremble dans ses fondements et Rabat s'inquiète. « C'est non seulement un pays voisin, mais aussi un partenaire politique et économique de premier plan », tient à rappeler un confrère, le score électoral du parti de gauche pro-polisarien, Podémos, ayant terni son humeur, même s'il s'y attendait. Avec toute la gravité de ton qu'exige la situation, commentateurs et chroniqueurs se livrent à moult arithmétiques politiques pour énumérer les différentes formes de coalition qui peuvent constituer le futur gouvernement espagnol, et ce, des deux côtés du détroit, bien au-delà des Pyrénées et du Rhin, mais aussi du Oued Isly, et jusqu'aux confins de Lahmada, où l'on a déjà commencé à construire des châteaux en Espagne. « La réalité est le corbillard des illusions », avait écrit un journaliste français du XVIIIème siècle. Commencer par souligner quelques évidences, sans s'empresser d'en tirer des conclusions, qui ne découlent pas d'un mécanisme évident. Tout ce qui touche à l'Espagne concerne, d'une manière ou d'une autre, le Maroc. Et vice-versa, d'ailleurs. Quand la crise a soufflé au Nord du détroit, au sud, nombre d'opérateurs économiques marocains en ont souffert. Et lorsque Madrid signifie son appui au plan d'autonomie dans les régions du Sud, Rabat apprécie. C'en est même arrivé au point où les services de sécurité des deux Royaumes travaillent la main dans la main, pour contrer la menace terroriste. L'essentiel, ici, n'est pas le terrorisme, mais le degré de rapprochement. Pour mieux en distinguer le relief, il faut garder à l'esprit, en toile de fond, la prise de conscience tardive de Paris à ce propos, malgré sa proximité politique, toutefois sujette aux aléas, avec Rabat. Parti de la gauche radicale, connu pour ses sympathies polisariennes, Podémos a réussi le challenge, seulement deux ans après sa création, de réaliser une percée lors des premières élections législatives auxquelles il participe et occupe, désormais, la 3ème place sur la scène politique du pays voisin du Nord. Il est intéressant de noter, par ailleurs, qu'il s'est imposé, essentiellement, dans les régions espagnoles où le séparatisme fait recette, la Catalogne et le Pays basque. Sa proximité idéologique du parti grec Syriza est, cependant, là pour rappeler son caractère faussement révolutionnaire. En matière d'opportunisme politique, Podémos a déjà fait ses preuves. En moins de deux ans, il a déjà renoncé à une partie des propositions de son manifeste fondateur. Pour engranger des voix, « camarade » Pablo Iglesias Turrión n'a pas hésité à jeter aux orties la nationalisation des grandes entreprises et des banques et d'enterrer l'audit-citoyen de la dette publique. Il n'est plus question, non plus, d'abaisser l'âge de la retraite. Quand à la sortie de l'OTAN... lubie de jeunesse vite oubliée ! Podémos, jusqu'à présent, n'est pas plus qu'une réaction cutanée de la population espagnole, lassée par l'incapacité manifeste des partis traditionnels à sortir le pays de la crise et du chômage massif dans lesquels il est englué ces dernières années. Les leaders de ce nouveau venu de la scène politique espagnole doivent parfaitement se rendre compte que la radicalité des débuts militants est une entrave à la conquête démocratique du pouvoir, par les craintes qu'elle suscite auprès d'une bonne part de l'opinion publique et des lobbys économiques espagnols. Soit ils s'enferment dans un entêtement idéologique et finissent alors pas voir leur parti s'effilocher, une fois la crise passée, non sans avoir porté quelques coups aux relations maroco-espagnoles, soit ils sont suffisamment pragmatiques pour comprendre, entre autres, qu'on ne soutient pas la zizanie chez le voisin quand on compte, en partie, sur ce partenaire pour relancer la croissance et créer des emplois. Les sentiments séparatistes flattés par la gauche altermondialiste ont été, paradoxalement, confortés par la mondialisation ultralibérale, après avoir été générés, pour la plupart, par la gauche tiers-mondiste d'antan. Ils répondent mieux aux attentes des gigantesques multinationales, aux budgets supérieurs à ceux de pas mal d'Etats, en termes d'accès aux ressources naturelles et aux marchés. Sauf que l'émergence des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) sur la scène géopolitique mondiale, en contrepoids à la domination unique étasunienne, promeut une autre conception de la mondialisation, où la souveraineté des nations garde toute sa pertinence. Dans une telle vision du monde, qui ne cible pas le dépècement des vieilles nations pour la production à la chaîne de micro-Etats faibles et aisément manipulables, le Maroc est la porte d'accès pour l'Espagne vers l'Afrique subsaharienne et l'Espagne, le tremplin du Maroc vers l'Amérique latine. Les députés de Podémos au Cortès espagnol, sans la contrainte de responsabilités gouvernementales, ne se gêneraient pas pour pousser des « olé » à tout bout de champ, se faisant le plus insistant sur les sujets qui ne nécessitent d'autre bravoure politique que formelle. L'affaire du Sahara se prête, donc, parfaitement à un tel schéma. L'éventualité, très probable, d'envolées « lyriques » des députés de Podémos au Cortès, faisant l'ode du séparatisme polisarien, accompagnant des propositions de loi, directement inspirées par les écrits du Che Guevara, serait, toutefois, une plus mauvaise chose pour l'Espagne que pour le Maroc. Pousser l'Espagne à prendre une position claire et tranchée au sujet de l'affaire du Sahara pourrait cacher bien des surprises pour les sympathisants espagnols des séparatistes et griller une carte diplomatique que Madrid a toujours voulu garder comme un joker dans le jeu de ses relations avec Rabat. Les Marocains vont applaudir chaleureusement un franc jeu de la part de leurs voisins espagnols. Cela revient, pour eux, à répondre à une question très simple, mais ô combien décisive : l'Espagne a-t-elle intérêt à voir émerger une nouvelle entité étatique au Maghreb, au risque de l'apparition d'un croissant de lune terroriste allant du Golfe de Syrte à l'Atlantique ? Quand les personnes réellement avisées à ce sujet, dans le pays voisin, se trouveront dans l'obligation d'expliquer publiquement pourquoi ce serait une très mauvaise idée, les pro-polisariens auraient rendu une fière chandelle au Maroc, en privant l'Espagne d'un levier de pression diplomatique, qui a, de toute manière, déjà commencé à s'éroder. Maintenant que la mise en œuvre de la régionalisation avancée a commencé, le Maroc est légitimé d'escompter une reconnaissance formelle de sa souveraineté sur ses régions du Sud. Certains pays, pour préserver leurs relations avec l'Algérie, ne sont pas tentés de se prononcer officiellement à ce sujet et préfèrent se cacher derrière les Nations Unies. Tout le savoir-faire de la diplomatie marocaine va consister à saisir chaque opportunité qui se présente pour amener ces pays à prendre clairement position, la bonne bien entendu. Les résultats électoraux spectaculaires de Podémos marquent indéniablement la fin d'une époque et le début d'une autre sur la scène politique du voisin du Nord. Le Maroc est, lui, entré en mutation bien avant et poursuit sa montée en puissance, lentement, discrètement, mais sûrement. La réaction aux changements des partis au pouvoir chez les pays partenaires d'Europe doit, de ce fait, évoluer tout autant, en prenant en considération aussi bien les nouvelles donnes politiques dans ces pays que le degré de maturité politique, diplomatique et économique du Maroc et tous les arguments et atouts qu'il peut faire valoir. Le « camarade » Pablo Iglesias Turrión osera-t-il se faire prendre en photo avec Mohamed Abdelaziz, qui vient d'être réélu pour un... 12ème mandat ?! Vive le président à vie détourneur d'aides humanitaires, exemple du « démocrate probe et désintéressé » à montrer à toute l'Espagne. La déchéance morale de la gauche radicale espagnole n'en sera que plus honteuse que celle de sa consœur grecque.