Nous avons constamment soutenu que la mise à niveau du système éducatif national est ballotée entre les recommandations d'une approche conceptuelle, globale et intégrée se situant dans la prospective et les décrets d'un exécutif bureaucratique, dirigiste et narcissique préoccupé, surtout, par l'annonce d'objectifs de types spectaculaires à coups d'éclat de nature à redorer son blason, même si la réalisation est compromise au départ. Alors que les directives, de la plus haute autorité de l'Etat en la matière, incitent les uns et les autres à la consolidation des efforts, à la capitalisation des acquis et l'enroulement de toutes les forces vives de la nation, afin d'atteindre ces objectifs, dans un pacte national, ce que S.M le Roi a appelé la loi-cadre. Cette attitude permet de garantir la continuité du processus de réforme en se fixant des objectifs réalisables, en travaillant sur le moyen et le long terme et en évitant les déceptions, les frustrations et les tensions sociales inutiles. Nous avons constaté, malheureusement, que l'exécutif chargé de l'éducation nationale agit, constamment, en dehors de cette ligne de sagesse ; à chaque remaniement gouvernemental l'effort du département change d'orientation en fonction des perceptions primaires de la nouvelle équipe ministérielle mise en place. Le système éducatif vit, faut-il le préciser, sur les effets pervers des projets non entamés, inachevés ou abandonnés. L'article ci-joint inaugure une série d'écrits orientés dans le sens de dévoiler le clivage entre les orientations constructives de S.M le Roi Mohammed VI et un exécutif dont les attitudes sont, consciemment ou inconsciemment, à la limite subversives (1). Le ministre de l'Education Nationale nommé le 15 avril 2017, suite au changement gouvernemental, adopte une attitude radicalement opposée par rapport à celle de son prédécesseur. De ses déclarations officielles nous pouvons déduire, aisément, qu'il prend ses distances de la vision stratégique, en tant que cadre global et intégré d'action, en s'inscrivant, plutôt, dans une ligne, qui se veut pragmatique en prônant un mode d'action directe. Ancien Ministre de l'Intérieur, un Homme forgé dans le moule de la hiérarchie a dû estimer, à l'égard de ses positions déclarées, qu'il est temps d'imprimer un rythme cadencé au processus de la réforme et de ne plus perdre du temps dans les tergiversations conceptuelles et méthodologiques. Le temps est à l'action. Ainsi, nous pouvons mettre à son actif les décisions suivantes : -le français doit être enseigné à partir de la première année du primaire ; -le nombre maximum d'élèves dans les classes ne dépasserait pas 40 élèves dès la rentrée 2017 ; -la création de 55 nouvelles écoles, dont 26 en milieu rural pour la rentrée scolaire 2017-2018 ; -la suppression des 25 000 classes de préfabriqué à l'horizon 2019 ; -l'incitation du personnel travaillant dans le secteur éducatif à soigner leur tenue vestimentaire. Ce dirigisme centralisateur est en contradiction avec les directives royales qui font de la régionalisation un choix stratégique du développement, en ce sens l'initiative devrait être territoriale, d'une part et d'autre part, l'annonce d'opérations ponctuelles n'aura aucun impact sur l'inertie du système. Mais ce qui constitue notre préoccupation c'est le fait que ces actions n'ont aucune chance de réussite. C'est un deuxième aspect qui est inquiétant compte tenu du climat social et c'est l'objet principal de cet assai. D'abord, ces décrets ressemblent, étrangement, à l'annonce, implicite, d'un mini plan d'urgence en substitution aux objectifs de la réforme mère « la vision stratégique 2015-2030 ». En effet, les deux dernières réformes reproduisent presque les mêmes phases : une période de spéculations administratives improductive (2), celle-ci est suivite, brusquement, d'une prise de conscience de l'immobilisme dans lequel se trouve le processus de la réforme ; celle-ci est traduite, immédiatement, par une agitation des autorités administratives supérieures et l'annonce d'une séries de mesures, sous forme de décrets ; l'essentiel de celles-ci verse dans le chapitre de la construction et de l'équipement. Si nous n'avons aucune difficulté à admettre, qu'apparemment, ces réalisations vont contribuer, certes mais d'une manière insignifiante (3), à l'amélioration des conditions d'apprentissage ; par conséquent elles rejoignent, d'une manière ou d'une autre, les grands principes des réformes et notamment celle en cours ; mais il n'en demeure pas moins que la mise en œuvre de ces décrets et leur réussite se heurtent à des limites objectives et des obstacles techniques qui sont de nature à compromettre, sérieusement, la réussite de ces chantiers et l'atteinte de ce progrès, combien mêmedérisoire. Ces entraves résident, essentiellement, dans les délais d'exécution accordés et l'absence de préalables indispensables à la réussite de ces programmes. En d'autres termes et si nous focalisons sur la décision de décongestionner les classes, nous estimons qu'il est presque impossible de construire, durant la période de 5 mois (4), des salles de cours et de former les enseignants en nombre suffisant afin d'accueillir l'excédent d'élèves dégagé suite à l'opération de nivelage à 40 élèves par classe. Afin de rapprocher plus le lecteur de l'ampleur de l'entreprise, nous allons procéder à un exercice de simulation grandeur nature relatif à cette question. En dépit du fait que le projet n'est pas annoncé d'une manière précise, en cela nous reconnaissons l'attitude de l'administration qui possède l'art de maintenir le flou artistique. Ainsi, nous ignorons le nombre exact des classes à 60 élèvent par rapport au nombre total des classes à décongestionner, de cycles d'enseignement visés par la mesure et la répartition géographique de ceux-ci par commune à travers le territoire du royaume. Même si nous savons, à partir des informations recueillies sur terrain, que les classes à 60 élèventexistes bien dans d'autres régions que celles citées par le communiqué, notamment dans les provinces de Taroudant, d'Jadida et notamment à Azemmour et Essaouira. M. le ministre, il est de notre devoir de vous rappeler que chaque fois que vous réduisez l'effectif de deux classes de 60 élèves en deux classes de 40 élèves, vous créez, automatiquement, une troisième de 40 élèves en termes d'effectif. A celle-ci il faut assurer, en cinq mois et sur le territoire de la commune : -une salle de classe ; -l'équipement adéquat de celle-ci ; -un enseignant sinon deux formés et sortant d'un centre de formation. En s'appuyant sur les principes ci-haut mentionnés, nous allons procéder à l'exercice de démonstration annoncé, à partir des données réelles figurant sur le recueil des statistiques du ministère 2012-2013. Et nous allons supposer que : -cycle visé par les mesures, c'est le primaire, soit 122 156 classes au total ; -seulement 10% (5) des classes ont un effectif de 60 élèves, c'est à dire 12 215. Donc : -c'est 12 215 classes accueillant dans les faits 732 900 élèves. Et si nous voulons répartir, cette fois, ces 732 900 élèves, sur des classes de 40 élèves, ont aura besoin de 18 322 classes au lieu des 12 215. Par conséquent, il faut, en 5 mois, réaliser les opérations majeures suivantes : -construire 6 107 salles de classe ; -équiper ces salles ; -et y affecter au minimum s12 214 enseignants. La réussite de ces trois opérations est tributaire de la possibilité de mobiliser les fonds en fin d'exercice budgétaire, d'avoir les délais nécessaires pour le lancement des procédures d'acquisition de terrains et des marchés et les adjudications, et enfin l'existence d'un contingent d'enseignants mobilisable sur l'ensemble du royaume. Le fait est, premièrement, le ministère n'a pas de terrains acquis à l'avance et mis en réserve sur toutes les communes sur le territoire du royaume, sur lequel le ministère peut, à tout moment, construire chaque fois que le besoin se fait sentir ; par conséquent il faut passer par les procédures réglementaires d'acquisition de terrain. Deuxièmement, le département ne dispose pas de contingents d'enseignants formés (7) prêts à être mobilisés sur l'ensemble du royaume pour répondre aux besoins créés par les classes excédentaires éparpillées sur plusieurs communes. Troisièmement, il n'y a aucune possibilité de mobiliser les fonds nécessaires non-inscrits sur les lignes et les rubriques budgétaires en cette période de fin d'année d'exercice. Enfin, il manque un élément au projet, c'est le facteur temps, celui-là n'a pas de prix. Le résultat de la démonstration est que le ministère ne peut, absolument, pas réduire l'effectif des classes de 60 élèves en les ramenant à 40 en cinq mois. M. le Ministre, supposons que vous avez réalisé cette diminution, l'impact réel de celle-ci sur l'espace pédagogique et conséquemment sur l'opération d'apprentissage est presque nul. M. le Ministre, nous vous invitons de tenter l'aventure et d'aller visiter, à l'improviste, une école publique, des zones périphériques de la wilaya Rabat, Salé, Zemmour-Zair et vous allez vous rendre compte vous-même de : -L'état de délabrement des lieux, -la surpopulation des classes, -l'absence de conditions minimales d'hygiène dans les lavabos et les toilettes si ceux-ci existent. Suite à cette démonstration, nous ne pouvons qu'inviter les autorités administratives du département de l'éducation à un peu de retenue, de mesurer la portée de leurs engagements et de cesser d'infantiliser les citoyens marocains en leur promettant des projets irréalisables. M. le Ministre, le royaume n'a pas besoin de créer d'autres mécontents, d'autres foyers de tension, d'autres frustrations et de renforcer le sentiment du discrédit qui plane sur l'exécutif dans plusieurs domaines et en particulier dans celui de l'éducation. Certes, les difficultés du système ne datent pas d'hier et la responsabilité de l'actuel ministre, auteur des mesures ci-haut mentionnées, n'est pas à mettre en cause, mais eu égard du fait de décréter dans la précipitation des actions prometteuses mais sans lendemain, rappelle, avec amertume des attitudes de ses prédécesseurs, en particulier celles des ministres du plan d'urgence. Durant cette période, le département de l'Education Nationale, en confondant vitesse et précipitation, a augmenté régulièrement ses dépenses budgétaires en enregistrant un record de 18,96 % entre 2009 et 2011 (8) sans aucun résultat notable. Reprendre le même chemin, en engageant le département dans des actions spectaculaires mal calculées et dont le résultat est sans conséquences réelles sur la qualité du service éducatif, constitue une perte de temps et d'énergie et de ressources rares.Regrettable. M. le Ministre et par rapport à ce chapitre, précisément, le système a besoin de s'inscrire dans un plan de mise à niveau sur le court et/ou le moyen terme que vous pouvez lui donner l'intitulé qui vous paraît approprié (vision stratégique, charte II) et dont le programme de décongestionnement des salles des classes (9) n'est qu'une composante, elle sera associée aux programmes de construction, de réfaction et surtout à une cartographie prospective de formation des enseignants. Il est peut-être utile de vous informer, M. le Ministre, que plus de 90% des écoles satellites abritent un nombre de classes équivalant à deux et parfois à trois fois le nombre de salles. Cette prouesse était rendue possible grâce à l'instauration du système d'alternance des groupes. M. le Ministre, les hauts responsables du département ont dû, probablement, oublier (10) de vous informer que cette solution a été adoptée comme une alternative provisoire, il y a plus d'une vingtaine d'années, afin de faire face à la demande scolaire engendrée par la pression démographique et l'absence d'assiette budgétaire pour mettre en œuvre les projets de construction en souffrance. Cet oubli magistral a fait du provisoire, au fil des ans, une norme. Par conséquent, M le Ministre, si le département vise à améliorer les conditions d'apprentissage, il doit offrir à chaque enseignant (11) la possibilité d'avoir sa propre salle de classe dans laquelle il va développer et conserver ses manuels, les œuvres naïves de ses élèves et ses propres moyens didactiques. Vous allez vite vous rendre compte, M. le Ministre, qu'il ne s'agit plus de l'affaire de 40 élèves par classe, mais il s'agit de construire le double, en plus des établissements en service actuellement. +++ (1) Nous comprenons la subversion comme un processus d'action sur l'opinion par lequel les valeurs d'un ordre établi sont contredites ou renversées. (2) Cette période a duré presque deux ans dans le cas de la vision stratégique 2015-2017. Celle-ci a enregistré le passage de deux équipes ministérielles. (3) En France, selon les déclarations du ministre de l'éducation nationale, le nombre moyen d'élèves par classe est de 25,5 en maternelle, de 23 au primaire, de 24,8 au collège, de 19,3 en lycée professionnel et de 30 en lycée général. Ces statistiques sont présentées pour la rentrée 2016 (4) C'est la période qui sépare l'annonce de la mesure et la rentrée scolaire 2017-2018 (5) C'est une estimation heureuse, en principe un problème qui affecte 10% du nombre marginal. (6) Cette différence s'explique par le fait que pour la première année et la deuxième année du primaire, un il faut un seul enseignant bilingue par classe, alors qu'à partir de la troisième année, il faut deux enseignants par niveau. (7) Votre prédécesseur direct a engagé un bras de fer avec les sortants des centres de formation en refusant de les recruter (8) Voir à ce propos le rapport analytique du Conseil Supérieur de l'Education et de la Formation et de la Recherche scientifique, décembre 2014 (9) Ce programme doit viser à terme moins de 30 élèves par classe (10) C'est presque un oubli freudien. (11) Particulièrement au primaire.