Alors que les jours de ce 17-ème festival de Fès des musiques sacrées du monde s'égrènent, la flamme qui illumine les concerts de Bab Al Makina n'a pas perdu de son ardeur. Pour preuve : la soirée du vendredi, une démonstration artistique rassemblant côte-à-côte la troupe pakistanaise de Fareed Ayyaz et l'Orchestre arabo-andalou de Mohammed Briouel, était un vrai "bonheur spirituel ". Un concert qui a réussi un pari difficile : celui de faire revivre une époque où les grands courants artistiques et spirituels circulaient, faisant fi des déserts et des mers. Une époque où l'art se jouait des nationalismes et des institutions, dans un Orient ou un Maghreb aussi bien indien, persan qu'arabe ou turc. Un rendez-vous tout-court entre de grands musiciens, vocalistes et instrumentistes, entre deux cultures sacrées, chacune invitant l'autre dans l'espace de sa parole musicale, dans l'intimité de son chant. Après des prestations séparées où chaque groupe a fait étalage du meilleur de son art, les deux dignes représentants de deux cultures soufies ancestrales ont présenté, ensemble, une création artistique qui a aboli toutes les frontières. Dans un esprit commun de déclamation poétique, avec une même frénésie rythmique et une égale richesse d'ornementation, les choeurs puissants du qawwalî de Fareed Ayyaz se sont entrecroisé avec ceux du samâ' et ses voix incantatoires des confréries soufies de Fès dirigées par Mohammed Briouel. Le résultat : une sublime création mariant, dans un même réceptacle, parole soufie " qaûl ", tradition arabo-andalouse d'" al-âla " de Fès et art vocal du samâ'. Petit à petit, le concert est entré dans une sorte de surpassements vocaux où chaque membre du groupe a donné la juste mesure de son art. D'une montée de tempo à une autre, la douceur du samâ' prend toujours le dessus, avant de " libérer la voie " à de belles séances d'improvisations. Un bonheur sans bornes pour le public présent. Toutefois, le spectacle n'aurait pas atteint cette harmonie "ensorcelante " qui s'est vite installée entre les deux groupes sans, d'un coté, cette main de maître du grand Haj Briouel, cette vivacité de l'esprit de sa musique et ce rythme rapide et enlevé de son jeu de cordes très ornementé. De l'autre, un unique Fareed Ayyaz, qui a apporté ces rythmes et ces mélodies hindoustani, qui font l'originalité des chants Qawwali. Un genre musical profondément lié à l'implantation et à la propagation des confréries soufies dans le sous-continent-indien, à partir du 13-ème siècle. Des temples de méditation et de sagesse qui résistent, tant bien que mal, aux aléas d'une modernité " dévorante ". Samedi soir, ce parfum de sagesse soufflera encore sur Bab Al Makina, qui accueillera Kazem El Saher et Asmaâ Lamnawar, dans une soirée dédiée aux récits spirituels.