Les provinces du Sud, un modèle inspirant de développement durable en Afrique (politologue sénégalais)    Benkirane contre l'instauration d'une monarchie parlementaire au Maroc    Le Maroc précise sa position sur le Sahara après la résolution de l'ONU    À Rabat, le Comité intergouvernemental d'experts pour l'Afrique du Nord examinera les moyens d'accroître les ressources publiques par l'innovation et la technologie    Banques: Le déficit de liquidité recule à 142,1 MMDH    Dakhla : La Cité des Métiers et des Compétences ouvre ses portes    Nous sommes partis de loin !    Le Maroc et Israël négocient la reprise des vols directs    Matchs Maroc - Mozambique et Ouganda : Walid Regragui convoque Abdelhamid Aït Boudlal    Tarek Sektioui prépare l'équipe réserve marocaine pour la Coupe Arabe au Qatar    Football : Le Maroc entre dans l'histoire du ballon rond mondial    CDM U17 Qatar: les Lionceaux, sans pitié pour la Nouvelle Calédonie, s' approchent de la qualification    Partido amistoso Marruecos-Mozambique con entradas agotadas en el Gran Estadio de Tánger    Moroccan futsal team advances to Islamic Solidarity Games semi-finals after defeating Afghanistan    Pablo Iglesias urges Polisario to intensify "war" against Morocco    Laâyoune : 350 détenus commémorent la Marche Verte    MAGAZINE : Les Andalousies atlantiques, l'amour dans l'âme    Mondial U17 : "La détermination des joueurs a été décisive pour remporter le match contre la Nouvelle-Calédonie"    Le Kenya cherche à établir un lien commercial direct avec le Maroc pour accroître ses exportations de thé    La plante du désert Zygophyllum gaetulum étudiée par des chercheurs marocains révèle son rôle central dans la pharmacopée saharienne    Des démonstrations politiques perturbent les funérailles de Sion Assidon à Casablanca, sa famille proteste    La Chine trace les contours de son avenir : le 15e plan quinquennal vers une modernisation intégrale    Semaine dans le rouge pour la Bourse de Casablanca    Mohammed Loulichki : Washington a voulu «placer la barre très haut en diffusant un texte reflétant le large soutien international dont bénéficie le plan marocain» pour le Sahara    Xavier Driencourt : «L'Algérie, pourtant membre du Conseil de sécurité et représentée à New York par Amar Bendjama, n'a pas réussi à empêcher l'adoption de la résolution historique en faveur du Maroc»    L'ONSSA dément les rumeurs sur le retrait de l'huile d'olive marocaine    Province d'Assa-Zag : Fatima Ezzahra El Mansouri inaugure des projets structurants à Al Mahbass    Eredivisie : Sittard bat Heerenveen, Ihattaren buteur    Botola : Résultats et suite du programme de la 8e journée    CDM (F) U17 Maroc 25 : LA COREE DU NORD CHAMPIONNE DU MONDE 2025    Lettre ouverte à Son Excellence Monsieur Moussa Faki Mahamat, Président de la Commission de l'Union africaine    Boualem Sansal et Christophe Gleizes, otages involontaires d'une relation franco-algérienne dégradée et du silence troublant des ONG    États-Unis : OpenAI visée par plusieurs plaintes accusant ChatGPT d'avoir agi comme un « coach en suicide »    Coopération navale : le Maroc et la France lancent l'exercice « Chebec 2025 » entre Toulon et Tanger    Cinq ans après son triomphe au Karabakh, L'Azerbaïdjan célèbre le jour de la victoire    Le Maroc élu membre du Conseil exécutif de l'UNESCO    Le temps qu'il fera ce dimanche 9 novembre 2025    Les températures attendues ce dimanche 9 novembre 2025    Sahara : Le Maroc consolide sa victoire diplomatique selon Elcano    Oujda: Ouverture de la 13e édition du Festival international du cinéma et immigration    La Marche verte, une épopée célébrée en grand à Agadir    Casablanca : Ouverture du 3è salon international du livre enfant et jeunesse    Casablanca : L'IFM célèbre la jeunesse au Salon International du Livre Enfant et Jeunesse    Fusion Show Ayta D'Bladi: un changement de lieu pour un show encore plus grandiose    Communauté Méditerranéenne des Energies Renouvelables : Aymane Ben Jaa nommé président    FIAV Casablanca 2025 : quand l'art numérique interroge l'identité à l'ère de l'IA    France : À Clichy-sous-Bois, mobilisation pour le retour du cafetier du lycée Alfred Nobel    Espagne : Les amis du Polisario relancent le débat au Parlement sur le Sahara    







Merci d'avoir signalé!
Cette image sera automatiquement bloquée après qu'elle soit signalée par plusieurs personnes.



Gabriel Banon : De la rue de Tanger à l'Elysée
Publié dans Maroc Diplomatique le 26 - 07 - 2022

Cédant aux nombreuses sollicitations pour ne pas dire les pressions de mes amis, je me suis décidé, enfin, à narrer comment je me suis trouvé un jour, à m'agiter dans les ors de la République française et dans le palais de l'Elysée. Ces souvenirs viennent, comme tous les souvenirs, dans le désordre et ne respectent aucune chronologie des faits. Seul s'impose l'enchaînement des événements.
Je suis né un 6 janvier, l'année importe peu et le propos ici n'est pas l'âge. D'ailleurs, les informations diffèrent suivant les documents officiels et la mémoire des anciens. En Afrique et dans le monde arabe, l'âge n'est pas un problème et la famille reste la cellule principale de la société. On ne connaît pas encore les maisons de retraite et les aïeux continuent à vivre au milieu de ceux à qui ils ont donné la vie, fort heureusement. Dans les pays dits développés, l'âge est un handicap, et la famille s'est étiolée dans beaucoup de pays. Au respect dû aux vieux, les Marocains ajoutent le pragmatisme. Ne disent-ils pas : « Celui qui te dépasse d'une nuit, te dépasse d'une ruse » ?
Mon enfance s'est passée à une époque où on ne fermait pas les portes des maisons. On entrait pour un oui ou pour un non, pour du sel, du sucre, pour annoncer une naissance, un mariage, un départ ou un retour de voyage. Les bébés n'avaient ni race ni religion. La mère, qui avait une « montée de lait » généreuse, allaitait indifféremment son bébé ou celui de la voisine. À ma connaissance, le Maroc est le seul pays où existe la notion de frères de lait. Des frères dont les liens sont aussi étroits que ceux du sang, parfois plus. La famille est la cellule maîtresse de ces sociétés « de quartier ». Les maisons de retraite étaient inconnues. Les aïeuls restaient à la maison, partie intégrante du cercle de famille. C'était le « vivre ensemble », un art consommé, à l'époque, de tous les Marocains.
Mon père, arabisant reconnu, nous avaient inculqué le respect des autres cultures, particulièrement l'Islam. Convaincu d'un même Dieu pour tous les Hommes, il n'avait pas hésité, lors de nos vacances annuelles à la campagne marocaine, à m'envoyer à l'école coranique du « bled ». Là, avec mes petits camarades, j'ai appris les versets du Coran sur les planches en bois préparées à notre intention par le « fqih ». Ajoutés à mes cours à l'école rabbinique, on peut dire que j'étais œcuméniste avant l'heure.
Je suis donc né un 6 janvier, dans une grande maison au N° 5 de la rue de Tanger, dans la vieille médina de Casablanca. Notre voisin immédiat était le Résident général, représentant la France au Maroc. À l'origine, la bâtisse avait été construite par un architecte français, pour loger le médecin du Général Lyautey, qui deviendra plus tard, en 1921 Maréchal de France. Je n'ai jamais su par quel hasard, mon père l'avait acquise, quelques mois avant ma naissance. La rue de Tanger donnait à droite sur le quartier des Consulats, et était coupée à gauche par la rue de Safi qui s'enfonçait dans le cœur de la Médina. De la fenêtre du deuxième étage, de la chambre de mes parents, on pouvait suivre les allées et venues de la Résidence et assister aux cérémonies et prises d'armes, lors de la réception de personnalités.
Mon arrivée fit la joie de mes parents, plus spécialement ma mère. Une fille m'avait précédé et le « choix des rois » était une bénédiction pour une « Mama juive ». Plus tard suivirent quatre filles. C'est dire si j'étais pour elle son « Roi », beaucoup moins pour mes cinq sœurs. Ma sœur aînée avait vu d'un très mauvais œil mon arrivée : elle venait subrepticement pincer le nourrisson que j'étais, me faisant pousser des cris qui ameutaient ma mère. Elle découvrit le pot aux roses à la deuxième ou troisième douloureuse tentative. Seule la dernière-née me vouait une admiration béate, toujours accrochée à mes basques. Elle avait la particularité de se souvenir de faits d'avant sa naissance. Elle devait écouter énormément aux portes.
Mes sœurs saluèrent avec soulagement l'arrivée de mon frère, treize ans après. C'est donc au milieu des filles que j'ai passé mon enfance. Je les embrigadais dans des aventures inimaginables, depuis la construction d'un bateau dans le jardin jusqu'à la recherche d'un trésor qui n'existait que dans mon imagination. À observer mes sœurs, j'appris énormément sur la gent féminine. Capables du meilleur comme du pire, elles pouvaient faire étalage d'un trésor d'affection comme d'un machiavélisme redoutable. Le bilan devait être positif, car elles m'apprirent à aimer les femmes et à leur parler.
À quatre ans, ma mère m'a mis à l'école hébraïque du quartier. Pendant trois ans, après avoir appris à lire et à écrire l'hébreu sacré, j'apprends par cœur les textes de la bible, la « Péracha ». Des textes qu'on ânonnait, religieusement, sans comprendre le moindre mot, pas plus que le rabbin enseignant, je présume. Mais cela me donna le goût de l'étude, développa ma mémoire et me familiarisa avec la lecture. Néanmoins, je ne devais pas y trouver un intérêt énorme, l'histoire court dans la famille qu'un jour, je revins inopinément de l'école sans attendre que l'on vienne me chercher. Ma mère s'inquiète à juste titre de ce retour prématuré : « L'école est en feu et le rabbin est mort » lui dis-je. Allons voir cette catastrophe, me répondit-elle. Elle me prit par la main et me ramena immédiatement à mes chères récitations.
J'allais avoir sept ans, lorsque mon père mit un coup d'arrêt à mes « études » religieuses. « Tu veux en faire un rabbin ? » demanda-t-il à ma mère. « Il est temps qu'il aille à l'école ! » C'est ainsi que je me retrouvais à l'Ecole Sansol, appelée aussi Ecole de la Ferme blanche, l'école de la République. Elle se trouvait et se trouve encore en bordure de la ville ancienne, vers la mer. On devait traverser toute la médina pour y arriver. A la porte de « Bab Marrakech », véritable « Rungis » de la ville, on slalomait entre les montagnes de légumes et de fruits. C'est à pied que l'on rejoignait l'établissement scolaire, ma sœur aÎnée et moi, puis, au fil des années, en groupe avec les autres sœurs. Mon père refusait que l'on nous accompagne en voiture. Il disait qu'il fallait y aller à pied, comme tout le reste de l'école. Seul avantage, Mbark, l'employé de maison qui nous accompagnait, pouvait se charger de nos cartables. En hiver, lorsqu'il pleuvait, on était tous équipés, bottes en caoutchouc et cirées.
Les premières semaines furent une succession de déménagements. Après une semaine de classe, le directeur venait et me demandait de ramasser mes affaires ; je changeais de classe. La scène se répéta encore deux fois. Je bouclais les sept années de la primaire en trois ans et me retrouvais à dix ans à passer un examen éphémère de fin d'études, le DEPP (diplôme d'études primaires préparatoires), trop jeune, à l'époque, pour postuler au certificat d'études.
Nous sommes encore en guerre. Le régime de Vichy, sur les directives des Nazis, ordonne à Rabat d'appliquer les mesures discriminatoires à l'égard des juifs : recensement et renvoi de tous les élèves juifs des écoles publiques. Le Roi Mohammed V s'y opposa en déclarant qu'il n'avait que des sujets marocains. On échappa à certaines mesures infamantes, pas toutes, entre autres, l'application de la loi du 3 octobre 1940, limitant le nombre d'écoliers juifs dans les institutions françaises. Il n'obtint que le maintien d'un élève par classe, le numérus clausus. Plus tard, j'apprendrai que des avocats juifs furent également frappés par ces mesures d'exclusion, ainsi que des familles habitant la ville nouvelle.
L'école israélite de l'Alliance se mobilisa pour faire face à cet afflux d'élèves. Elle déploya un trésor d'imagination pour organiser deux lycées dans un, celui du matin et celui de l'après-midi. Ces lois raciales furent abolies le 16 novembre 1942 par le Général Eisenhower.
J'ai bénéficié de la mesure « numerus clausus » et poursuivi mes études au Lycée Lyautey. L'inconvénient est qu'il me coupa de ma communauté. Mes amis furent des Jacques, Georges, Michel, etc. et pratiquement pas des Jacob, Isaac et tant d'autres. Le seul juif que je peux reconnaître comme ami d'enfance est un Lucien. Il partageait ma passion pour l'escrime et je le connus à la salle d'armes. Nous avions alors onze à douze ans.
Si la matière, en laquelle j'excellais, était les mathématiques, je le dois à un professeur exceptionnel qui m'en donna le goût. Il expliquait que les maths étaient un jeu de devinettes, avec à notre disposition des règles pour résoudre les énigmes, ces différentes règles que nous devions apprendre par cœur.
Je fus un lycéen très occupé. Outre les cours, j'avais les leçons d'escrime, la préparation de ma « Bar Mitsva », ma communion, et le week-End, le scoutisme. Avec mes amis du lycée, je rejoignis les scouts de France. À la première rencontre avec l'aumônier de la troupe, je l'informais que j'étais juif. Une chance, c'était un prêtre intelligent et ouvert. Il me rassura en me disant qu'il ne voyait pas où était le problème, « Jésus était juif, aussi on pourra faire de toi un bon catholique ». Je m'esclaffais en lui disant que le risque était partagé. C'est ainsi qu'il m'arriva de servir la messe.
À partir de la troisième, on s'inscrivit tous ensemble, devenus « routiers », à la préparation militaire. C'était aux escadrons de France. Les dimanches, on les passait à cheval.
Chaque fois que j'avais un moment, j'allais traîner au port, pratiquement en face de la maison. J'arpentais de préférence le quai militaire. Je passais de longs moments à admirer, un sous-marin, un croiseur, ou encore un garde-côte de la Marine nationale française. C'est là que je fis la connaissance de deux élèves ingénieurs-mécaniciens de la Marine nationale. L'un, Charles Donwahi, venait de Côte d'Ivoire, l'autre, Corneille, originaire de Conakry, habitait à Abidjan. Ils étaient affectés à cette période, au ravitaillement des bateaux, et officiaient pour ce faire, dans une immense barge-citerne, qui allait devenir mon point de ralliement au port. Charles et Corneille devinrent des visiteurs assidus de la maison familiale. Tout le monde les adopta. Ils continuèrent à venir après que j'avais quitté le Maroc pour mes études. Je ne reverrai, plus tard, que Charles, beaucoup plus tard, dans des circonstances inattendues.


Cliquez ici pour lire l'article depuis sa source.