Par-delà l'effet d'annonce, les velléités protectionnistes de Donald Trump à l'égard de l'industrie cinématographique américaine pourraient redessiner les cartes de la production mondiale, avec des conséquences contrastées pour des pays comme le Maroc, devenu ces dernières années un décor prisé des grandes productions hollywoodiennes. Dans un climat politique toujours plus inflammable à Washington, Donald Trump vient de relancer une offensive inattendue : imposer des droits de douane de 100 % sur les films tournés hors du territoire américain. Si cette mesure, évoquée initialement comme un coup de force économique et culturel, semble désormais faire l'objet d'un certain assouplissement, elle n'en reste pas moins un signal fort adressé aux industries du divertissement mondialisées. « Je ne cherche pas à nuire à l'industrie, je veux l'aider », a-t-il déclaré le 5 mai à la Maison Blanche, dans une tentative de désamorcer l'inquiétude croissante d'un secteur déjà fragilisé par des mutations profondes. Selon CNBC, le président prévoit une rencontre prochaine avec les grands acteurs du milieu hollywoodien afin d'« assurer leur satisfaction ». Une démarche qui tranche avec la véhémence de ses premières déclarations en ligne, où il accusait des pays étrangers de siphonner la créativité américaine et d'exploiter les faiblesses de gouvernance locale, visant nommément le gouverneur Gavin Newsom et la Californie, berceau historique du cinéma américain. Lire aussi : Pulitzer 2025 : Gaza, Trump, Soudan... une cuvée marquée par les drames mondiaux À ce stade, l'administration américaine n'a encore pris aucune décision définitive. Kush Desai, conseiller à la Maison Blanche, a confirmé que toutes les options restaient ouvertes pour répondre à la directive présidentielle : redonner à Hollywood son lustre tout en protégeant les intérêts stratégiques du pays. La genèse de cette mesure – un projet suggéré par l'acteur Jon Voight et son manager Steven Paul – traduit davantage un réflexe idéologique qu'une réelle concertation sectorielle. Les contours du plan tarifaire restent nébuleux : inclura-t-il uniquement les films étrangers, ou également les productions américaines tournées en partie à l'étranger ? C'est précisément cette ambiguïté qui fait vaciller les certitudes de pays comme le Maroc, qui s'est imposé ces dernières années comme une destination privilégiée pour les tournages internationaux. Le Maroc, partenaire de l'ombre d'Hollywood Depuis les dunes de Ouarzazate aux décors arides du Sahara oriental, le Royaume chérifien est devenu un territoire cinématographique incontournable, accueillant les équipes de films à gros budgets comme Gladiator, Kingdom of Heaven, ou plus récemment John Wick 4. Cette attractivité repose sur des atouts bien identifiés : une grande diversité de paysages, une main-d'œuvre locale qualifiée, une stabilité politique appréciée, et surtout des incitations fiscales compétitives. Mais c'est précisément ce modèle d'attractivité que la doctrine Trump semble vouloir remettre en cause. Si les menaces de sanctions visent avant tout les studios américains qui délocalisent leurs tournages pour réduire les coûts, le risque de voir ces productions renoncer à des décors comme ceux du Maroc, par crainte de représailles fiscales, n'est pas à exclure. Opportunité ou revers pour l'écosystème marocain ? À court terme, une application rigide de la politique douanière américaine pourrait freiner l'arrivée de certains tournages américains au Maroc, surtout ceux dont le budget repose sur un arbitrage fiscal serré. Cela représenterait une perte non négligeable pour les professionnels locaux – techniciens, figurants, loueurs de matériel – qui dépendent fortement de cette manne hollywoodienne. Cependant, une autre hypothèse se dessine. Si les studios américains venaient à se détourner de certains pays jugés trop exposés à ces mesures, le Maroc pourrait justement tirer parti de sa position intermédiaire. En renforçant ses accords bilatéraux, en clarifiant sa politique d'accueil et en consolidant ses infrastructures, le Royaume pourrait devenir une alternative stratégique pour des coproductions européennes ou asiatiques cherchant à éviter les contraintes du marché américain. Le cinéma est depuis longtemps un levier d'influence autant qu'un secteur économique. Le projet de Trump, en ciblant la délocalisation des tournages, vient réactiver une ligne de fracture entre souveraineté culturelle et logique de marché mondialisé. Mais à trop vouloir faire d'Hollywood un bastion nationaliste, la Maison Blanche prend aussi le risque d'isoler ses propres acteurs de la dynamique planétaire de création. L'impact du décret Trump dépasse ainsi les frontières américaines. Il interpelle les Etats qui, comme le Maroc, ont bâti une stratégie d'attractivité sur l'exportation de leurs paysages et de leurs compétences cinématographiques. Ce nouvel épisode de protectionnisme culturel pourrait être, à terme, le catalyseur d'une réorganisation de la carte mondiale du cinéma – avec ses gagnants, ses perdants, et ses zones grises.