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Selon une enquête accablante de "Libération", le régime algérien exerce un chantage diplomatique massif autour de Boualem Sansal et exige la tête de Xavier Driencourt
Transformé en gage humiliant d'une relation bilatérale empoisonnée, Boualem Sansal, écrivain franco-algérien de renom, est devenu l'instrument d'un bras de fer opaque entre Alger et Paris. Enfermement prolongé, soins médicaux différés, promesse de libération révoquée à la dernière minute : tout indique que le régime algérien utilise son sort comme levier de chantage diplomatique. Six mois d'enfermement, sans défense, sans audience, sans jugement. Depuis son arrestation arbitraire à l'aéroport d'Alger, le 16 novembre 2024, Boualem Sansal, écrivain majeur et figure de la mémoire algérienne contemporaine, subit une forme de disparition légalisée. Victime d'un acharnement aux contours diplomatiques autant que sécuritaires, ce citoyen français naturalisé depuis 2000, atteint d'un cancer diagnostiqué à la prostate, n'a pu être évacué à temps vers la France. Son sort demeure suspendu à des équilibres opaques entre Alger et Paris, selon une enquête fouillée du journal "Libération" (vendredi 16 mai, édition numéro 13 637). Un écrivain trahi par sa propre patrie Assigné à résidence puis interné, privé de visite, de téléphone, de courrier, M. Sansal n'a pour tout lien que de rares SMS de ses filles depuis l'étranger. «Le régime algérien s'est mis dans une terrible impasse avec cette affaire», confie un diplomate cité par Libération, ajoutant que «l'auteur paie le prix d'une fidélité critique à la vérité de l'Histoire.» L'accusation ? Un motif kafkaïen : atteinte à la sécurité nationale et à l'économie nationale. Aucun acte officiel n'a été notifié à sa défense. Aucun procès n'est envisagé. L'obsession des autorités algériennes pour sa supposée double loyauté – française et algérienne – alimente une persécution larvée. «Son cas est emblématique d'une hostilité tenace envers les écrivains libres, les binationaux, les voix critiques», analyse un observateur du dossier. L'auteur, qui avait quitté l'Algérie après une vie au service de l'Etat, n'a jamais renié son attachement à la terre natale. Il répétait souvent : «J'aime mon pays, malgré lui.» Une liberté promise, puis violemment révoquée À la fin mars, un signal d'apaisement émerge : une libération conditionnelle semble sur le point d'être actée. L'écrivain signe un acte de renoncement à son passeport algérien. Mais, à la dernière minute, l'autorisation de quitter le pays est révoquée. Le 2 avril, au moment d'embarquer sur un vol à destination de Paris, il est saisi et reconduit à l'hôpital-prison de Blida. La promesse diplomatique est rompue. Le Quai d'Orsay est pris de court. «Le président Tebboune a exigé, devant des officiels français abasourdis, que le Quai d'Orsay musèle son ancien ambassadeur, Xavier Driencourt», écrit Libération, en référence à celui qui, en octobre 2023, avait dénoncé le «chantage permanent de l'Algérie à l'égard de la France.» Dans une scène stupéfiante, «des diplomates français sont restés sans voix, sidérés par la brutalité des exigences du pouvoir algérien.» Entre larmes, silence et duplicité diplomatique Le silence de la France suscite malaise et incompréhension. Plusieurs anciens ambassadeurs et intellectuels s'alarment publiquement. François Zimeray, avocat du romancier, rappelle que «la France a donné à l'Algérie toutes les garanties possibles», mais que «l'auteur est maintenu au secret sans décision judiciaire, en dehors de tout cadre légal.» Jean-Marie Laclavetine, éditrice chez Gallimard, écrit à son tour : «Cet homme si doux et si plein de colère m'a dit : "J'ai commencé à écrire comme on enfile une tenue de combat".» M. Sansal n'est pas un dissident. Il est un patriote lucide, que le régime algérien ne peut tolérer. Il avait prévenu : «Je ne suis ni un traître, ni un espion. J'écris pour que la mémoire algérienne ne soit pas confisquée.» Cette parole lui vaut aujourd'hui ce que Libération qualifie de «réclusion idéologique dans un pays devenu sourd à sa propre histoire.» Une vengeance politique enracinée dans les rancunes mémorielles La haine que nourrit une partie du régime à l'égard de M. Sansal est ancienne. Il avait décrit, dès les années 2000, l'échec du nationalisme algérien, la dérive religieuse, l'instrumentalisation du passé. Dans Le serment des barbares, puis 2084 : la fin du monde, il écrit sans relâche «sur cette Algérie qui s'effondre sous le poids des falsifications mémorielles et de la haine recuite.» Le régime ne lui a jamais pardonné d'avoir évoqué, dans un roman, une jeune Algérienne juive, fille d'un chef de gare, tombée amoureuse d'un rabbin d'Alger, et victime de l'antisémitisme d'Etat. «Il ne leur suffisait pas de faire disparaître les juifs, il fallait aussi effacer ceux qui osaient encore parler d'eux», déplorait l'écrivain. Le prix du silence et l'étrange inertie française Malgré plusieurs démarches officielles, le sort de M. Sansal demeure incertain. À Paris, l'Elysée évite toute déclaration publique. «Le président Macron a été informé, mais il ne veut pas risquer une nouvelle crispation avec Alger», soupire un haut fonctionnaire. Pourtant, M. Sansal est un citoyen français, et la France, selon son propre droit, est tenue d'assurer sa protection. Pour Mme Zohra Bitan, chroniqueuse et militante des droits civiques, «l'attitude du gouvernement français dans cette affaire est moralement inacceptable. Un écrivain français est enfermé dans un hôpital-prison à 2 000 kilomètres de Paris, sans jugement, et on détourne les yeux.» L'homme, l'écrivain, la figure M. Sansal demeure, à travers son œuvre et sa droiture, l'un des plus puissants témoins de l'histoire contemporaine algérienne. Son silence forcé résonne comme une défaite morale pour tous ceux qui prétendent encore croire au pouvoir de la parole contre la répression. Sa fille, depuis Paris, résume la douleur et la dignité de la famille : «Il n'a plus de papiers, plus de passeport, plus de téléphone, mais il lui reste le courage. Et il veut écrire encore.»