Longtemps relégué au second plan des relations internationales, le « Sud global » s'impose aujourd'hui comme un acteur central dans la recomposition géopolitique mondiale. Cette notion, encore floue et contestée, regroupe des Etats aux trajectoires, aux ambitions et aux structures politiques hétérogènes, unis par une même volonté de contester un ordre international longtemps dominé par les puissances occidentales. Le Maroc, fort de sa diplomatie pragmatique et de ses réseaux multilatéraux, s'illustre dans cette dynamique par une stratégie de multi-alignement affirmée. Depuis les années 1990, le concept de Sud global s'est progressivement imposé dans le discours géopolitique pour désigner un ensemble d'Etats, souvent issus des anciennes sphères coloniales, qui refusent de s'aligner strictement sur les grandes puissances occidentales. Cette notion, héritée des conférences de Bandung (1955) et de Belgrade (1961), traduit une quête d'autonomie stratégique et une volonté de redéfinir les rapports de force mondiaux. La diversité des trajectoires au sein de ce Sud global est saisissante : monarchies pétrolières du Golfe, pays émergents à la croissance fulgurante ou démocraties en consolidation. Loin d'un bloc homogène, il s'agit d'un espace de tensions, de rivalités mais aussi de coopérations renouvelées, comme en témoignent l'expansion des BRICS et l'intensification des échanges Sud-Sud. La fracture entre le Nord et le Sud s'est particulièrement révélée avec la guerre en Ukraine. Tandis que les Etats occidentaux ont imposé des sanctions contre Moscou, nombre de pays du Sud global s'y sont refusés, invoquant la mémoire de la colonisation et la dénonciation d'un « deux poids, deux mesures » dans l'application des normes internationales. Pour ces pays, la domination occidentale, fruit de cinq siècles de suprématie, ne peut plus être acceptée comme une fatalité. Lire aussi : Omar Hilale : la Vision Royale au cœur de la coopération Sud-Sud à l'ONU Cette contestation s'accompagne d'une intensification des échanges Sud-Sud, qui représentent désormais 21 % des échanges mondiaux. Elle s'illustre également par la montée en puissance de médiateurs issus du Sud, comme le Qatar ou la Turquie, capables de dialoguer à la fois avec les Occidentaux et les puissances du Sud. Dans ce contexte en recomposition, le Maroc incarne une forme de diplomatie de multi-alignement à la fois pragmatique et stratégique. Puissance moyenne à l'influence grandissante, le Royaume s'est imposé comme un acteur à l'interface des mondes arabe, africain et méditerranéen. Tout en étant solidement ancré dans ses alliances traditionnelles avec les pays occidentaux – notamment à travers son partenariat stratégique avec les Etats-Unis et ses relations étroites avec l'Union européenne – le Maroc a su diversifier ses alliances pour renforcer son autonomie et préserver ses intérêts. Cette posture de multi-alignement se traduit par une ouverture proactive vers les pays du Sud global : coopération sécuritaire et commerciale avec les monarchies du Golfe, partenariats énergétiques avec l'Afrique subsaharienne et dialogue soutenu avec la Chine et l'Inde. Le Maroc mise sur une stratégie de diversification de ses partenariats, refusant de s'enfermer dans un seul bloc d'alliances. Il participe par ailleurs aux dynamiques régionales africaines, à travers l'Union africaine, et multiplie les initiatives pour jouer un rôle de médiateur dans les tensions régionales, comme le montre son engagement discret dans les crises libyenne et sahélienne. Un acteur clé dans les recompositions géopolitiques africaines Sur le continent africain, le Maroc a su capitaliser sur sa position géographique et son rôle historique pour renforcer ses relations Sud-Sud. Devenu un investisseur majeur en Afrique de l'Ouest et centrale, il promeut un modèle de coopération fondé sur les échanges économiques mais aussi sur le partage d'expertise, notamment dans l'agriculture, les énergies renouvelables et les infrastructures. Cette dynamique illustre la volonté marocaine de s'affirmer comme un partenaire incontournable, au-delà des logiques de domination ou de dépendance. Le choix marocain du multi-alignement traduit une conviction : l'émergence d'un monde multipolaire impose aux puissances moyennes de cultiver une autonomie stratégique tout en restant ouvertes au dialogue. En misant sur la coopération Sud-Sud et en consolidant ses relations avec l'Occident, le Maroc entend se positionner comme un pont entre le Nord et le Sud. Cette approche, en phase avec les aspirations d'un Sud global en quête de reconnaissance, confère au royaume un rôle singulier dans la redéfinition des équilibres internationaux. Au-delà de la contestation de l'ordre ancien, le Maroc incarne ainsi un modèle de diplomatie d'équilibre et d'anticipation. Une stratégie qui pourrait, à terme, lui permettre de peser dans l'émergence d'un ordre international plus inclusif et plus représentatif des réalités d'un monde en recomposition.