La visite officielle de Paul Kagame en Algérie, entamée mardi pour deux jours, a abouti à la signature de plusieurs accords et mémorandums d'entente dans divers secteurs. Mais au-delà de ces protocoles bilatéraux, la rencontre a été marquée par une déclaration du président rwandais qui suscite l'étonnement et interroge sur la posture d'ingérence qu'il s'emploie à cultiver, notamment dans les dossiers africains qui ne relèvent ni de sa compétence ni de ses priorités nationales. Au palais présidentiel algérien, le président rwandais, fidèle à son goût pour les déclarations intempestives, a pris fait et cause pour la position algérienne sur le dossier du Sahara. « Nous avons échangé les vues sur les zones de tensions et de conflits en Afrique et souligné notre soutien au peuple sahraoui et à son droit à l'autodétermination à travers un référendum libre, régulier et juste, conformément aux décisions de la légalité internationale », a-t-il déclaré, franchissant une ligne qui ne concernait en rien l'objet de sa visite. Cette sortie de Paul Kagame, pour le moins inattendue et déconnectée du cadre de coopération économique et technique initial, est révélatrice d'une certaine duplicité : sous couvert de signature d'accords bilatéraux, c'est un véritable alignement diplomatique qui s'opère, confortant Alger dans ses desseins de déstabilisation régionale. Car l'Algérie, isolée sur la scène diplomatique internationale, multiplie ces dernières années les alliances de circonstances pour légitimer son soutien aux séparatistes du Polisario. Et elle trouve en Paul Kagame un allié de circonstance, malgré les réalités internes explosives de son propre pays. Le président rwandais n'en est pas à son coup d'essai. Au cœur de l'Afrique, il est accusé depuis des décennies d'alimenter les tensions en République démocratique du Congo, en soutenant et en armant des groupes rebelles qui sèment le chaos dans l'est du pays. Cette ingérence permanente, doublée d'un passé encore brûlant de génocide, devrait inciter le dirigeant rwandais à la prudence plutôt qu'à la projection diplomatique hors de son aire d'influence. Pourtant, en Algérie, il s'érige en donneur de leçons sur un conflit saharien dont il ne maîtrise ni la complexité historique ni les dynamiques régionales. Lire aussi : Mohammed Benhammou : « L'Algérie doit sortir de l'impasse et accepter la dynamique politique autour du Sahara » Le paradoxe est d'autant plus saisissant que Paul Kagame s'était récemment distingué par des propos nuancés sur le Maroc, faisant part en octobre 2021, de son « grand estime et de son amitié pour Sa Majesté le Roi Mohammed VI, exprimant sa forte admiration pour les nombreuses réalisations accomplies par le Maroc devenu, sous le leadership du Souverain, un modèle de référence en Afrique dans divers domaines. » Cette volte-face soudaine, au mépris de ses propres analyses, semble davantage dictée par l'opportunisme diplomatique que par une quelconque conviction politique. Au-delà des formules creuses et des signatures protocolaires, la connivence entre Alger et Kigali révèle une convergence de tactiques : d'un côté, une Algérie en mal de crédibilité internationale, qui cherche à se repositionner sur l'échiquier maghrébin en instrumentalisant le dossier saharien ; de l'autre, un Rwanda toujours prompt à jouer les trouble-fêtes, y compris loin de ses frontières, pour détourner l'attention des accusations qui pèsent sur lui au sein de la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs. La question qui se pose désormais est celle de la légitimité de cette alliance. Qu'a à voir Paul Kagame avec l'autodétermination d'un peuple saharien dont il ignore jusqu'aux subtilités historiques et tribales ? Et à quel titre un chef d'Etat dont le bilan est entaché par de graves accusations de soutien aux rébellions congolaises se permet-il de donner des leçons de légalité internationale ? Dans ce théâtre des alliances de circonstance, l'Algérie et le Rwanda partagent un dénominateur commun : un passé récent marqué par les ingérences et la déstabilisation de leurs voisins. L'Algérie, par ses soutiens au Polisario et ses interférences dans les affaires sahéliennes, notamment au Mali et en Libye, se trouve elle-même contestée. Le Rwanda, quant à lui, fait face à une défiance croissante de ses partenaires africains, notamment l'Afrique du Sud, qui l'accuse d'avoir assassiné des Casques bleus sud-africains en RDC. Les gesticulations diplomatiques auxquelles se sont livrés Paul Kagame et Abdelmadjid Tebboune à Alger apparaissent donc pour ce qu'elles sont : une tentative de masquer l'isolement de deux régimes en mal de légitimité sur la scène africaine. Mais elles ne sauraient occulter le fait que, ni l'un ni l'autre, n'ont la crédibilité morale ou politique pour s'ériger en arbitres des différends sahariens. Dans un contexte géopolitique, cette sortie conjointe apparaît comme un énième coup d'éclat sans lendemain, dont la portée réelle est aussi incertaine que la sincérité de ses auteurs.