Malgré les ambitions de modernisation de l'économie marocaine, le poids de l'argent liquide continue de représenter un obstacle majeur à la transparence fiscale et au développement du pays. Selon les estimations, entre 400 et 420 milliards de dirhams échappent chaque année au contrôle de l'administration fiscale, privant le Trésor public de ressources cruciales. La dépendance excessive aux transactions en espèces ne se limite pas à l'évasion fiscale. Elle alimente également l'économie informelle, qui, au Maroc, demeure un pan significatif de l'activité économique. Dans un tel environnement, les transactions ne laissent aucune trace numérique, rendant la collecte de l'impôt et le contrôle financier quasiment inopérants. Cette situation permet à de nombreuses entreprises et travailleurs indépendants d'échapper aux obligations fiscales, au détriment des acteurs du secteur formel, qui en supportent seuls les coûts. Une concurrence biaisée s'installe alors, sapant la confiance dans l'équité du marché. Ce déséquilibre pèse lourdement sur les finances publiques. Les recettes fiscales qui pourraient financer les infrastructures, les services publics ou les investissements productifs font défaut, freinant les marges de manœuvre de l'Etat. L'utilisation massive de l'argent liquide ne se limite pas à un simple enjeu de gouvernance interne : elle expose également le Maroc à des risques sur la scène internationale. Les espèces, difficiles à tracer, constituent un levier idéal pour le blanchiment d'argent, la corruption et le financement d'activités illicites. À cet égard, le Royaume est tenu par ses engagements vis-à-vis d'instances internationales telles que le Groupe d'action financière (GAFI), chargé de surveiller la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme. Un recours prolongé aux espèces pourrait ainsi faire peser sur le Maroc la menace de sanctions et d'inscription sur des listes de surveillance. Pour rompre avec cette spirale, plusieurs experts plaident en faveur d'un soutien appuyé aux moyens de paiement numériques, et plus particulièrement aux paiements mobiles. Ils citent en exemple le Kenya, où les plateformes comme M-Pesa ont profondément transformé les usages. Le Maroc, qui ne compte actuellement qu'environ 15 millions de comptes bancaires, pourrait voir ce chiffre croître à 20 millions si une politique volontariste d'inclusion financière était mise en œuvre. La transition numérique des petits commerçants et des prestataires de services apparaît comme une étape indispensable. Elle suppose un accès simplifié aux terminaux de paiement et un allègement des coûts de transaction, encore jugés dissuasifs pour de nombreux entrepreneurs. Au-delà de la promotion des outils numériques, la lutte contre l'informalité reste un impératif. L'enjeu consiste à convaincre les acteurs opérant en dehors des circuits officiels de s'enregistrer, en leur garantissant un accès à la sécurité sociale et en leur offrant des incitations fiscales adaptées. Réduire le recours aux espèces ne relève donc pas d'un simple contrôle administratif : c'est un levier de modernisation économique à part entière. Moins de cash, c'est plus de transparence, une meilleure répartition de la charge fiscale et, en définitive, un environnement plus propice à la croissance inclusive. La numérisation des paiements, si elle est menée à bien, pourrait aussi constituer un moteur d'emplois, notamment pour la jeunesse et les micro-entrepreneurs. Un chantier ambitieux qui, au-delà des seuls enjeux fiscaux, engage la capacité du Maroc à se hisser parmi les économies émergentes résilientes et inclusives.