Le dernier rapport publié le 2 juin 2025 par des chercheurs de l'Université technique de Munich, de l'Université d'Oxford et de l'Ecole polytechnique fédérale de Zurich, intitulé Mapping the cost competitiveness of African green hydrogen imports to Europe, apporte un éclairage sur les ambitions européennes d'importation d'hydrogène vert produit en Afrique. L'étude révèle que, sans un soutien politique européen décisif, l'hydrogène vert issu du continent africain restera largement hors de portée sur le plan économique d'ici 2030, malgré des projets de grande ampleur. Selon ce rapport, qui s'appuie sur des modélisations géospatiales avancées, le coût de l'hydrogène vert africain, produit sous forme d'ammoniac pour le transport maritime, balancerait entre 4,2 et 4,9 euros par kilogramme dans un scénario de financement commercial classique. Ces chiffres dépassent largement les ambitions de compétitivité européenne, alors même que l'Union européenne envisage d'importer jusqu'à 10 mégatonnes de cet hydrogène propre pour décarboner des secteurs industriels difficiles à électrifier. Les chercheurs soulignent cependant que, sous un scénario de politiques de « de-risking » – où les gouvernements européens garantiraient le prix et l'acheteur final de l'hydrogène vert – le tableau s'éclaircit sensiblement. Dans ce contexte, le coût moyen de financement des projets chuterait en moyenne de 42 %, rendant l'hydrogène africain bien plus compétitif. Le rapport Mapping the cost competitiveness of African green hydrogen imports to Europe identifie alors 214 sites potentiellement viables dans six pays africains, dont la Mauritanie, l'Egypte et le Maroc. Mais les autres sites, précisent les auteurs, sont exposés à des risques géopolitiques et sécuritaires majeurs. « Même si les instruments de couverture des risques (comme les assurances contre l'expropriation ou les conflits) existent, la fragilité des environnements politiques africains reste un frein majeur à long terme », relèvent-ils. Ainsi, malgré des coûts qui pourraient, dans le meilleur scénario, descendre jusqu'à 3,2 euros par kilogramme en Mauritanie à l'horizon 2030, la pérennité de ces investissements demeure fragile. Lire aussi : Hydrogène vert: Le pari marocain pour un avenir bas carbone Une vision à contre-courant des projections optimistes En 2022, près de 99 % de l'hydrogène produit dans le monde provenait encore des énergies fossiles, rappellent les chercheurs. Le « vert » ne représentait qu'un maigre 0,1 % de la production mondiale, à un coût deux à trois fois plus élevé. L'Europe, soucieuse de réduire son empreinte carbone, a misé sur les immenses potentiels africains en énergie solaire et éolienne. Plus de 70 régions d'approvisionnement, principalement en Afrique, ont ainsi été identifiées par l'Union européenne, donnant lieu à des partenariats prometteurs, notamment avec la Namibie. Le rapport Mapping the cost competitiveness of African green hydrogen imports to Europe vient pourtant tempérer cet optimisme. L'étude met en lumière une inadéquation fréquente entre les projections de rentabilité et la réalité des taux d'intérêt auxquels sont confrontés les projets africains. Ces taux varient de 10,6 % au Maroc à plus de 26 % au Soudan, selon les scénarios commerciaux, creusant les écarts et rendant certains projets quasi inaccessibles sans une refonte profonde de la structure de financement. Les auteurs du rapport insistent sur la nécessité d'intégrer les coûts du capital spécifiques à chaque pays, plutôt que de se contenter de scénarios homogènes « optimistes ». Une approche qui, faute de précision, risque de générer des « actifs échoués » – des infrastructures inachevées ou inutilisées – aux lourdes conséquences pour les pays africains déjà vulnérables. En ce sens, Mapping the cost competitiveness of African green hydrogen imports to Europe alerte sur une fracture Nord-Sud persistante : les pays exportateurs sont souvent cantonnés à un rôle de fournisseurs de matières premières, sans bénéficier des retombées industrielles. Cette mise en garde s'appuie notamment sur le faible nombre de projets aboutis : sur 34 projets identifiés dans 31 pays africains, seuls deux ont atteint une décision finale d'investissement, et un unique projet pilote est opérationnel en Afrique du Sud. La plupart des projets restent au stade de la faisabilité, reflet des incertitudes qui planent sur le secteur. L'hydrogène vert africain : un pari géopolitique à clarifier Si le potentiel africain en matière d'hydrogène vert est indéniable, le rapport souligne que sa concrétisation repose sur un arbitrage délicat entre compétitivité économique, sécurité géopolitique et équité des partenariats. « La clé réside dans un soutien politique fort et dans une gestion raisonnée des risques », concluent les auteurs de l'étude. À défaut, le rêve européen d'une transition énergétique fondée sur l'hydrogène africain pourrait bien se heurter à la dure réalité des marchés mondiaux et aux défis locaux. Le rapport que l'Afrique, malgré ses atouts naturels, ne pourra pas à elle seule répondre à la soif d'hydrogène vert de l'Europe. Sans un engagement résolu pour atténuer les risques et repenser les modèles de financement, l'hydrogène africain restera, pour l'heure, une promesse plus qu'une solution.