Alors que les tensions internationales s'aggravent – guerre en Ukraine, escalade au Moyen-Orient, confrontation larvée entre l'Inde et le Pakistan – le continent africain reste en retrait des grands débats géopolitiques. Une prudence diplomatique qui interroge sur la capacité de l'Union africaine à incarner une voix unifiée dans un monde en recomposition. La multiplication des foyers de conflit sur la scène internationale, de l'Ukraine à Gaza en passant par le Golfe Persique et le sous-continent indien, redessine les équilibres géopolitiques avec une intensité rarement atteinte depuis la fin de la guerre froide. Mais dans cette reconfiguration à marche forcée, l'Afrique demeure à la marge. Ni pleinement acteur, ni tout à fait spectateur, le continent africain peine à adopter une ligne claire, oscillant entre neutralité prudente et alignements opportunistes. L'Union africaine, qui devrait incarner cette voix collective, s'est illustrée par un silence notable sur les dernières escalades, notamment celles entre Israël et l'Iran, ou encore les tensions entre l'Inde et le Pakistan. Même la guerre en Ukraine, pourtant lourde de conséquences sur la sécurité alimentaire du continent, n'a pas suscité de position ferme, à l'exception de quelques communiqués appelant à la désescalade. Ce silence apparent n'est pas sans coût. La guerre en Ukraine, en perturbant les chaînes d'approvisionnement mondiales et en provoquant une flambée des prix de l'énergie et des céréales, a mis à nu la vulnérabilité des économies africaines. Selon la Banque africaine de développement, plus de 30 millions de personnes supplémentaires sont tombées sous le seuil de pauvreté depuis 2022 en raison des effets indirects de ce conflit lointain. Lire aussi : Tinci Materials investit 2,8 MMDH au Maroc pour une usine d'électrolyte de pointe De même, les tensions croissantes entre l'Occident et le bloc sino-russe ont accentué la compétition pour les ressources stratégiques africaines, notamment les terres rares, les hydrocarbures et les métaux critiques. Cette ruée vers les matières premières s'accompagne souvent de rapports de force asymétriques, dans lesquels les intérêts africains sont relégués au second plan. Paradoxalement, alors même que l'Afrique tente de rester en retrait des rivalités globales, elle en devient un terrain d'affrontement privilégié. La présence militaire de la Russie via le groupe Wagner (désormais redéployé sous d'autres formes), les projets d'infrastructure chinois dans le cadre des Nouvelles routes de la soie, ou encore la réactivation des bases militaires occidentales dans le Sahel et sur les côtes de l'Atlantique en sont les preuves tangibles. À cela s'ajoute l'émergence du « Sud global » comme acteur géopolitique structurant. Si de nombreux pays africains sont invités dans les enceintes du BRICS+, peu ont encore clarifié leur doctrine diplomatique. Le continent hésite entre une stratégie de non-alignement revendiqué – dans la lignée des conférences de Bandung – et une diplomatie transactionnelle, dictée par les urgences économiques. L'Union africaine à la recherche d'une boussole Face à cette recomposition du monde, l'Union africaine semble en panne de cap stratégique. Créée pour défendre la souveraineté et l'intégrité territoriale des Etats africains, elle n'a pas su s'imposer comme acteur de médiation dans les crises internationales récentes. Son silence sur les frappes israéliennes à Gaza contraste fortement avec les prises de position du passé, notamment lors de la deuxième Intifada ou pendant les interventions militaires américaines au Moyen-Orient. Plus préoccupant encore, la voix africaine apparaît fragmentée sur la scène onusienne. Lors des votes à l'Assemblée générale des Nations unies sur la guerre en Ukraine ou les résolutions concernant la Palestine, les pays africains se sont divisés entre abstentions, votes contre ou pour, sans coordination régionale préalable. Un éclatement qui affaiblit la crédibilité du continent dans les grandes négociations internationales. Pourtant, cette situation n'est pas irrémédiable. La fragmentation actuelle du système international ouvre une fenêtre d'opportunité pour les puissances intermédiaires. Plusieurs Etats africains – notamment le Nigeria, l'Afrique du Sud, le Kenya ou encore le Maroc – pourraient jouer un rôle de pont entre les blocs, en valorisant leur positionnement géographique, leurs ressources et leur capacité à dialoguer avec l'ensemble des acteurs. Mais ce rôle ne pourra s'affirmer sans une clarification doctrinale. Il appartient à l'Union africaine d'actualiser sa lecture du monde, en dépassant les slogans du panafricanisme pour bâtir une stratégie diplomatique cohérente. Cela implique aussi de repenser les mécanismes d'alerte, de coordination et d'expression collective, afin d'éviter que les crises mondiales ne soient simplement subies.