Déstabilisé par la guerre entre l'Iran et Israël, le système monétaire international est confronté à une vague de réallocation historique. L'or, actif jugé incorruptible et souverain, s'impose désormais comme la deuxième réserve mondiale, devant l'euro, tandis que le dollar suscite une défiance croissante. Un tournant stratégique confirmé par l'enquête annuelle du World Gold Council. Depuis l'intensification des hostilités entre Israël et l'Iran au printemps 2025, les signaux de fragmentation du système financier international se multiplient. La menace explicite de Téhéran de fermer le détroit d'Hormuz, combinée aux frappes croisées dans la région du Golfe, a ravivé le spectre d'un embrasement régional durable. Ce contexte a renforcé la quête de valeurs refuges par les acteurs souverains, dans un climat d'incertitude monétaire grandissante. Dans cette recomposition silencieuse mais profonde, l'or connaît une ruée sans précédent depuis la fin de la guerre froide. Selon le World Gold Council (WGC), dans son enquête annuelle intitulée « Central Bank Gold Reserves Survey » (édition 2024), près de 95 % des banques centrales interrogées affirment vouloir maintenir ou accroître leurs réserves d'or dans les douze prochains mois — un record depuis 2018. Cette dynamique s'inscrit dans un glissement stratégique : l'or est redevenu une valeur de souveraineté dans un monde jugé instable et dédoublé. L'euro dépassé, le dollar fragilisé En volume, l'or a désormais dépassé l'euro pour devenir le deuxième actif de réserve mondial, juste derrière le dollar, selon les dernières données compilées par le WGC. Cette progression spectaculaire est renforcée par une performance haussière : le métal jaune a bondi de plus de 30 % depuis janvier 2025, dépassant les 2 500 dollars l'once sur certains marchés asiatiques. Lire aussi : Menace iranienne sur Hormuz : Vers un baril à 150 dollars Ce renversement intervient dans un contexte où la monnaie unique européenne peine à affirmer son statut de devise refuge, fragilisée par les tensions budgétaires dans l'Union, l'enlisement de la guerre en Ukraine, et la dépendance énergétique résiduelle vis-à-vis du Moyen-Orient. Le dollar, bien qu'encore dominant, voit son aura érodée par la politisation croissante de ses usages, notamment depuis les sanctions massives infligées à la Russie, le gel des avoirs de certaines banques centrales et le contrôle croissant exercé via le réseau SWIFT. Les mesures coercitives à dimension financière ont profondément bouleversé les équilibres d'après-guerre froide. En 2022, le gel par les Etats-Unis et l'Union européenne de plus de 300 milliards de dollars de réserves russes a constitué un précédent. Dès lors, de nombreux pays émergents — Chine, Inde, Turquie, Nigeria ou Brésil — ont révisé leur stratégie d'allocation d'actifs de réserve, privilégiant les métaux précieux et les devises alternatives. Le World Gold Council souligne que 74 % des banques centrales prévoient de réduire leur exposition au dollar d'ici cinq ans, soit une rupture sans équivalent depuis les accords de Bretton Woods. En parallèle, le mouvement de rapatriement physique de l'or s'est intensifié : plusieurs pays, à l'instar de l'Allemagne, de la Turquie ou du Venezuela, ont choisi de stocker leurs lingots sur leur sol, soucieux de ne plus dépendre de juridictions étrangères en cas de crise. Un signal politique mondial Au-delà des chiffres, cette bascule reflète une évolution doctrinale. L'or, longtemps relégué au rang de relique du passé, s'impose à nouveau comme un étalon implicite de la confiance monétaire. Il offre une garantie sans passif, hors de toute promesse étatique, et déconnectée des politiques de taux ou des bilans des banques centrales. Dans un monde où les alliances se recomposent et où la stabilité juridique de certaines places financières est remise en question, cette neutralité devient un argument décisif. L'onde de choc touche même le cœur du système : aux Etats-Unis, le président Donald Trump a suggéré, en février, que les réserves d'or de Fort Knox pourraient être inférieures à ce qui est officiellement déclaré, alimentant la défiance internationale. Une affirmation sans preuve, mais symbolique d'un climat où la transparence du système occidental est de plus en plus interrogée. Cette réorientation vers l'or soulève une question plus large : celle d'un possible rééquilibrage du système monétaire international. Si le dollar reste hégémonique à court terme, les dynamiques en cours annoncent peut-être l'avènement d'un monde post-dollar, multipolaire, où l'or jouerait un rôle d'actif-pivot entre blocs économiques concurrents. Le basculement en cours n'est pas seulement financier : il est stratégique. Et il marque, peut-être, la fin d'une époque où les devises fiduciaires occidentales étaient synonymes d'universalité incontestée. L'or, en silence, reprend du pouvoir là où les promesses s'effritent.