Au Maroc, l'universitaire américain Ira William Zartman est connu pour sa contribution académique en faveur des relations entre Rabat et Washington. A la tête de la Légation américaine à Tanger pendant plus de 25 ans, il a tissé ses liens avec le royaume depuis les années 1950. Dans la citadelle tangéroise, le plus ancien édifice américain à l'étranger conserve la mémoire d'un professeur qui a fait de la recherche un vecteur de rapprochement historique et culturel entre les deux rives de l'Atlantique. Datés de plus de 200 ans, les locaux de la Légation américaine à Tanger incarnent le plus ancien édifice américain en dehors du pays de l'Oncle Sam. Offert en 1821 au gouvernement des Etats-Unis par le sultan Moulay Slimane (1792 – 1822) du Maroc, il a servi tour à tour d'ambassade, de consulat, de résidence de l'ambassadeur, puis de musée et de centre culturel. Seul monument historique américain à l'étranger, ce repère est devenu un chef-lieu du savoir et de l'échange académique entre les deux pays depuis une trentaine d'année, grâce à l'universitaire Ira William Zartman qui a présidé le conseil d'administration de la Légation américaine de Tanger pendant plus de 25 ans. A la mort du professeur dans le Maryland en juillet 2025 à l'âge de 93 ans, l'établissement a rappelé ses contributions en tant que membre-fondateur de l'institut d'études marocaines (TALIM) en son sein. I. William Zartman a d'abord dirigé les programmes de gestion des conflits et d'études africaines de la Paul H. Nitze School of Advanced International Studies (SAIS) de l'Université Johns Hopkins, avant de devenir professeur dans cet établissement. Titulaire de la chaire Jacob Blaustein en organisations internationales et résolution des conflits, il a été aussi fondateur et président du conseil d'administration de l'Institut international pour la paix et la sécurité (IPSI). Un parcours personnel entre les Etats-Unis et le Maroc Bien avant d'être affecté à la Légation américaine de Tanger, William Zartman a eu une histoire plus personnelle avec le Maroc, lorsqu'il a officié au sein de l'armée américaine. En 1949, la Légation de Tanger devient l'un des premiers postes diplomatiques à accueillir un détachement de la Garde de sécurité des Marines américains. C'est d'ailleurs à la fin des années 1950 que l'universitaire a été officier de la marine des Etats-Unis. Servant à Kénitra, ville connue pour sa base militaire américaine, l'officier a rencontré son épouse française Marie-Danièle au Maroc. En 1960, le couple a été marié par le caïd. Le mariage religieux se déroule ensuite à Caen, ville de Normandie où la mariée a ses origines. Témoignant dans un article en 2013 des liens de son mari avec le royaume, elle écrit que «lors de son service à Kénitra, [William] rencontre deux jeunes officiers marocains appartenant à la première promotion d'officiers diplômés après l'indépendance du Maroc». Selon elle, c'est «grâce à eux» qu'il acquiert «encore plus de compréhension du pays qu'il aime tant». Professeure émérite à l'Université Johns Hopkins (SAIS) et autrice de nombreux ouvrages sur la résolution des conflits, la négociation et le Maroc, Marie-Danièle Zartman a elle-même été membre du conseil d'administration de TALIM pendant 25 ans. Dans son article, elle relate l'immersion du marin dans un pays qu'ils découvrent à deux. Elle raconte que leurs amis officiers marocains les emmènent vivre leurs «expériences les plus aventureuses et amusantes» La chercheuse raconte notamment ce périple qui l'a menée avec son mari à Azzi Tan Tan en pleine tempête de sable, afin d'assister à une grande fête organisée pour accueillir le roi Hassan II à la base militaire. «A notre grande surprise, nous étions les invités d'honneur : nous sommes arrivés à la base, mais pas le roi, son avion n'ayant pas pu atterrir !», a-t-elle écrit. Un espace de rencontre entre chercheurs des Etats-Unis et d'Afrique du Nord Le couple vit deux ans à Rabat, avant de retourner aux Etats-Unis, où William a «conservé son intérêt pour l'Afrique du Nord, et plus particulièrement pour le Maroc». A la fin de son service militaire, l'universitaire s'installe avec son épouse à Columbia, en Caroline du Sud. Il est invité à rejoindre le corps professoral de l'université éponyme, pour enseigner les relations internationales et donner des cours sur l'Afrique et le Moyen-Orient. Après quelques années et des publication prolixes, le couple revient en Afrique. Les Zartman mènent des recherches pour un ouvrage sur les relations internationales dans la nouvelle Afrique (1966), suivi d'un livre intitulé «The Weak Confront the Strong: The Politics of Trade Negotiations between Africa and The European Union Community» (1971). L'opus a propulsé le Dr Zartman dans le domaine de l'analyse des négociations, grâce à son apport académique solide qui a comblé le vide au niveau des études régionales. A l'Université de New York, le chercheur devient par ailleur secrétaire exécutif fondateur de la toute nouvelle Association d'études du Moyen-Orient, dont il devient ensuite le président. Peu après, l'American Overseas Research Center (AORC) en Afrique du Nord voit le jour, grâce au soutien d'un consortium d'universités américaines et sous la direction d'universitaires travaillant dans la région. William Zartman est alors invité à présider le comité fondateur de l'American Institute of Maghreb Studies (AIMS). Première AORC à couvrir une région et non un Etat, l'entité que l'universitaire préside pendant douze ans réunit des chercheurs américains et maghrébins. En 1976, William Zartman est également invité à rejoindre le conseil d'administration de l'ancienne Légation américaine de Tanger. Cette année-là, la propriété est d'ailleurs louée à l'Institut d'études marocaines de la Légation américaine de Tanger (TALIM). Celui-ci gère le site comme musée, bibliothèque universitaire et centre culturel. Le chercheur préside la structure pendant 27 ans, parallèlement à sa propre évolution académique en outre-Atlantique. Il devint notamment président du département de sciences politiques de l'Université de New York. Au-delà de ses travaux au Etats-Unis et sur l'Afrique, William Zartman est connu pour ses collaborations fructueuses avec des universitaires européens sur la transformation des conflits suite à la détente entre les Etats-Unis et l'URSS. A ce titre, il est l'un des fondateurs du groupe Processes of International Negotiation (PIN), qui a vu le jour pour promouvoir l'étude de la négociation hors des Etats-Unis. Dans ce cadre, il édite et publie de nombreux ouvrages. Parmi eux, «Rethinking Conflict Resolution and Management» 2023 témoigne d'une grande innovation académique. Une immersion au Maroc et une installation à Tanger A l'ancienne Légation américaine, William Zartman a toujours des liens, puisque cet espace incarne l'évolution même des dynamiques de recherche en matière de relations internationales, entre les deux rives de l'Atlantique. Loin d'être en revanche une tour d'ivoire exclusive, l'espace propose le partage des savoirs de différentes manière. Ses programmes éducatifs incluent notamment l'alphabétisation et la formation professionnelle des femmes, outre des séminaires, des activités culturelles pour les résidents et les visiteurs. Au fil des années, le lieu est devenu un véritable écrin du savoir et des liens bilatéraux par ce que les deux pays ont de commun dans la littérature, les arts, la musique et l'Histoire partagée. C'est d'ailleurs dans cet espace que sont conservés précieusement les objets personnels, les documents et quelques archives écrites ou sonores de l'écrivain et musicologue américain Paul Bowles, qui a vécu à Tanger pendant 52 ans à partir de la seconde moitié du XXe siècle. Les affaires de Paul Bowles sont précieusement gardées à Tanger / Ph. linguist-in-waiting.com Histoire : Comment Paul Bowles choisit de s'installer à Tanger Accompagnant l'évolution de la vie intellectuelle et culturelle entre le Maroc et les Etats-Unis, la Légation américaine fait également la part belle à l'héritage culturel sépharade, ainsi qu'aux auteurs marocains contemporains qui ont fait leur nom au pays de l'Oncle Sam. Marie-Danièle Zartman explique que depuis la reconversion du lieu en musée et en espace culturel, «de nombreuses années ont passé et la vie a repris son cours», avant un retour plus pérenne du couple au Maroc. Tel un appel du cœur, les Zartman finissent en effet par revenir au royaume plus durablement. «En 1987, toujours impliqué dans sa profession et sa passion au Maroc, [William] devient président de TALMS, aujourd'hui TALIM, et met beaucoup d'énergie, de temps et d'organisation dans ce bel endroit», se rappelle l'épouse. En tant que spécialiste des relations internationales, le chercheur est surtout l'inventeur des concepts de «théorie de la maturité» et d'«impasse mutuellement dommageable». Ce parcours l'a mené naturellement à tisser des liens entre le Maroc et les Etats-Unis par le biais de ce que permet la recherche en termes d'ouverture sur l'autre, d'échange de savoir et de réflexion, mais aussi de dialogue entre les cultures, comme l'illustre son engagement au sein de la Légation américaine de Tanger. En reconnaissance à sa contribution aux relation bilatérales et à l'échange scientifique entre les deux rives de l'Atlantique, le défunt a été fait commandeur de l'Ordre alaouite du Maroc. En sa qualité de président de l'Institut américain d'études Marocaines à la légation de Tanger, il a reçu le wissam du roi Mohammed VI en 2000. En 2024, la Légation américaine de Tanger a quant à elle été insrite dans la liste annuelle du National Trust for Historic Preservation des onze sites historiques américains les plus menacés. A ce titre, l'engagement a été pris pour préserver le lieu, en mobilisant les fonds nécessaires à cet effet.