Durant deux jours de débats tenus à Rabat, la Conférence africaine sur la paix et la sécurité (APSACO) a réuni décideurs politiques, chercheurs et experts autour d'un constat partagé : face à un ordre mondial en recomposition, l'Afrique doit affirmer ses propres approches sécuritaires et renforcer ses capacités endogènes. Sans céder à l'idéologie, les discussions ont souligné l'urgence d'une coopération régionale repensée, d'une gouvernance plus ancrée localement, et d'une voix africaine audible dans les forums internationaux. La session d'ouverture a donné le ton : les participants ont plaidé pour l'institutionnalisation de l'APSACO comme un espace de dialogue africain structuré sur les questions de paix et de sécurité. Dans un contexte marqué par la baisse de l'aide au développement et l'évolution des équilibres géopolitiques, l'idée d'une planification stratégique à long terme a été mise en avant. L'accent a été mis sur la responsabilité intergénérationnelle, la consolidation des institutions africaines et le financement collaboratif des forces de sécurité, dans une perspective d'autonomie accrue. L'analyse du paysage sous-régional a été marquée par une critique explicite de certains blocs d'intégration, notamment en Afrique de l'Ouest, accusés d'avoir perdu la confiance des citoyens en raison de réponses jugées incohérentes aux crises politiques. Plusieurs intervenants ont soutenu qu'une intégration authentique ne saurait exister sans leadership éthique, cadre contraignant et action volontariste au niveau national. La recomposition géopolitique en cours au Sahel, interprétée comme une réponse au désengagement international, a été lue à l'aune de logiques de développement industriel et de gouvernance endogène. La dynamique des conflits en Afrique, notamment au Sahel, en Libye et dans la région des Grands Lacs, a été examinée sous un prisme systémique. Le terrorisme, le crime organisé, la fragmentation institutionnelle et la coexistence de souverainetés concurrentes ont été identifiés comme autant de défis imbriqués. Les limites du maintien de la paix internationale ont été relevées, avec un plaidoyer en faveur d'approches fondées sur l'appropriation locale, des cadres de paix régionaux cohérents et des modèles de gouvernance mieux adaptés aux réalités africaines. Lire aussi : 9e APSACO : l'Afrique face aux recompositions géopolitiques Un autre moment fort de la conférence a été le panel sur la lutte contre le terrorisme. Si les bases doctrinales et stratégiques existent, de nombreuses interventions ont pointé l'écart persistant avec les capacités opérationnelles. L'apparition de formes de guerre hybride, les vulnérabilités maritimes et la convergence entre réseaux criminels et terroristes ont été mentionnées comme enjeux pressants. Des recommandations ont été formulées sur la nécessité de financements durables, d'une coopération régionale plus structurée, d'un dialogue avec le secteur privé, et d'un investissement ciblé dans les technologies et les ressources humaines. Vers une souveraineté narrative africaine La question du récit et de la représentation de l'Afrique sur la scène internationale a constitué un fil rouge transversal à plusieurs sessions. Le concept de « souveraineté narrative » a été avancé comme levier stratégique, suggérant que le continent doit se positionner non plus comme réceptacle d'idées extérieures, mais comme producteur de sens et d'analyse. Loin des postures identitaires, plusieurs voix ont défendu une approche pragmatique de la politique linguistique, valorisant l'appropriation des outils hérités plutôt que leur rejet. L'investissement dans les expertises locales est apparu comme une condition sine qua non pour porter un récit stratégique africain cohérent. Le positionnement diplomatique des pays africains dans un monde multipolaire a donné lieu à des échanges nuancés. Un « non-alignement actif » a été proposé comme paradigme souple permettant aux Etats de s'engager sans s'aliéner. Les participants ont notamment évoqué les influences croissantes des puissances du Golfe et de la Chine, en particulier en mer Rouge et dans la Corne de l'Afrique. L'importance de l'unité africaine, de l'autonomie stratégique et d'un agenda continental maîtrisé a été soulignée pour prévenir les effets centrifuges de ces influences. L'Afrique australe a bénéficié d'un éclairage particulier, à travers une session consacrée à la sécurité climatique. Les chocs environnementaux y ont été décrits comme des menaces majeures à la stabilité nationale. Les discussions ont insisté sur la nécessité d'une planification politique proactive, de l'inclusion de la jeunesse dans les mécanismes diplomatiques, et du renforcement de la solidarité régionale. Plusieurs intervenants ont plaidé pour des stratégies reproductibles d'autonomisation des jeunes à l'échelle continentale, comme réponse structurelle à l'instabilité. En clôture, les travaux ont évalué l'architecture continentale de paix et de sécurité, en mettant en évidence ses limites : manque de financement, ingérences politiques, chevauchement des mandats. Un consensus s'est dégagé sur la nécessité d'une meilleure coordination entre l'Union africaine et les organismes régionaux, d'outils d'alerte précoce plus performants et d'une gouvernance plus intégrée des réponses sécuritaires. L'usage croissant des technologies émergentes par des groupes non étatiques a été cité comme un facteur de déstabilisation majeur, imposant aux institutions africaines une adaptation plus rapide.