L'Algérie officielle semble traverser les temps sans jamais les lire et avance à contre-courant d'une dynamique régionale et internationale. Le monde change, les équilibres bougent, mais Alger reste figée, fidèle à une stratégie usée, héritée d'un autre siècle, fondée sur des postures idéologiques davantage que sur des choix rationnels. Au centre de cette rigidité diplomatique et de ce marasme, une constante et une obsession mal digérée : le Sahara marocain. Une tribune récente signée par Miguel Ángel Rodriguez Mackay, ancien ministre péruvien des Affaires étrangères, vient rappeler avec sobriété et une rare clarté ce que beaucoup observent sans oser le dire à haute voix : l'Algérie s'isole, diplomatiquement, stratégiquement, presque organiquement. Le jeu auquel elle s'adonne depuis des décennies autour du dossier du Sahara « occidental« , ce feuilleton diplomatique monté en épingle autour d'une entité artificielle touche à sa fin. Car en diplomatie comme en biologie, ce qui ne s'adapte pas finit par disparaître. En effet, depuis presque cinq décennies, le régime algérien a fait de ce dossier l'alpha et l'oméga de sa politique étrangère, au point d'en faire un instrument identitaire plus qu'un enjeu régional. Le soutien d'Alger au Polisario n'a jamais été un acte de foi ou un élan de solidarité, mais un calcul géostratégique, bâti sur la frustration d'un accès manqué à l'Atlantique. Dès les années 1970, cette frustration s'est traduite par une politique de confrontation avec le Maroc, avec l'objectif à peine voilé de bloquer l'expansion de son voisin vers le sud. La « rasd » ne fut ni plus ni moins qu'un outil forgé pour servir cette ambition, avec l'illusion qu'un Sahara disputé affaiblirait durablement le Maroc. Mais l'histoire ne s'écrit pas à l'encre de l'obsession. Car pendant que l'Algérie s'enfermait dans un projet figé, le Maroc, lui, avançait. Le plan d'autonomie, proposé en 2007 par le Royaume, a progressivement convaincu les capitales qui comptent : Washington, Londres, Madrid, Abu Dhabi, et bien d'autres. La formule est désormais consacrée : « sérieuse, crédible et réaliste ». Même au sein des Nations unies, le discours évolue. Loin de cette reconnaissance croissante, Alger multiplie les faux pas. Son alignement discret mais réel avec l'Iran, dans un contexte de tensions croissantes au Moyen-Orient, achève de brouiller son image. Un régime en sursis soutenant un autre. Si Téhéran venait à s'effondrer, hypothèse moins lointaine qu'on ne le croit, l'Algérie perdrait l'un de ses derniers relais. Quant à la Russie, autre allié traditionnel, elle est accaparée par sa propre survie stratégique. Le Maghreb n'est plus une priorité pour Moscou. LIRE AUSSI : La diplomatie des souverainetés : Le Maroc impose la réalité, le Panama y adhère En Afrique par contre, les signaux sont clairs. Le continent regarde vers l'Atlantique, vers les ports marocains, vers une économie tournée vers le commerce et l'intégration. Les pays du Sahel eux-mêmes, malgré leur instabilité, envisagent leur avenir avec le Royaume. Dans ce tableau, l'Algérie paraît absente, voire indifférente, à ce qui se joue. L'Europe, autrefois attentive, regarde ailleurs. Elle ne rompt pas, mais elle prend ses distances. L'hostilité d'Alger, devenue chronique, pèse dans ses rapports avec Paris, Madrid ou Bruxelles. L'image d'un partenaire imprévisible s'installe. Et à Washington, Rabat est désormais perçu comme un acteur fiable, structurant, et incontournable dans l'architecture régionale. L'isolement d'Alger n'est donc pas le fruit du hasard, mais celui d'une stratégie qui ne produit plus rien, si ce n'est des discours vides. La diplomatie algérienne est aujourd'hui à court d'arguments, réduite à défendre une cause que le monde a déjà reclassée. Le Maroc, de son côté, trace sa route, discrètement, efficacement, en construisant des partenariats solides. Son ouverture atlantique devient un levier régional, et sa stabilité institutionnelle rassure. En cela, il ne gagne pas seulement une bataille territoriale, mais impose une lecture différente de l'avenir du Maghreb. Or pour l'Algérie, le moment de vérité approche. Le choix n'est plus entre deux visions du Sahara, mais entre le réalisme politique ou l'isolement durable. Il ne s'agit pas d'abdiquer, mais de reconnaître que l'histoire a changé et que dans cette nouvelle configuration, l'intelligence stratégique commence par la lucidité. Et l'Algérie, dans tout cela ? Elle persiste dans l'exception, mais s'enferme dans une impasse. À l'heure où le Maghreb redéfinit ses équilibres, Alger reste figée dans une rhétorique épuisée, répétant mécaniquement les mêmes griefs, les mêmes postures, dans un monde qui, de plus en plus, regarde ailleurs. Son discours a vieilli ; il ne convainc plus. Sa diplomatie se replie sur elle-même, et son influence s'étiole lentement. De fait, le leadership régional que l'Algérie aimait revendiquer s'est effrité au fil de ses contradictions. Sa prétention à jouer les médiateurs dans le Sahel, en Libye ou sur le continent africain se heurte à une réalité simple : elle n'est plus écoutée. Non par hostilité, mais parce qu'elle ne propose plus ni projet, ni horizon. L'Afrique d'aujourd'hui s'ouvre à l'intégration, au commerce, à la coopération transversale. L'Algérie, elle, reste figée dans les réflexes du passé. Même les pays sahéliens, pourtant fragiles, regardent désormais vers l'Atlantique marocain. Le corridor logistique envisagé entre le Niger, le Burkina Faso, le Mali et les ports du Sud marocain dit beaucoup sur les lignes de force qui se dessinent. Là encore, Alger regarde sans agir, commente sans peser, spectatrice d'une dynamique qu'elle ne maîtrise plus. D'ailleurs, sur le plan intérieur, la situation n'est guère plus rassurante. Depuis la déchéance du président Bouteflika en 2013, le pays navigue à vue. Le Hirak, étouffé sans être éteint, continue de couver. L'économie peine, le chômage ronge, et la jeunesse, majoritaire, se heurte à une classe politique sans relais, ni imagination, ni légitimité. Le pays compte près de 50 millions d'habitants, et une immense attente reste sans réponse. Et pourtant, l'Algérie pourrait faire autrement car le peuple algérien mérite un horizon, il mérite un Etat qui choisit le développement plutôt que l'affrontement, la coopération plutôt que l'isolement, la lucidité plutôt que la posture. Il mérite une politique étrangère pensée pour ses intérêts, non pour des fantômes géopolitiques. Il mérite, enfin, un pouvoir capable de réviser ses dogmes, et de retrouver la voie du dialogue régional. Ainsi le signataire de la tribune souligne qu'il ne s'agit pas de renoncer, mais d'évoluer, de reconnaître que le temps du fantasme atlantique est révolu, et que celui de la coopération est ouvert. Dans ce cadre, un geste politique majeur s'impose : reconnaître, avec clarté, la souveraineté du Maroc sur son Sahara. Non comme un aveu de faiblesse mais comme un choix stratégique, rationnel, apaisé et assumé. Alger a encore le choix : persister dans l'illusion, au risque d'un isolement définitif, ou amorcer une réorientation lucide, tournée vers les intérêts véritables de sa population. Cela suppose un dépassement ; dépasser le mythe de la « rasd », dépasser l'antagonisme avec le Maroc, dépasser surtout la logique de blocage systématique. À coup sûr, un jour viendra, et il n'est plus si lointain, où le régime algérien devra se confronter au miroir du réel. Ce jour-là, il faudra choisir entre l'Histoire et le repli. L'Histoire ne repasse pas les plats, comme dirait l'autre. Et celle du Maghreb est en train de se faire sans l'Algérie.