« Le 9 juillet 2025, cinq chefs d'Etat africains, ceux du Sénégal, de la Guinée-Bissau, du Libéria, du Gabon et de la Mauritanie ont été reçus à la Maison-Blanche par le président Donald Trump. La scène, capturée par une photographie désormais virale, a fait le tour du monde. On y voit le président américain assis, seul, au centre d'une salle dont il occupe tout l'espace symbolique. Sur la table, posée à portée de main : la célèbre casquette rouge « MAGA ». Derrière lui, debout, figés, privés de tout siège, de toute égale considération : les cinq chefs d'Etat. Aucun fauteuil. Aucun geste de partage d'autorité. Une scénographie d'un autre temps. Cette image a aussitôt déclenché un déferlement de réactions. Non pas tant, comme on pourrait le croire, contre le président américain, mais contre les chefs d'Etat eux-mêmes, jugés sur les réseaux sociaux et dans une grande partie de la presse africaine trop passifs, trop silencieux, trop accommodants. Une vague de critiques, parfois très virulentes, a traversé Dakar, Monrovia, Nouakchott. On y a lu, non une dénonciation des Etats-Unis, mais un malaise profond quant à ce que cette scène disait de la place de l'Afrique dans le monde occidental. Que révèle cette image sinon une mise à l'écart symbolique, une dévalorisation tacite, une humiliation sourde ? Car en diplomatie, chaque posture, chaque geste, chaque espace occupé est porteur de sens et nul ne peut feindre l'ignorance. Comment les plus hauts représentants d'Etats souverains ont-ils pu consentir à cette scène ? Où était le sursaut de dignité qu'on attend d'eux, surtout face à un acteur dont la réputation est déjà gravée dans la mémoire de nombreux partenaires des Etats-Unis ? Dans cette séquence, le problème n'est pas le président Trump. Le problème, aux yeux de la multitude, est que personne n'a relevé, contesté, recadré. La passivité des représentants africains a été interprétée comme une résignation. Le projet évoqué publiquement de rédiger une lettre de soutien à Donald Trump pour le prix Nobel de la paix, en remerciement de cette réunion, a été perçu, dans plusieurs cercles africains, comme une tentative de troc diplomatique déséquilibrée. Nombreux sont ceux qui y ont vu un abandon de la dignité, un effacement symbolique préoccupant. Les Etats africains eux-mêmes sont-ils encore capables de défendre l'égalité souveraine sur la scène internationale ? Comment expliquer ce consentement à l'infériorisation ? c'est la dynamique même des relations internationales qui semble à un tournant dangereux. De la Mauritanie au Liberia, en passant par la Guinée-Bissau, le Gabon et le Sénégal, les cinq présidents présents n'ont pas eu droit à l'écoute prolongée ni à un dialogue égal, qui devraient fonder toute relation d'Etat à Etat. Des propos approximatifs, une méconnaissance notoire des pays reçus, jusqu'à demander au président libérien s'il avait appris l'anglais, alors même que l'anglais est langue officielle du Liberia, des interruptions sèches, et un dialogue surtout tourné vers l'exploitation des ressources. Loin de toute polémique, cette scène interpelle et appelle à une réflexion profonde sur les rapports entre la première puissance mondiale et les souverainetés africaines, et sur ce qu'elle signifie pour un pays comme le Maroc, fort d'un lien singulier, ancien et stratégique avec les Etats-Unis. Lire aussi : Maroc–Etats-Unis : vers un partenariat stratégique pour la cybersécurité et le numérique La diplomatie de l'humiliation : une lecture à froid Le politologue français Bertrand Badie, dans ses travaux sur l'« humiliation dans les relations internationales », avait anticipé ce basculement. Pour lui, la scène mondiale actuelle est moins marquée par la violence militaire que par des mécanismes symboliques de rabaissement : négation d'égal à égal, contournement des codes diplomatiques, suprématie gestuelle. Ce que l'on a vu à Washington relève de cette logique : l'Afrique conviée non pour dialoguer, mais pour cautionner ; présente, mais effacée. Pourtant, ce contraste gestuel n'est pas une fatalité. Lors de sa récente visite dans les pays arabes du Golfe, Donald Trump a su, avec pertinence et doigté, traiter avec le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane et le dirigeant des Emirats unis Mohammed ben Zayed sur un mode d'égal à égal. Ces rencontres n'étaient pas marquées par une scénographie déséquilibrée, mais bien par un souci manifeste de respect mutuel, d'image contrôlée, d'échange visible. En Arabie Saoudite comme à Abu Dhabi, la posture du président américain n'était ni condescendante ni verticale. Alors pourquoi ce décalage lorsqu'il s'agit de l'Afrique ? La question mérite d'être posée, non pas contre un homme, mais en faveur de la cohérence des relations internationales. À chacune des rencontres entre Marocains et Américains, il y a le poids de l'histoire incontournable En effet, en 1777, alors que les Etats-Unis venaient à peine de déclarer leur indépendance, le Maroc fut le premier pays au monde à la reconnaître. En 1786, le traité de paix et d'amitié signé avec Jefferson et Adams posait les fondements d'une relation bilatérale exceptionnelle, toujours en vigueur. Depuis, les grands moments se sont succédé : * Le débarquement allié de 1942 à Casablanca, prélude à la libération de l'Europe. * La conférence d'Anfa (1943), réunissant Roosevelt, Churchill et Mohammed V. * La visite du président Eisenhower à Casablanca (1959). * Le triomphe de la visite de Feu S.M. Hassan II à New York auprès de Kennedy (1963). * Les relations particulières d'amitié et de respect que vouait Ronald Reagan à Feu S.M. Hassan II. * La présence de Bill Clinton aux funérailles de Feu S.M. Hassan II en 1999 et tant d'événements marquants sous l'ère de notre Souverain. À chaque étape, c'est le respect réciproque qui a défini la relation entre les deux pays. Un partenariat stratégique d'envergure transatlantique Au-delà de ses atouts régionaux, le Maroc est aujourd'hui l'un des rares pays du Sud à entretenir un partenariat militaire et stratégique avancé avec les Etats-Unis, inscrit dans la durée. Ce partenariat va bien au-delà de la coopération bilatérale classique : il s'inscrit dans une architecture transatlantique plus large, intégrant la coopération avec l'OTAN, dont le Maroc est un partenaire privilégié dans le cadre du Dialogue méditerranéen. Des exercices conjoints, tels que African Lion, témoignent d'une interopérabilité croissante, d'un niveau de confiance stratégique élevé et d'une volonté partagée de faire du Maroc une plateforme de stabilité régionale. Washington voit en Rabat non seulement un allié sûr, mais aussi un acteur-pont entre les deux rives de la Méditerranée, entre l'Afrique et l'Europe, entre le monde arabe et l'Occident. Dans cette perspective, la reconnaissance américaine de la souveraineté du Maroc sur le Sahara, intervenue en 2020, prend tout son sens. Elle n'est pas un simple geste politique : elle s'inscrit dans une vision stratégique plus large, celle d'un partenariat fondé sur la stabilité, la prévisibilité et l'investissement réciproque dans la sécurité commune. Un lien renforcé par la mémoire et les diasporas Ce lien entre le Maroc et les Etats-Unis ne s'exprime pas seulement par les institutions. Il se prolonge puissamment, à travers une diaspora juive marocaine influente, installée aux Etats-Unis depuis plusieurs générations, et profondément attachée au Royaume. Ces femmes et ces hommes engagés ont su préserver une mémoire affective du Maroc comme terre de pluralité et de monarchie protectrice. Dans les cercles économiques, philanthropiques ou diplomatiques, ils forment un réseau vigilant, qui a toujours œuvré à maintenir un lien de confiance entre Rabat et Washington. L'un de ses visages les plus emblématiques est Jared Kushner, gendre et conseiller stratégique du président Trump, artisan des Accords d'Abraham, auxquels le Maroc a adhéré non sous contrainte, mais dans l'esprit de sa propre tradition diplomatique millénaire, fidèle à l'équilibre et au discernement. Cette réalité, souvent ignorée des grilles d'analyse classiques, pèse dans les équilibres subtils de la relation maroco-américaine. Elle constitue une passerelle, un rappel, une mémoire vive. Donald Trump sait exactement ce que cela implique. Il est essentiel de le dire : le président américain ne méconnaît pas ces subtilités. Il les comprend parfaitement. Il sait ce que signifie un fauteuil accordé, une table partagée, une posture d'égalité. Il l'a démontré avec les dirigeants des Emirats et d'Arabie Saoudite. Il sait reconnaître la puissance. Il sait doser l'image. Une offre marocaine claire, stable, stratégique Le Maroc, de son côté, n'attend pas une faveur. Il propose un partenariat structuré et équitable : * Une position géostratégique clef, entre Atlantique, Afrique, Méditerranée et Europe. * Une coopération sécuritaire solide, avec les agences américaines. * Une politique énergétique audacieuse : hydrogène vert, solaire, interconnexions. * Un leadership africain fondé sur la stabilité . * Et surtout, une ouverture diplomatique unique : le dossier du Sahara, reconnu par les Etats-Unis en 2020, pourrait devenir le point d'appui d'une médiation américaine historique entre le Maroc et l'Algérie. Dans un monde où chaque geste est archivé, où chaque image voyage à la vitesse d'une réaction publique, le traitement d'un chef d'Etat n'est jamais neutre. Il dit ce qu'est une alliance. Il dit ce que vaut un partenaire. Il dit comment une puissance entend se conduire dans l'ordre du monde. Donald Trump sait exactement ce que représente le Royaume du Maroc. Si le monde change et la mémoire diplomatique aussi, le respect ne sera plus une option. Il sera comme il devra toujours l'être, la condition d'une relation durable entre partenaires. (*)Omar Hasnaoui Ch. PhD Ancien diplomate