Pariant sur un financement soutenable et un montage partenarial robuste, Rabat s'attache à éviter les dérives budgétaires ayant plombé d'autres pays organisateurs de grands événements sportifs. Le Maroc veut ainsi maîtriser les dérives possibles : inflation des coûts, infrastructures sous-utilisées, pression accrue sur la dette et mécontentement social. Préserver les équilibres macroéconomiques tout en préparant un événement planétaire. Tel est le pari que le Maroc entend relever en vue de la Coupe du monde de football 2030, que le Royaume coorganisera avec l'Espagne et le Portugal. Face à l'ampleur des investissements requis, le ministre délégué chargé du Budget, Fouzi Lekjaa, a tenu à dissiper toute inquiétude sur la viabilité financière du projet : « Le financement des infrastructures de transport repose sur des partenariats public-privé, avec un soutien annuel de l'Etat plafonné à 1,6 milliard de dirhams d'ici à 2030. Aucun impact ne pèsera sur le budget général », a-t-il affirmé lors d'une conférence ministérielle tenue à l'Ecole nationale supérieure de l'Administration à Rabat. Un propos qui vise à rassurer autant les marchés que l'opinion, à l'heure où plusieurs précédents internationaux résonnent encore comme des mises en garde. L'Afrique du Sud, hôte du Mondial 2010, avait vu ses dépenses publiques exploser sans que les retombées économiques ne suivent. Le Brésil, en 2014, avait souffert de protestations sociales massives face à des investissements perçus comme somptuaires, tandis que la Grèce, organisatrice des Jeux olympiques d'Athènes en 2004, avait vu sa dette s'alourdir au point de précipiter sa chute dans une crise économique systémique. « Nous avons tiré toutes les leçons de ces expériences », a assuré M. Lekjaa, insistant sur un schéma « innovant, progressif et rigoureusement piloté ». L'architecture financière retenue repose en effet sur un amortissement sur vingt ans, adossé à des institutions publiques comme la Caisse de dépôt et de gestion (CDG) et la Société nationale de réalisation et de gestion des équipements sportifs (SONARGES). L'objectif est de mutualiser les risques, d'assurer la pérennité des infrastructures et de garantir un retour sur investissement territorial et économique, au-delà de l'échéance de 2030. Lire aussi : Le Maroc est devenu un des centres mondiaux du football (Gianni Infantino) L'ensemble des investissements engagés dans le cadre de la Coupe du monde — y compris ceux amorcés dans la perspective de la CAN 2025 — représente environ 150 milliards de dirhams, selon les estimations officielles. Une enveloppe significative, mais que le gouvernement entend mobiliser de façon progressive, en assurant la synergie avec les projets déjà budgétés dans le cadre des stratégies sectorielles et régionales. Parmi les projets phares figurent la construction d'une station de traitement d'eau potable de deux milliards de mètres cubes, destinée à répondre aux besoins industriels et domestiques, ainsi que le développement accéléré des infrastructures ferroviaires, notamment la ligne à grande vitesse reliant Casablanca, Rabat, Tanger, et les provinces du Sud. Héritage sportif et rayonnement géopolitique Au-delà des seuls enjeux économiques, le Maroc conçoit l'organisation de la Coupe du monde comme un levier stratégique de rayonnement international. L'articulation entre les préparatifs de la CAN 2025 et ceux du Mondial 2030 doit permettre un alignement des priorités : les stades de Rabat et Tanger, actuellement en rénovation, seront livrés à temps, respectivement les 31 juillet et 15 août prochains. La stratégie intègre également la candidature à d'autres compétitions continentales et internationales, notamment féminines, afin de pérenniser les capacités logistiques et organisationnelles nouvellement acquises. Ce positionnement prudent intervient dans un contexte où la gestion des grands équilibres reste une priorité absolue. La dette publique du Maroc est restée contenue autour de 70 % du PIB en 2024, selon les chiffres du ministère des Finances, tandis que les réserves de change couvrent plus de 5 mois d'importations. Le maintien de la notation souveraine par les principales agences internationales, ainsi que la stratégie budgétaire à moyen terme présentée par la Direction du Trésor, confirment cette volonté de discipline. Les précédents de l'Afrique du Sud, du Brésil ou de la Grèce sont d'ailleurs régulièrement évoqués par les économistes pour souligner les dérives possibles : inflation des coûts, infrastructures sous-utilisées, pression accrue sur la dette et mécontentement social. À Johannesburg, plusieurs stades construits pour la Coupe du monde 2010 sont aujourd'hui sous-exploités. À Rio de Janeiro, les promesses de développement régional autour des installations sportives ont été partiellement abandonnées. Et en Grèce, le gouffre budgétaire des JO d'Athènes fut un accélérateur de la spirale d'endettement.