Face aux équilibres climatiques fragiles, le Maroc veut affirmer sa singularité. À l'horizon 2030, le Royaume s'est engagé à réduire ses émissions de gaz à effet de serre (GES) de 42 % par rapport à leur niveau de 2010, selon la stratégie du gouvernement présentée dans un document publié en août 2020. Un objectif ambitieux consigné dans sa Contribution Déterminée au niveau National (CDN), feuille de route climatique déposée auprès des Nations unies. Mais cette trajectoire, dont 25 % des efforts sont conditionnés à l'appui de financements internationaux, repose sur un triptyque stratégique : énergies renouvelables, efficacité énergétique et développement de l'hydrogène vert. C'est dans cette logique d'articulation entre impératif écologique et levier de croissance que s'inscrivent les programmes MorSEFF et GEFF II. Ces mécanismes de financement, déployés avec le soutien de bailleurs européens, visent à accompagner la mutation de l'économie industrielle marocaine vers un modèle bas carbone. L'enjeu est double : verdir la production sans compromettre la compétitivité, tout en structurant un écosystème local capable d'attirer capitaux et technologies. Lancé en 2015, le programme MorSEFF (Morocco Sustainable Energy Financing Facility) a marqué un tournant dans l'approche marocaine du financement climatique. Porté par la Banque Européenne pour la Reconstruction et le Développement (BERD) et cofinancé par la BEI, l'AFD et la KfW, ce dispositif a mobilisé 110 millions d'euros au profit de plus de 900 entreprises, dont une majorité de PME. Son cœur de cible : l'efficacité énergétique dans les secteurs industriels et agroalimentaires, qui concentrent respectivement 42 % et 24 % des projets soutenus. Le mécanisme repose sur une ingénierie financière incitative : prêts ou leasing allant jusqu'à 50 millions de dirhams, subvention d'investissement à hauteur de 10 %, et accompagnement technique gratuit pour l'évaluation et la mise en œuvre des solutions retenues. En matière de résultats, les chiffres parlent d'eux-mêmes : 207 000 MWh d'économies d'énergie annuelles, plus de 100 000 tonnes de CO2 évitées chaque année – une performance qui place le programme parmi les plus structurants du continent africain. Lire aussi : Marché carbone : Le Maroc se positionne en hub africain avec "Green Assets Cluster" Fort de ce succès, la BERD a lancé en 2021 la phase II du GEFF Maroc (Green Economy Financing Facility), avec un portefeuille élargi de 163 millions d'euros et une ambition accrue : aller au-delà de l'efficacité énergétique pour financer l'ensemble des leviers de la transition écologique – énergies renouvelables, économie circulaire, gestion durable des ressources. À l'instar de MorSEFF, le GEFF II s'appuie sur des prêts verts bonifiés, un appui technique renforcé et un outil en ligne, le Green Technology Selector, qui permet aux entreprises d'identifier les équipements éligibles. Le ciblage est plus large : il inclut les ménages, les PME et les industriels, avec des financements pouvant aller jusqu'à 5 millions d'euros par projet. L'objectif : démocratiser l'investissement vert et ancrer une culture de la durabilité dans le tissu économique marocain. Energies renouvelables : Un levier de souveraineté énergétique La finance verte ne saurait suffire sans une vision stratégique claire. Et sur ce plan, le Maroc affiche l'une des trajectoires les plus volontaristes du continent. Dans sa CDN, le Royaume fixe un objectif de 52 % de capacité installée en énergies renouvelables à l'horizon 2030. Solaire, éolien, hydraulique : le mix est diversifié, structuré autour de projets de grande envergure. La centrale solaire Noor Ouarzazate, l'un des plus vastes complexes au monde, en est l'illustration la plus emblématique. Mais au-delà de ces vitrines technologiques, c'est tout un maillage territorial d'infrastructures vertes qui se met en place, avec des ramifications jusque dans les zones industrielles. Cette stratégie vise moins à faire du Maroc un modèle qu'à l'inscrire dans les chaînes de valeur globales de l'énergie propre. En s'imposant comme producteur et exportateur d'électricité verte, le Royaume ambitionne de répondre à la demande européenne dans un contexte de désengagement accéléré des énergies fossiles. Une dynamique renforcée par les interconnexions électriques avec l'Espagne et le projet de ligne sous-marine vers le Royaume-Uni. Dans cette quête de souveraineté énergétique propre, l'hydrogène vert apparaît comme le nouvel eldorado. Le Maroc, fort de ses ressources solaires et éoliennes abondantes, ambitionne d'en faire un levier d'exportation à haute valeur ajoutée. Des partenariats stratégiques ont déjà été noués avec l'Allemagne, les Pays-Bas et le Portugal, autour du financement de projets pilotes, du transfert technologique et de l'accès au marché européen. Adaptation climatique : L'autre versant de l'action Si les premières unités de production sont encore à l'état de projet, les fondations réglementaires sont posées : la Feuille de route nationale de l'hydrogène vert définit les cadres d'investissement, de certification et d'export. À terme, l'objectif est clair : créer un écosystème industriel intégré, allant de la production à la logistique, en passant par le stockage et la distribution. Mais au-delà de la réduction des émissions, l'adaptation constitue l'autre pilier de la stratégie marocaine. Le Royaume déploie actuellement des plans climat régionaux, en coordination avec les collectivités territoriales, pour anticiper les risques liés à la montée des températures, à la raréfaction des ressources hydriques et aux événements extrêmes. Le programme «Adaptation au Changement Climatique dans le Secteur de l'Eau», soutenu par le Fonds Vert pour le Climat, s'attaque aux défis de gestion de l'eau : amélioration des réseaux d'irrigation, recharge des nappes phréatiques, construction de barrages collinaires. À l'heure où les sécheresses deviennent plus fréquentes et prolongées, ces mesures s'avèrent vitales pour la résilience des filières agricoles et la sécurité alimentaire du pays. Une diplomatie climatique proactive La réussite de cette transition dépendra aussi de la capacité du Maroc à mobiliser les financements nécessaires. Car sur les 42 % de réduction d'émissions visés, seuls 17 % relèvent d'un engagement inconditionnel, les 25 % restants supposant un soutien international – qu'il soit bilatéral, multilatéral ou via des marchés carbone. Sur ce plan, le Royaume joue une carte diplomatique active. Présent dans toutes les COP depuis 2016, Rabat milite pour un accès simplifié des pays émergents aux financements climatiques. Le Maroc entend ainsi consolider sa position de pays pivot entre le Nord et le Sud, capable de parler le langage des bailleurs tout en traduisant les contraintes du terrain. À huit ans de l'échéance 2030, le chantier est immense, les défis multiples. Mais avec une stratégie articulée, des outils de financement bien ciblés et une diplomatie climatique affirmée, le Maroc entend démontrer qu'une transition verte est possible – même pour un pays à revenu intermédiaire. Ce faisant, il pourrait bien s'imposer comme un modèle méditerranéen d'industrialisation bas carbone.