Paradoxe monétaire ou ajustement structurel ? La croissance des flux de trésorerie en espèces au Maroc a marqué le pas en 2024, à la faveur d'un dispositif fiscal exceptionnel qui a incité les détenteurs d'actifs à lever le voile sur leur patrimoine. Selon le rapport annuel de Bank Al-Maghrib (BAM), la progression des transactions en liquide n'a été que de 8 %, contre 11 % en 2023. Un ralentissement significatif, que le gouverneur de la Banque centrale, Abdellatif Jouahri, associe à la mise en œuvre du régime de divulgation fiscale temporaire, mené de janvier à décembre 2024. Lancée par l'Administration fiscale et douanière, cette mesure incitative proposait aux citoyens une régularisation volontaire de leurs actifs, sans poursuites judiciaires ni pénalités lourdes, dans un cadre sécurisé. Ce mécanisme s'est révélé doublement efficace : il a, d'une part, élargi la base fiscale à court terme, et, d'autre part, modifié les comportements monétaires des agents économiques, notamment les détenteurs de patrimoine en cash. Le gouvernement, par la voix de Mustapha Baitas, s'est félicité du succès « inattendu » de cette opération, qui a permis la déclaration de 127 milliards de dirhams d'actifs – soit l'équivalent de 12,7 milliards d'euros – et la collecte directe de 6 milliards de dirhams pour le Trésor. Ces chiffres reflètent à la fois l'ampleur des avoirs non déclarés circulant dans l'économie parallèle et le potentiel d'un processus de régularisation bien calibré. Lire aussi : Banques : un besoin de liquidité de 123,7 MMDH en 2024 Paradoxalement, le stock global de liquidités poursuit son ascension. Entre fin 2023 et fin 2024, la masse monétaire fiduciaire est passée de 412,7 à 444,3 milliards de dirhams, soit une augmentation de 7,6 %, selon les données de BAM. Ce gonflement s'explique en partie par des facteurs saisonniers, tels que les vacances d'été, l'Aïd al-Adha, le retour des Marocains résidant à l'étranger (MRE) et la rentrée scolaire. Un pic a été observé en août 2024, atteignant 446 milliards de dirhams, tandis que le point le plus bas a été enregistré en novembre, à 412 milliards, suivi d'une légère reprise en février 2025. Toutefois, la Banque centrale note que l'évolution des flux reste désormais « moins impulsive » que les années précédentes, en dépit de la croissance nominale. Derrière cette mutation monétaire se dessine un enjeu plus vaste : la lutte contre l'économie informelle. En encourageant les contribuables à se conformer volontairement aux obligations fiscales, le gouvernement entend réduire l'opacité qui entoure certaines transactions en espèces, souvent à l'abri de tout contrôle réglementaire. Ce changement de paradigme s'inscrit dans la volonté affichée du Royaume de moderniser sa fiscalité, élargir l'assiette contributive et réduire la dépendance à l'argent liquide, perçu par BAM comme un vecteur d'inefficience économique. Dans son rapport, l'institution monétaire alerte sur les risques systémiques induits par une circulation excessive de cash : évasion fiscale, blanchiment d'argent, perte de contrôle sur les leviers de politique monétaire. Elle recommande à ce titre une accélération de la numérisation des paiements, déjà amorcée par l'essor des portefeuilles électroniques et la montée en puissance des paiements sans contact.