Face à la saturation de la décharge de Médiouna, la capitale économique du Maroc engage un virage stratégique : transformer ses déchets ménagers en électricité. Un projet d'envergure inédite sur le continent, à la croisée des impératifs environnementaux, sociaux et énergétiques. La skyline poussiéreuse de Casablanca pourrait bientôt cacher, derrière ses immeubles en expansion, une révolution silencieuse mais décisive : celle de la valorisation énergétique des déchets. Alors que la décharge de Médiouna, poumon malodorant de l'agglomération, approche de la saturation, la municipalité annonce un chantier colossal de 11 milliards de dirhams, destiné à ériger une usine d'incinération et de production d'énergie électrique à partir des ordures ménagères. Portée par un consortium maroco-japonais associant Nareva, Hitachi et Yutofo, cette infrastructure promet de hisser Casablanca au rang des métropoles capables de conjuguer gestion durable des déchets et transition énergétique. Un projet « unique en Afrique », souligne Moulay Ahmed Afilal, vice-président du conseil communal chargé de l'assainissement. L'usine, qui devrait sortir de terre sur un site de 264 hectares à Médiouna, prévoit non seulement l'incinération des déchets mais aussi la production d'électricité réinjectée dans le réseau local, ainsi que le traitement des eaux usées issues des déchets (les lixiviats) et la valorisation des matériaux recyclables. Lire aussi : Fès-Meknès : un demi-milliard de dirhams pour transformer la gestion des déchets Pendant des décennies, la gestion des déchets à Casablanca a été synonyme de débrouille, de précarité environnementale et d'expédients municipaux. La décharge de Médiouna, saturée, en est le symbole criant. L'urgence n'est plus seulement environnementale, elle est désormais opérationnelle. « La cellule de secours encore en service ne suffira pas longtemps », alerte Afilal, qui insiste sur l'impératif d'accélérer le calendrier du chantier. Au-delà des nuisances, c'est toute une filière défaillante que le projet ambitionne de restructurer. Car il s'agit aussi de tourner la page d'une économie informelle, dans laquelle des milliers de chiffonniers vivent de la récupération des déchets sans statut ni protection. Sur ce point, la municipalité adopte un ton résolument inclusif. « Il est essentiel que ces personnes soient intégrées dans le nouveau système, en concertation avec les autorités », insiste Afilal, évoquant la volonté d'un recensement préalable et d'une requalification des activités de tri, de collecte ou de valorisation. Une gouvernance publique-privée calibrée Le financement du projet s'appuie sur une ingénierie contractuelle robuste : sur les 11 milliards de dirhams prévus, l'essentiel est couvert par le consortium privé, tandis que l'Etat et la ville investissent 3,2 milliards pour les infrastructures initiales, auxquels s'ajoutent 2 milliards destinés à l'entretien sur 30 ans. Le terrain seul est évalué à 400 millions de dirhams. Le modèle retenu s'inscrit dans une logique de concession à long terme, avec obligation de résultats en matière de performance énergétique, de respect des normes environnementales et de gouvernance sociale. L'objectif implicite est de faire de Casablanca un laboratoire de transition urbaine au service d'un développement plus durable. L'usine s'annonce comme une infrastructure de nouvelle génération. En plus des fours à haute température pour la combustion des ordures, elle intégrera des systèmes de traitement des fumées, des unités de récupération de chaleur et des dispositifs de valorisation des matières recyclables — plastique, bois, papier. À terme, elle pourrait permettre une réduction significative de la quantité de déchets dirigés vers l'enfouissement, tout en sécurisant une source complémentaire d'énergie pour une ville toujours plus énergivore.