Présentée comme un levier de moralisation du marché du travail, l'obligation de présenter un test antidrogue pour accéder à l'emploi public et privé en Algérie soulève de nombreuses interrogations. Derrière l'affichage sécuritaire, le flou juridique persiste, révélant une approche plus répressive que structurée. La décision du gouvernement algérien d'imposer un test de dépistage de stupéfiants aux candidats aux concours de recrutement, tant dans le secteur public que privé, s'inscrit dans une logique de durcissement sécuritaire croissante. Publiée au Journal officiel n°43 du 13 juillet 2025, cette nouvelle disposition découle d'une loi relative à la répression du trafic de stupéfiants, dont l'article 5 bis conditionne l'accès à l'emploi à un test négatif prouvant la non-consommation de drogues ou de substances psychotropes. En théorie, cette exigence marque un tournant dans la politique de contrôle social par l'Etat. En pratique, elle reflète un profond désordre administratif : aucun texte réglementaire d'application n'est encore paru, comme l'a reconnu la Direction générale de la fonction publique elle-même, renvoyant la responsabilité au ministère de la Justice. Résultat : des contradictions émergent entre les lois adoptées et leur mise en œuvre effective, laissant les administrations locales, les candidats et les juristes dans l'incertitude. Le cas du concours pour le poste d'Ingénieur d'Etat en Statistiques organisé par la Direction générale des impôts illustre les dérives potentielles de cette politique. Des candidats se sont vus refuser l'accès pour défaut de test de dépistage, alors même que l'obligation légale n'est pas formellement entrée en vigueur. En réponse à ces plaintes, la direction générale de la fonction publique a dû publier une note précisant que, faute de décret d'application, les règles antérieures – en l'occurrence la circulaire de 2013 – restent en vigueur. Lire aussi : Trafic de drogue : les drones, nouvelle innovation des trafiquants Ce va-et-vient administratif, à mi-chemin entre le zèle bureaucratique et l'absence de coordination, est symptomatique d'un Etat centralisé où la communication entre législateur, administration et citoyens semble défaillante. La promesse d'un renforcement de l'éthique dans l'accès à la fonction publique vire ainsi à l'arbitraire. Au-delà du débat procédural, cette mesure renvoie à une vision réductrice du phénomène de la consommation de stupéfiants, traité sous l'unique prisme de la sanction. Dans une société algérienne marquée par un taux de chômage des jeunes particulièrement élevé, en particulier chez les diplômés, cette exigence risque d'amplifier l'exclusion d'une génération déjà marginalisée. Plutôt que de renforcer les dispositifs de prévention, d'accompagnement psychologique ou de réinsertion, les autorités préfèrent ériger de nouveaux obstacles à l'accès à l'emploi, en ajoutant une couche de suspicion généralisée. Aucun débat public n'a été ouvert sur la proportionnalité de cette mesure, ni sur la protection des données personnelles des candidats. Quant à la fiabilité scientifique et éthique des tests, elle reste totalement absente des échanges institutionnels. Ce durcissement réglementaire s'inscrit dans un contexte politique tendu, où les libertés individuelles se trouvent de plus en plus restreintes sous couvert de sécurité publique. L'inflation législative – souvent sans relais réglementaire – devient un outil de contrôle social, renforçant la verticalité du pouvoir. À défaut d'un véritable plan national de santé publique ou d'insertion socioprofessionnelle, l'Etat algérien persiste à produire des lois déconnectées des réalités de terrain. Le test antidrogue imposé à l'entrée dans la vie active apparaît ainsi comme une mesure cosmétique, davantage tournée vers l'effet d'annonce que vers une politique publique cohérente. Sous couvert de lutte contre la toxicomanie, l'Algérie semble faire le choix d'une logique sécuritaire et stigmatisante, au détriment d'une approche sociale, inclusive et préventive. L'instauration précipitée de ce test antidrogue à l'embauche s'apparente moins à un outil de santé publique qu'à un mécanisme d'exclusion, révélateur d'une gouvernance autoritaire fondée sur la défiance envers sa jeunesse.