Avec 36,8 millions d'habitants en 2024, dont 62,8% résident en milieu urbain, et une projection à 40,5 millions en 2040, le Maroc vit une recomposition démographique majeure. Le taux de fécondité, tombé à 1,97 enfant par femme contre 7,2 en 1960, entraîne une diminution progressive des jeunes de moins de 15 ans, appelés à passer de 9,76 à 7,8 millions d'ici 2040. Parallèlement, les personnes âgées de plus de 60 ans devraient bondir de 5 à 7,9 millions, mettant sous tension les régimes de retraite et les services de santé. Cette transformation s'accompagne d'une urbanisation rapide, qui verrait la population citadine grimper à 28 millions en 2040 tandis que les ménages, plus nombreux et plus réduits en taille, généreront une demande de trois millions de logements supplémentaires. L'enjeu central, selon le Haut-Commissariat au plan (HCP), réside dans la capacité du pays à convertir cette transition en aubaine économique en investissant dans l'éducation, l'emploi et l'équilibre territorial. Le Haut-Commissariat au plan (HCP) a publié une analyse fondée sur le recensement général de la population et de l'habitat 2024 (RGPH) et sur des projections à l'horizon 2040. Le rapport (septembre 2025) expose en détail les bouleversements démographiques qui traversent le Maroc et leurs répercussions sur les politiques publiques. À l'occasion de la dernière fête du Trône, Mohammed VI a rappelé que «les résultats du recensement général de la population et de l'habitat 2024 ont mis en évidence un ensemble de transformations démographiques, sociales et spatiales dont il faudra tenir compte dans l'élaboration et la mise en œuvre des politiques publiques». Le HCP souligne que ces changements appellent à adapter les choix nationaux en matière de santé, d'éducation, d'emploi, de logement, de protection sociale et d'aménagement du territoire. L'institution insiste sur le fait que «ces évolutions peuvent constituer un levier stratégique si elles sont anticipées et intégrées dans une vision cohérente de développement». Elle insiste également sur la nécessité d'accompagner la fenêtre démographique actuelle par un effort accru en faveur du capital humain et d'une meilleure cohésion territoriale. Transition démographique achevée et inversion de la pyramide des âges Le rapport rappelle qu'«en l'espace de cinq décennies seulement, le Maroc a achevé sa transition démographique que les pays avancés ont connue sur près d'un siècle». Le taux de fécondité est passé de 7,2 enfants par femme en 1960 à seulement 1,97 en 2024. Cette mutation résulte de facteurs sociaux et culturels : recul de l'âge au mariage, usage généralisé de la contraception, progression de l'éducation, développement des transports et urbanisation accrue. Dans le même temps, les conditions de vie et les progrès sanitaires ont permis d'«allonger significativement l'espérance de vie, passée de 47 ans en 1960 à 76,4 ans en 2024». Entre 1960 et 2024, la population nationale a triplé, passant de 11,6 à 36,8 millions d'habitants. Le HCP prévoit qu'elle atteindra 40,5 millions en 2040. Si le rythme de croissance s'atténue, la hausse annuelle correspondra néanmoins à l'«ajout d'une ville moyenne de 230 000 habitants». Le taux d'accroissement est tombé à 0,85% aujourd'hui, contre 2,6% dans les années 1970, et il reculerait encore à 0,6% d'ici 2040. Le graphique 1 du rapport illustre cette évolution : les barres représentant la population montent régulièrement vers 40 millions, tandis que la courbe du taux de croissance chute à moins de 1%. Ces transformations touchent particulièrement la jeunesse. Le HCP prévoit qu'«la population des jeunes de moins de 15 ans connaîtrait une diminution progressive sous l'effet de la baisse attendue de la fécondité». Leur nombre, estimé à 9,76 millions en 2024, tomberait à 7,8 millions en 2040, leur part dans la population passant de 26,5% à 19,2%. Les enfants scolarisables dans le primaire baisseraient de 26,7% sur la période, passant de 4,2 à trois millions tandis que les 12-14 ans reculeraient de 2,1 à 1,5 million (soit -28%). Le HCP observe que cette contraction pourrait faciliter la généralisation de la scolarisation et permettre de réorienter les investissements vers l'amélioration de la qualité éducative, afin de réduire les déperditions, les disparités territoriales et d'élever les taux de transition scolaire. À l'autre extrémité de la pyramide, le vieillissement est net. Le rapport précise que «la part des personnes âgées de 60 ans et plus devrait passer de 13,8% en 2024 à 19,5% en 2040, soit une hausse de 58%». Leur nombre s'élèverait de 5 à 7,9 millions. Cette tendance mettra à l'épreuve la solidarité intergénérationnelle et imposera de repenser la protection sociale, les régimes de retraite, la prise en charge des maladies chroniques et l'adaptation des services sociaux. Le graphique 2 du même document compare les pyramides des âges de 1971, 2024 et 2040. Le document souligne qu'«une inversion progressive de la pyramide des âges» s'opère : la population en âge de travailler augmente en proportion par rapport aux personnes dépendantes. Ce basculement constitue un potentiel de croissance économique, mais il pose aussi de redoutables défis en matière d'employabilité. Le HCP insiste sur la fenêtre démographique. Entre 2024 et 2040, les Marocains de 15 à 59 ans passeront de 22,1 à 24,8 millions, soit +12,4%. Cette période, qualifiée d'«aubaine démographique», a débuté au début des années 2000 et devrait se refermer vers 2038. Pour transformer ce potentiel en avantage durable, il faudra garantir un accès généralisé à l'éducation et stimuler la création d'emplois. Urbanisation accélérée, mutation des ménages et pressions migratoires Le rapport analyse ensuite la redistribution spatiale de la population. Il observe que «le taux d'urbanisation, estimé à 62,8% en 2024, devrait atteindre près de 69,2% en 2040». La population urbaine grimperait de 23,6 à 28 millions d'habitants, tandis que la population rurale reculerait de 13,7 à 12,4 millions. Le graphique 4 illustre cette montée régulière des barres représentant les citadins, accompagnée d'une courbe ascendante du taux d'urbanisation. Le HCP rappelle les propos royaux selon lesquels «cette dynamique de répartition territoriale de la population nécessite une mise à niveau globale des espaces et la réduction des disparités sociales et spatiales». L'institution propose de développer une stratégie intégrée qui réponde à la pression urbaine tout en réduisant l'écart persistant avec les campagnes. Le document évoque également une «mutation silencieuse des ménages». Leur nombre passerait de 9,26 millions en 2024 à 12,3 millions en 2040, soit +32,5%. Dans le même temps, la taille moyenne reculerait de 3,9 à 3,3 personnes. Ce changement est attribué à l'urbanisation, à l'individualisme croissant, à l'essor du célibat et à la baisse du nombre d'enfants par famille. Le graphique 5 illustre cette double évolution : le nombre de ménages croît fortement, tandis que leur taille moyenne se contracte. Le HCP estime qu'il faudra bâtir près de 3 millions de logements supplémentaires d'ici 2040 pour répondre à la demande. À cela s'ajoute la résorption de l'habitat insalubre. Selon le rapport, il convient de mettre en œuvre des politiques capables d'«augmenter l'offre de logements décents, d'améliorer la qualité de l'habitat existant et de garantir des solutions adaptées aux populations vulnérables». La dimension migratoire est tout aussi déterminante. Le Maroc compte plus de cinq millions de ressortissants à l'étranger, soit environ 14% de la population. L'émigration s'est diversifiée, féminisée et mieux formée. Depuis les années 2000, environ 188 000 migrants de retour, majoritairement originaires de France, d'Italie et d'Espagne, se sont réinstallés au Maroc. En parallèle, le pays est devenu une terre d'immigration et de transit : le HCP recense plus de 148 000 étrangers en 2024, en hausse de 76,2% par rapport à 2014. Cette population provient principalement de l'Afrique subsaharienne. Le rapport préconise d'élaborer une politique nationale cohérente, capable de tirer parti de l'expérience acquise par le Maroc en matière d'immigration et d'asile, en privilégiant l'intégration par le travail et en tenant compte des dimensions sociales, culturelles et géopolitiques. Enfin, le HCP conclut que «les changements démographiques en cours au Maroc influencent profondément la vie économique, sociale et culturelle du pays. Ces évolutions imposent l'élaboration de politiques adaptées pour construire un avenir souhaitable». Il appelle à une vision intégrée qui prenne en compte la variable démographique dans tous les choix de développement, depuis l'éducation et l'emploi jusqu'à l'organisation de l'urbanisation et la généralisation de la protection sociale.