La question de la mobilité et de l'inclusion territoriale des jeunes au Maroc demeure un enjeu majeur pour les politiques publiques. D'après les données du Haut-Commissariat au Plan (2024), près de 58 % des jeunes âgés de 15 à 29 ans résident en dehors des grands centres urbains, principalement dans des zones rurales, semi-rurales ou périphériques. Or, ces territoires concentrent moins de 28 % des infrastructures de formation, d'emploi, de culture et de santé destinées aux jeunes. Cette inégale répartition des services génère une forme d'exclusion géographique, qui alimente les migrations internes vers les pôles urbains. Ainsi, selon le rapport sur les mobilités internes du Conseil économique, social et environnemental (CESE) en 2023, plus de 320 000 jeunes ont quitté leur province de naissance entre 2016 et 2022, faute d'accès aux opportunités. Parmi eux, 75 % se sont dirigés vers les régions de Casablanca-Settat, Rabat-Salé-Kénitra et Tanger-Tétouan-Al Hoceïma. L'inclusion territoriale des jeunes, passe aussi par la capacité à se déplacer facilement vers les centres de services et d'opportunités. Le ministère de l'Equipement a investi plus de 75 milliards de dirhams entre 2000 et 2023 dans le désenclavement rural, notamment à travers la construction de plus de 20 000 km de routes rurales dans le cadre de l'INDH. Cependant, les données du CESE (2024) indiquent que 40 % des jeunes ruraux n'ont toujours pas accès à un moyen de transport régulier, et près de 20 % d'entre eux doivent parcourir plus d'une heure à pied pour rejoindre un service de base (collège, centre de santé, centre de formation). La question du transport scolaire reste particulièrement critique. Selon le ministère de l'Education nationale, 850 000 élèves bénéficiaient d'un transport scolaire en 2024, mais les besoins dépasseraient 1,4 million, avec des pics de déficit dans les provinces de Figuig, Tata, Chichaoua et Al Hoceïma. Lire aussi : Jeunesse et emploi : Les promesses d'un redressement structurel La fracture numérique, révélatrice d'un double écart La digitalisation des services constitue un levier important pour contourner les limitations physiques d'accès. Mais elle révèle aussi une double fracture : territoriale et sociale. Selon le rapport annuel de l'Agence nationale de réglementation des télécommunications (ANRT) de 2024, 92 % des jeunes urbains disposent d'un accès à Internet via smartphone ou connexion fixe, contre 57 % seulement en zone rurale. Le taux de couverture 4G atteint 97 % au niveau national, mais avec de fortes disparités en qualité de service. Le CESE souligne que moins de 20 % des jeunes ruraux utilisent les plateformes numériques de services publics, principalement pour des raisons de littératie numérique, de coût ou d'absence de formation adaptée. Le programme « Génération digitale », lancé par le ministère de la Transition numérique, a permis de former 60 000 jeunes aux outils numériques en milieu rural et périurbain. Une extension à 120 000 bénéficiaires est prévue d'ici 2026, selon les objectifs inscrits dans le Plan national d'inclusion numérique. Vers une convergence des politiques territoriales L'intégration des jeunes dans les politiques d'aménagement du territoire est désormais un impératif, comme l'a souligné le rapport du CESE sur la jeunesse, appelant à une « territorialisation effective des politiques publiques en matière de jeunesse ». La Stratégie nationale d'aménagement du territoire 2040, adoptée en 2024, prévoit la mise en œuvre de politiques jeunesse différenciées selon les territoires, en articulation avec les programmes régionaux de développement (PRD). La Banque mondiale, dans son évaluation du programme INDH Phase III (2024), recommande d'intensifier le ciblage territorial des jeunes NEET (ni en emploi, ni en études, ni en formation), dont le nombre dépasse encore 1,5 million en 2023, avec une concentration dans les zones défavorisées. Le défi reste de faire converger les efforts en matière d'infrastructure, de transport, de connectivité et de services publics numériques autour d'un même objectif : réduire les inégalités d'accès entre les jeunes des zones urbaines et rurales. Encadré Jeunes NEET : l'urgence d'un ciblage territorial Avec 1,5 million de jeunes ni en emploi, ni en études, ni en formation (NEET), le Maroc fait face à un défi générationnel d'ampleur. Or, 58 % de ces jeunes vivent hors des grands centres urbains, là où l'exclusion se conjugue à l'éloignement. Les inégalités d'accès persistent : seuls 57 % des jeunes ruraux disposent d'une connexion Internet, contre 92 % en milieu urbain, et 40 % n'ont pas de transport régulier. Malgré les 20 000 km de routes rurales construits depuis 2000, la fracture reste béante. Le programme Génération digitale, avec 60 000 jeunes formés, amorce une réponse, mais reste marginal au regard des besoins. Cibler les NEET sans repenser l'inclusion territoriale revient à ignorer l'essentiel.